Véritables nœuds de la mondialisation, les ports sont soumis à des contraintes économiques, sociales et environnementales de plus en plus fortes. La révolution numérique leur offre de multiples solutions, leur permettant de se transformer en smart port. Mais être intelligent ne se résume pas à mettre en œuvre des innovations technologiques. Cela consiste aussi à adopter une approche collaborative, créative et audacieuse dans la gestion de l’activité portuaire.
La configuration actuelle du Port Autonome de Conakry répond-elle à ses normes?
Répondre à cette interrogation, revient à analyser les éléments suivants en dépit de quelques changements effectués par le Groupe Bolloré:
- De nos jours, on assiste à un gigantisme naval, notamment au niveau des conteneurs mais aussi dans le monde du vrac (transport de matières premières).
Les navires sont de plus en plus grands, ils circulent sur la très longue route Brésil-Chine. Plus la route est longue, plus il est intéressant d’avoir de grands navires pour écraser les coûts fixes et les coûts variables. On ne sait pas où cette course au gigantisme va s’arrêter : il y a des plans pour des navires pouvant transporter 25.000 EVP (équivalent vingt pieds)….
Pour les ports, ce gigantisme implique une adaptation des infrastructures. Or celles-ci ne se modifient pas d’un coup de baguette magique. Il faut savoir anticiper.
- Un défi, d’ordre économique et financier, les autorités portuaires sont régaliennes, sous la tutelle de l’État mais ne doivent pas non plus faire perdre de l’argent à l’Etat.
Or les modèles économiques découlant du gigantisme font peser de plus de plus de risques économiques et financiers sur les autorités portuaires, qui doivent trouver des réponses attractives, compétitives et rentables. Être smart est l’une des solutions à ces défis.
- Enfin, un troisième élément porte sur la sécurité, qui coûte chère à assurer.
Un port est un outil géostratégique majeur pour un État et la concentration des stockages pétroliers, marchandises ou chimiques peut devenir des cibles de choix.
Alors, devenir intelligent pour un port comme le PAC, c’est devenir plus attractif, plus compétitif. C’est faire plus avec moins. Cela demande de l’audace et de la créativité. Si l’on caricature, on ne peut plus construire des quais et attendre que le navire arrive. Pendant très longtemps, on a pensé qu’aménager le territoire portuaire suffisait pour attirer des navires. Aujourd’hui, un port qui n’a pas d’intelligence vis-à-vis du marché et vis-à-vis des acteurs, qui n’a pas de stratégie et n’anticipe pas, ne peut pas survivre dans l’intensité concurrentielle sous – régionale voire régionale.
L’intelligence d’un port repose aussi sur sa capacité à développer une approche collaborative. Par sa fixité géographique, le port est incontournable. Mais malheureusement pour le PAC, à part le Mali (avec un distance de 933 km), les autres pays limitrophes de la Guinée ont chacun port.
L’enjeu est de créer des écosystèmes, des communautés d’intérêts et de pratiques qui rendent le port plus intelligent et donc plus attractif.
Les autorités portuaires et celles du Département des Transports ont souvent eu tendance à rester dans leur tour d’ivoire. Aujourd’hui, par leur incapacité d’imagination, elles ne pas à trouver le mécanisme adéquat pour trouver un ou des partenaires de référence pour l’exploitation de certains segments du port.
C’est fondamental vis-à-vis des producteurs de flux, que l’on appelle les chargeurs. Seulement, la concurrence portuaire ouest-africaine ne cesse de s’intensifier, pour preuve le PAC ne figure pas dans le top 10 des ports africains ni celui des 7 ports les plus importants de la région de l’Afrique de l’Ouest.
La fidélité d’un client exige du « sur mesure » et les autorités portuaires doivent accompagner les offres logistiques intégrées qui permettent de canaliser ces massifications vers leurs installations.
Il y a toujours une forme de symbiose entre un port dynamique et visionnaire, comme Singapour et un cluster de recherche et développement puissant.
A l’image de cette cité-Etat, le gouvernement guinéen ne pouvait-il pas créer des fonds souverains qui permettraient les investissements nécessaires dans des compagnies privées dans un partenariat public-privé pour la gestion et l’exploitation de certains pans du port ?
Ce mécanisme pouvait nous épargner cette scène assez désagréable du top management du port, de la nébuleuse communication du gouvernement, de l’amateurisme criard dans la négociation de la convention liant le gouvernement guinéen à la société turc Albayrak, une société ovni dans l’exploitation commerciale du port.
(Albayrak Holding est un conglomérat turc. Pendant les trois premières décennies, il s’agissait d’une entreprise de construction, mais depuis 1982, l’entreprise s’est développée dans d’autres secteurs, notamment le transport et la logistique, la gestion des déchets et les médias, enSomalie aussi.
PDG : Ömer Bolat (2000–)
Création : 1952
Nombre d’employés : 10 000
Siège social : Istanbul, Turquie, source : Wikipédia).
Pour décrire l’organisation des ports de commerce maritime de par le monde, il est commode de se référer à leurs grandes fonctions et de les regrouper en familles principales.
Les fonctions d’autorité portuaire (contrôle de la navigation et des passagers ou des marchandises) concernent tous les ports tandis que celles de propriétaire foncier, de fournisseur d’outils et d’exploitant se combinent pour fournir trois grandes familles de ports :
– le port propriétaire, où le port se concentre sur la location des espaces qu’il possède et dont les ports britanniques s’approchent fortement ;
– le port outil, où l’État finance les investissements des quais pour des terminaux que des entreprises exploitent, qui correspond à peu près au schéma des ports hollandais ou belges ;
– le port opérateur, où l’État exerce en plus des fonctions précédentes celle d’opérateur, modèle dévolu jusqu’à une période récente aux ports français et à nombre de ports francophones.
Les recettes portuaires consistent en des droits de port, appliqués au passage des navires et à la marchandise, en des recettes foncières (locations de terrains de plus ou moins longue durée, l’exemple extrême étant celui des ports britanniques où le Trinity College de Londres loue des terrains pour un bail de 999 ans au port de Felixstowe, concessions de longue durée…) plus rarement en des cessions des espaces fonciers portuaires et en recettes de prestations de services spécifiques (outillage, sécurité, services verts, etc.).
Pour assurer une compétitivité de taille, le PAC doit tout d’abord, être un port stratège, être stratège signifie savoir prendre des risques et parvenir à se projeter sur des trajectoires prospectives à long terme.
Pour être stratège, le PAC (Port Autonome de Conakry) devra être investisseur. Il devra avoir une autonomie financière et une capacité à prendre des risques. Cela implique de se détacher de la tutelle de l’État.
Dans la plupart des pays ouest-africains par exemple, l’État n’est tributaire que d’un port. Il semble donc impossible de ne pas le contrôler politiquement ni de transférer des compétences d’investissement à des acteurs privés sans avoir un regard à travers des PPP, des concessions, etc. Le port investisseur devra donc se “dé-souverainiser” ou bien garder une tutelle forte mais avec des dirigeants ayant des compétences d’investisseurs.
Bien qu’on ait eu largement recours au terme de privatisation portuaire pour caractériser les évolutions d’organisation portuaire qui se sont répandues selon le modèle de privatisation britannique des années 1980, on assiste principalement, pour des raisons financières avec l’augmentation du poids des dettes publiques, à un recentrage des ports sur la fonction régalienne avec un modèle plus ou moins proche du port propriétaire.
Mohamed D. KEITA
Tél : 622035479