Le retour de l’ancien Ministre de la communication, M. Alhousseine Makanera Kaké dans le camp du parti au pouvoir après l’avoir quitté, avec fracas, pour l’opposition suite à son limogeage, a fait beaucoup de vagues. Qu’on s’en moque ou qu’on s’en afflige, le comportement de M. Makanera, au-delà de la médiocrité intrinsèque de l’homme, est caractéristique de ce qu’est l’univers politique de notre pays.

En Guinée, les partis politiques sont des organisations sociales structurées sur deux bases principales : d’une part, les alliances ethniques et régionales et de l’autre, les intérêts égoïstes et clientélistes. Entre ces deux extrémités, il y a un vide intersidéral qui marque une absence totale de fond idéologique.

Si l’on est d’accord pour dire que les catégories politiques occidentales (droite, gauche, centre, ultra-gauche ou extrême droite) sont peu ou pas opérantes dans nos pays – pour des raisons longues à expliquer ici –, il n’en demeure pas moins vrai que ce qui est inquiétant, c’est l’absence de colonne vertébrale idéologique dans les principaux partis politiques guinéens. Autrement dit, il est peut être loisible d’être taxé à la fois de gauche ou de droite voire des deux, ou même d’extrême droite voire à l’inverse de communiste si tant est qu’on développe, tente et défend une ligne directrice idéologique. Sauf qu’en Guinée, rien n’en est. On se souvient que feu Jean Marie Doré avait qualifié son parti à l’assemblée nationale de « centriste non inscrit », ledit centre selon l’ancien Premier Ministre, leader de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG) n’était d’autre qu’une position intermédiaire entre une opposition dure au pouvoir et le RPG-Arc-en-ciel, soutien du Président Alpha Condé. Dans un autre registre, le parti de l’UFDG se déclare libéral (M. Cellou Dalein Diallo avait candidaté en 2017 au poste de Vice-Président de l’Internationale Libérale à la session organisée à Andorre). De quel libéralisme l’UFDG se réclame-t-il ? Le primat de l’individu sur la société ? L’assujettissement de notre économie au libre-échangisme c’est-à-dire à la loi du marché ? S’agit-il aussi de libéralisme sociétal dans un pays profondément marqué par la religion et par des pesanteurs culturelles ? A notre connaissance, ce travail conceptuel et idéologique n’est fait dans aucun des grands partis, ceux qui mobilisent le plus grand nombre de nos compatriotes. Assurément les références à ces étiquettes s’arrêtent au niveau des déclarations d’appartenance des leaders.

En poussant encore plus loin l’analyse, l’on se rend compte que ces partis politiques font tout en Guinée sauf de la réflexion programmatique pour un changement qualitatif de société. Que des propositions soient discutables ou pas, ce n’est pas le sujet, le problème c’est qu’elles sont inexistantes en dehors des catalogues de mesure qu’on présente cycliquement à chaque élection présidentielle. Qui a entendu les représentants du parti au pouvoir ou de l’opposition faire des points de presse pour faire des propositions sur les problèmes environnementaux, les difficultés de transport, la question de l’autosuffisance alimentaire, les questions d’insécurité ou d’insalubrité publique ou encore la crise de l’école ?

Les mobilisations se limitent d’un côté à un soutien aveugle ou au dénigrement de l’adversaire politique et de l’autre, à de la critique systématique ou des revendications strictement liées aux agendas politiques et électoraux contre des tentatives de trucages divers et variés prêtées, souvent à raison, au pouvoir en place (en termes de constitution du fichier électoral, de découpage territorial, de choix d’opérateurs techniques chargés du comptage des voix, de mise en place d’instances de régulation et d’arbitrage de contentieux électoraux). A aucun moment, ou très ponctuellement – encore que – les partis politiques de l’opposition ou du pouvoir d’ailleurs travaillent sur le fond sur la crise structurelle de la société guinéenne.

L’idée n’est pas de demander à nos partis politiques d’avoir des think tank affiliés où germeraient fréquemment des idées pour améliorer notre société – honnêtement vu le niveau de qualification et de compétence du personnel politique, ce serait leur demander la mer à boire – néanmoins, on leur exige un minimum quand on prétend gouverner le pays : faire des propositions. Rien de ce « minimum » n’est fait. Et ce, depuis des décennies. C’est en raison de ce désert intellectuel, moral et politique – la nature n’ayant horreur du vide – que d’autres catégories peu vertueuses surgissent dans le paysage politique avec autant de vigueur et de consistance. Ces dernières sont pêle-mêle l’ethnocentrisme, l’opportunisme ou le clientélisme qui est une forme larvée de corruption. Avec ces catégories, le marché électoral peut se conquérir à moindre frais car on mobilise au nom de son ethnie et on ouvre cyniquement les états-majors des partis à des personnalités, souvent issues d’autres ethnies, pour « faire joli » car on craint d’être taxé de communautariste.

Tout ralliement est synonyme de calcul d’intérêt pour espérer briguer des postes de responsabilité (ministre, directeurs de régies financières etc…) ou quand il s’agit de l’opposition, d’être bien positionné pour truster des places de députés, maires ou conseillers municipaux…Ce n’est pas un hasard si l’une des raisons du divorce de M. Makanera d’avec l’UFDG est liée à la situation de l’exécutif communal à Boké où il dit s’être senti « trahi ».

Le comportement honteux pour certains de M. Makanera n’est pas isolé. Il rejoint celui tout aussi caricatural de M. Jean Marc Telliano, Président du Rassemblement pour le Développement intégré de Guinée (RDIG) qui est revenu du jour au lendemain, éhontément, dans le giron de la mouvance présidentielle. D’autres cas de volte-face moins spectaculaires mais tout aussi choquants allongent la liste de ces revirements comme ceux de M. Aboubacar Sylla qui s’est mu de porte-parole de l’opposition à porte-parole du gouvernement ou encore M. Mouctar Diallo, actuel Ministre de la jeunesse et de l’emploi jeunes. Plus récemment lors de la crise à Kindia, M. Mamadouba Bangoura de l’UDG, choisi comme maire, n’est autre qu’un transfuge de fraîche date de l’UFDG auquel il s’est opposé lors de ce vote interne. Beaucoup d’autres moins connus du grand public subsistent, ils ne sont que des symptômes criants de la situation décrite plus haut.

C’est peut être choquant et désespérant mais en aucun cas étonnant quand on a une clé de lecture pertinente de la situation socio-politique de notre pays. Toutefois, nous observons avec un certain intérêt l’émergence de quelques mouvements politiques, relayés beaucoup sur les réseaux sociaux, dirigés par des jeunes leaders qui tentent de structurer une pensée politique au-delà de ce seul marché ethnique et clientéliste. Espérons que ces mouvements politiques tirent les leçons des limites abyssales de leurs aînés.

                                                                                   Sayon Dambélé, dambelesayon@yahoo.fr