Lors d’un entretien accordé à la rédaction du site www.maguineeinfos.com ce mercredi 2 janvier 2019, Maître Mohamed Traoré, ex bâtonnier de l’ordre des avocats et l’un des avocats à la défense dans le dossier AOB, est longuement revenu sur le vice de forme de la grâce présidentielle accordée à Dame Fatou Badiar, la lenteur dans le système judiciaire qui affecte dangereusement des détenus qui restent dans les prisons sans jugement et sur certains sujets d’actualités. Pour cet avocat, les détenus qui sont en prison ont le droit d’être jugés.
Maguineeinfos.com : On s’intéresse à cette grâce présidentielle qu’a bénéficié Dame Fatou Badiar Diallo. Dites-nous, cette grâce remplie-t-elle les procédures juridiques?
Maître Mohamed Traoré : Je vous remercie, d’entrée de jeu, je ne pourrais que me réjouir de cette mesure qui lui donne la possibilité de rejoindre son domicile après avoir été détenue plusieurs années. Donc, de ce point de vue je ne peux que me réjouir de la décision prise par le président de la République. Nous-mêmes avocats de la défense, on s’attendait à chaque fin d’année, à ce que le président de la République puisse enfin gracier madame Fatou Badiar qui, il faut le reconnaître est quand même la seule femme dans ce fameux dossier du 19 juillet 2011 et nous connaissons en Afrique l’importance qui est accordée à la femme, c’est pour cette raison que tout le monde était sensibilisé sur le cas particulier de madame Fatou Badiar.
Cette grâce viole-t-elle les règles de la procédure surtout que madame Badiar n’était pas encore une prisonnière?
Du point de vue Droit, il faut reconnaitre qu’il y a un certain nombre de soucis dans la mesure où, la grâce est une prérogative présidentielle. Elle intervient a des conditions bien précises et la condition fondamentale, c’est que la grâce doit concerner une condamnation définitive, il s’agit d’une mesure de dispense partielle ou totale d’exécution de la peine que le président accorde à une personne définitivement condamnée
En ce qui concerne madame Fatou Badiar, lorsqu’il y a eu la décision de la cour d’assise, l’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, il a été cassé et le dossier a été renvoyé devant le tribunal criminel de Dixinn et au moment où je vous parle, le dossier est encore pendant devant ce tribunal. Ce qui veut dire que la décision de condamnation la concernant n’est pas définitive donc dans ces conditions-là, on pouvait difficilement imaginer une grâce présidentielle.
Pensez-vous qu’il y a une main politique derrière cette grâce présidentielle accordée à votre cliente?
Vous savez en ma qualité de juriste, je me garde de dire des choses dont je n’ai pas la preuve. Tout ce que je sais, c’est que nous voulions bien que madame Fatou Badiar soit graciée dans les conditions que la loi a définie. Bon, peut-être qu’on peut trouver aujourd’hui que c’est un débat qui n’a pas de sens dès lors qu’elle est rentrée chez elle. Encore une fois, pour nous, ce qui était important c’était sa mise en liberté et d’ailleurs à partir du moment où une décision définitive n’a pas été rendue, elle est présumée jusqu’à maintenant innocente. Cela est important dans la mesure où, on ne pourra pas indiquer par exemple sur son casier judiciaire qu’elle a été condamnée dès lors que la condamnation qui a été prononcée à son égard n’est pas définitive et que la grâce est intervenue entre temps.
Mais sur un autre plan, il y a d’autres questions qui se posent, parce qu’aujourd’hui, le tribunal criminel de Dixinn qui est saisi de cette affaire, quelle doit être son attitude ? Est ce qu’il doit se dessaisir du dossier parce qu’il y a eu la grâce ? Mettra-t-il fin au procès maintenant et dans quelle condition? Du point de vue juridique voilà quand-même autant de questions que soulève cette mesure de grâce.
Dans une autre acception plus large, ce dossier abrite tant de personnalités notamment le commandant AOB Alpha Oumar Boffa Diallo qui continue son calvaire en prison depuis 2012. Finalement beaucoup sont graciés et non lui. Qu’en pensez-vous?
Comme je le disais au départ de cet entretien, la grâce est une prérogative présidentielle. C’est le chef de l’Etat qui sait qui il doit gracier, pourquoi il doit gracier et à quel moment? Peut-être que cette fois ci, la mesure concerne madame Fatou Badiar, Almamy Aguibou Diallo et Mamadou Alpha Diallo, il n’est pas exclu que l’année prochaine ou dans deux ans que la même mesure soit accordée au commandant Alpha Oumar Diallo AOB.
Dans cette procédure, on assiste quand-même à une lenteur vu que le dossier est toujours pendant au tribunal de première Instance de Dixinn. Qu’est-ce que vous savez aujourd’hui de ce dossier parce que jusque-là le Droit n’est toujours pas dit de manière définitive?
Il y a eu une lenteur quand meme dans le traitement de ce dossier qu’il faut dénoncer. Il vous souviendra que lorsque la décision a été rendue par la cour d’assise de Conakry et que les avocats se sont pourvus en cassation pour le compte de leurs clients, il a fallu attendre plusieurs mois, de longs mois pour que la cour suprême statue sur le pourvoi en cassation et que le dossier soit renvoyé au tribunal criminel de Dixinn. Et depuis que ce tribunal s’est saisi, nous constatons la même lenteur et pendant ce temps, il y a des citoyens qui croupissent en prison, des citoyens qui ne demandent qu’à être jugés et dans un délai raisonnable comme cela résulte de l’engagement de la Guinée au plan international et le droit à avoir à un procès équitable parce qu’il ne s’agit pas seulement de tenir un procès, cela est une exigence internationale. Donc, les détenus qui sont en prison ont le droit d’être jugés mais malheureusement ce n’est pas ce que nous sommes en train de constater et pour des raisons que nous nous ne pouvons pas expliquer.
Alpha Oumar Boffa Diallo est-il en détention préventive Maitre Mohamed Traoré? Surtout que selon vos explications, il n’y a pas de condamnation dans cette affaire.
Je crois que la justice fait parfois preuve de faiblesse d’inertie et même d’un manque de courage quelques fois. Au moment où nous avons demandé la mise en liberté provisoire de madame Fatou Badiar Diallo et du commandant AOB, il y avait vraiment des raisons objectives, des motifs de droit et des motifs de fait qui pouvaient amener le tribunal à accéder à cette demande. Mais il faut reconnaître chez nous, le pouvoir judiciaire étant largement sous l’influence du pouvoir exécutif, il est souvent difficile pour les juges de prendre certaines décisions même s’ils peuvent s’appuyer sur la loi. Sinon aujourd’hui, le commandant AOB qui avait reçu des balles lors de ces douloureux événements devrait être en liberté il ne se reste que pour bénéficier de soins appropriés concernant son état de santé mais comme on le dit, la balle est dans le camp de la justice.
Aujourd’hui ce dossier est à reprendre à zéro vu le changement de juge au tribunal de première instance de Dixinn finalement. Qu’est-ce vous vous attendez dans ce dossier en terme de poursuite ?
Lorsqu’il y a changement dans la composition dans nos juridictions, en principe les débats reprennent complètement parce que, nous ne sommes pas ici dans le changement d’un magistrat du parquet ou le principe de l’unicité du parquet fait que les magistrats d’un même parquet sont interchangeables. Là il s’agit du changement d’un magistrat du siège donc le juge en charge du dossier. Il faut nécessairement reprendre la course. Ce qui va entraîner encore un nouveau retard supplémentaire dans le traitement du dossier.
Selon vous, pourquoi AOB n’est toujours pas libéré ?
Je pense que cette question-là, il faut l’a poser à la justice mais je crois que cela s’explique par le fait qu’on pense qu’il a été porteur d’une arme, qu’il se serait rendu au domicile du chef de l’Etat et qu’il y a eu des échanges de tir entre lui et la garde présidentielle. Je pense qu’au niveau de la justice, il y a cette idée encore à l’esprit c’est ce qui fait qu’il y a un peu de difficultés en ce qui concerne sa libération.
Merci maitre Mohamed Traoré d’avoir répondu à nos différentes questions.
C’est moi qui vous remercie!
Entretien réalisé par Mohamed Bah pour maguineeinfos.com