L’engagement politique est important dans toute stratégie de réforme.

Somme toute, l’éducation se donne à voir comme une institution essentielle dans l’architecture étatique : instance critique par excellence de production ou de fondation du politique et de la liberté politique.

Sur cette base, il est manifeste que tout peuple et tout Etat soucieux d’inscrire durablement son existence au sein du concert des nations et des Etats, désireux sinon d’atteindre à l’excellence du moins de réaliser autant que faire se peut les idéaux de progrès (sociaux, juridiques, technologiques, industriels, économiques et politiques), pourrait difficilement faire litière d’une politique somme toute vigoureuse et attentive des capacités de renforcement du système éducatif.

Le système éducatif, en tant qu’instance critique de fondation du politique (au sens de société globale), renferme ou comporte en son essence un enjeu stratégique essentiel consistant dans la définition des principaux axes prioritaires ou de positionnement (économique, politique, culturel et existentiel) de tout peuple ou Etat soucieux de compter parmi les peuples ou Etats du monde.
Cette conviction semble à notre sens participer d’une mise en demeure, c’est-à-dire d’une invitation expresse à mener une réflexion certes constructive et néanmoins sans concession de la base sur laquelle repose, se structure et s’édifie le tissu éducatif guinéen…

Il s’agit de la récurrente question de l’adéquation recherche/ formation/emploi/développement/personnel enseignant/infrastructures.

Le système éducatif joue indubitablement un rôle éminent dans la dynamique de structuration et d’édification de toute entité étatique. Sa fonction quintuple (sociale, politique, économique, culturelle, idéologique) ne souffre, en effet, d’aucune contestation crédible. Force est alors de se rendre à cette évidence primordiale qu’on pourrait difficilement concevoir l’élaboration d’un système éducatif qualitativement cohérent et performant qui fît l’impasse, sans que cela ne soit suivi de dommages significatifs, sur la nécessité d’une mise en corrélation ou en adéquation entre les variables suivantes :

– l’inventaire préalable des insuffisances, des besoins et des attentes (structurels, logistiques, financiers, humains) de l’Etat et des populations qui sont objectivement soumises à sa juridiction ;

– le contenu et la qualité des enseignements, de la formation et de la recherche proposés (tant au niveau de l’enseignement général qu’en ce qui touche à la formation professionnelle) dans les différents cycles (primaire, secondaire, universitaire) ;

– l’état des lieux et les exigences internes et externes du marché du travail présent et à venir, auxquels s’ajoutent plus globalement la prise en compte des principaux enjeux qui sous-tendent et président à l’acte d’insertion et d’affirmation d’un Etat  sur la scène internationale;

– la définition, enfin, émanant du concert d’acteurs (économiques, industriels, scientifiques, sociaux, politiques, culturels) d’objectifs ou de programmes d’actions stratégiques visant à terme l’amélioration, dans tous les domaines susmentionnés, des capacités d’initiatives et d’anticipations à même de garantir la pérennité de l’essor économique et technoscientifique, ainsi que l’émancipation politique et culturelle…

Tout système éducatif, dans son contenu, sa signification et sa vocation fondamentale, est nécessairement marqué du sceau de la contextualisation. Son ancrage profond dans la société qui la porte et qu’il contribue dialectiquement à produire doit être effectif et non sujet à quelque approximation.

Penser l’Ecole guinéenne dans son articulation à l’économie et à l’emploi, c’est aussi, d’une part, avoir à l’esprit l’important poids démographique de la jeunesse du pays, qui a au demeurant tendance à évoluer.

Ceci implique deux conséquences majeures. D’abord, à court et moyen terme : la perspective d’une demande de scolarisation hors de proportions, eu égard notamment aux capacités réelles d’absorption des établissements publics et privés, au moment même où le budget (inférieur à 15%) alloué au secteur de l’éducation est en deçà de la moyenne CEDEAO, d’une part ; et alors même que, de façon générale, le pouvoir d’achat de la majorité des populations tend à stagner ou à baisser.

« La question de l’adaptation, de la pertinence et de la finalité des contenus scolaires est permanente dans tout système éducatif (…). Par essence, un système éducatif se doit de développer les intelligences, favoriser l’apprentissage des savoirs fondamentaux, former à des compétences (…). La question fondamentale aujourd’hui n’est pas de savoir combien d’élèves ont été scolarisés, combien ont « suivi » des enseignements magistraux scolaires, combien cela a coûté au pays…, mais plutôt de savoir combien d’élèves, sortant du système, ont acquis de compétences opérationnelles ? Quelles compétences ? Combien de compétences ? Ou encore, combien les investissements financiers dans l’éducation ont-ils « produit » de compétences chez combien d’élèves ? (…) Ainsi, nous pourrions résumer notre pensée en disant qu’évaluer la productivité d’un système éducatif, c’est évaluer sur un mode quantitatif et qualitatif les compétences assurées aux élèves sortant du système quel que soit le niveau : primaire, secondaire, professionnel, universitaire. Il s’agit sans doute de clarifier le concept de compétence en formation » (Delorme, 1993 : 289-295)

Dans un tel contexte, la formulation de la stratégie à mettre devra être percutante et sans complaisance autour de cette grande interrogation :

Que  faut-il faire pour que l’Ecole soit un des lieux privilégiés de production appropriée des pôles de compétences, de l’emploi et du progrès socioéconomique ?

  • Reformer en profondeur les programmes d’enseignements primaire, secondaire, technique, professionnel et Supérieur,
  • Réduire significativement le nombre d’entrée dans les universités,
  • Mettre en place le système de l’alternance pour développer le « Learning by doing » dans les formations techniques et professionnelles,
  • Instaurer cette culture : Discipline, esprit de compétition, méritocratie
  • Investir dans les infrastructures scolaires, techniques, professionnelles et universitaires
  • Mettre au point un Institut National de l’Education à l’image du Singapour, cet Institut développe la recherche en éducation et forme les enseignants,
  • Supprimer ce système rétrograde appelé « les contractuels »,
  • Mettre au point un Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire, ce conseil travaillera avec le PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis de l’OCDE (un programme d’évaluation des systèmes éducatifs qui s’effectue tous les 3 ans), aussi avec le Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) de la Banque mondiale (dans son rapport de 2014, le Burundi fut classé premier en matière d’éducation des enfants, notamment pour les filles les plus pauvres, et d’égalité d’accès à une éducation de qualité parmi 10 pays de l’Afrique francophone),
  • La mise en œuvre des nouveaux concepts pédagogiques en salle de classe, et l’utilisation des technologies de l’information et des communications,
  • Une rémunération très incitative incluse dans un vaste programme de mesures visant à améliorer la situation sociale et salariale des fonctionnaires et agents de l’Etat (opérationnalisation du Déblocage des effets financiers des avancements des fonctionnaires, ce qui fait que tous les 2 ans, à la fin d’un mois de l’année définie par la loi, les agents de l’Etat voient leurs salaires connaître une augmentation, soit en année paire ou impaire) de même que celle des travailleurs du secteur privé ; ce DDA donne la possibilité à l’ensemble des fonctionnaires de changer de standing, d’augmenter son pouvoir d’achat, de planifier des projets en fonction des bonifications, d’augmenter le taux d’avance sur salaire, d’obtenir des prêts plus consistant avec les banques…
  • La promotion de la pensée critique, en particulier, est considérée comme essentielle à la qualité de la formation et a été de ce fait ajoutée aux priorités politiques dans certains pays, notamment le Nigéria.

ÉLÉMENTS DE CONCLUSION                                       

Retenons  ceci : les crises (sociales, économiques et politiques) qui prévalent, à des degrés divers, en Guinée en Afrique au sud du Sahara, traduisent aussi pour partie une crise structurelle des systèmes éducatifs, caractérisés, d’une part, par des effectifs pléthoriques («Pour un trop grand nombre d’enfants, scolarisation n’est pas synonyme d’apprentissage», résume brutalement Paul Romer, l’économiste en chef de la Banque mondiale) et une désincarnation (non fonctionnalité) de l’enseignement, d’autre part, par une inflation des diplômés paradoxalement coextensive d’une déflation du crédit affecté aux diplômes.

Le tout, sur fond d’ingérence étrangère, induisant une limitation des moyens logistiques et financiers de l’appareil étatique, ainsi qu’une participation parfois excessive dans la définition des profils (de spécialistes ou de cadres et même des projets de développement) qui doivent émaner de nos différentes institutions d’apprentissage et de formation. Vocation, finalité, enjeux stratégiques et fonctionnalité devraient être les maîtres mots, nécessairement conçus en amont, dans toute représentation du système éducatif.

Les objectifs quantitatifs (« Education pour tous ») doivent pouvoir aller de pair avec les exigences d’efficacité maximale : Quels types de formation ? Pour quels desseins ? Dans quelles circonstances ? Et avec quels moyens ? Le système éducatif est certainement un espace de stratification et d’ascension sociales ; mais il n’est pas une rente qui prépare à l’absorption par l’appareil administratif de tous les élèves.

Il vise davantage à prédisposer à la mise en œuvre de mécanismes d’autoproduction, d’autocréation d’emplois et de richesses. Contribuer à la formation et à l’apprentissage des ressorts de la citoyenneté : « Que puis-je objectivement apporter à mon pays ? », et non : « Que pourrait légitimement faire l’Etat pour moi ? » !

Faire de l’Ecole un pôle d’activités au service du développement effectif, et non une instance de déstructuration sociale ou de déperdition des aspects les plus riches et les plus porteurs de nos traditions.

Les contenus des programmes scolaires, professionnelles et universitaires à date sont donc instamment invités à faire l’objet de révisions profondes, systématiques et adaptées relativement aux outils de travail sur lesquels ils se sont jusqu’ici appuyés.

L’inventaire des besoins nationaux, d’une part, la prise en compte des contextes ou de l’environnement régional, continental et international, d’autre part, gagneraient à constituer la priorité des priorités, dans le procès d’élaboration des programmes éducatifs.

Ces objectifs étant réalisés, c’est alors seulement qu’on pourra légitimement concevoir le système éducatif guinéen comme une Institution qui a vocation à consolider le procès d’édification d’une nation politique et d’Etat moderne en Afrique, en somme comme un agent non équivoque du développement effectif.

Mohamed D. KEITA

Tél: 622035479