La scène s’est déroulée aux yeux et aux sus de tout le monde, mais personne d’entre eux n’a levé son petit doigt pour dire quoique ce soit sur cette nouvelle affaire qui considérée par certains observateurs comme une patate chaude dans les mains des acteurs politiques, notamment ceux de l’opposition républicaine ou ‘’plurielle’’. Cela étant, le premier volet de ma réflexion qui est menée sous un angle juridique, en application justement de l’article 45 de la constitution et les autres dispositions y afférentes, le Président de la République peut proposer à la cour constitutionnelle, la prorogation du mandat des députés par décret lorsque celui-ci arrive à échéance avant l’organisation des nouvelles élections législatives. Cette prorogation se fait dans le but d’éviter au pays un vide juridique ou un déséquilibre institutionnel entre les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Cependant, le deuxième volet de mon analyse faite sur la base des interactions entre les acteurs politiques du pays depuis près d’une décennie, m’amène à orienter mes réflexions autour des réelles motivations politiques qui ont soutenu cet acte du président de la République. Car pour ceux qui connaissent cet homme et l’avoir pratiqué au quotidien savent pertinemment de quoi je parle, parce que quand il pose un acte, le moindre qu’il soit n’est pas anodin. C’est pourquoi, une analyse sur les réelles intentions inavouées du Président (i), les scenarios possibles du Président (ii) et la démarche républicaine que doit avoir l’opposition (iii) permettra à tout un chacun de se faire une idée sur ce nouvel épisode de notre paysage sociopolitique.
I- Les intentions inavouées du Président de la République :
Au fait, l’attitude de l’opposition guinéenne vis-à-vis du Président de la République Pr. Alpha Condé ressemble à celle des enfants qui sont à la maison et qui attendent tout de leur papa. La scène est simple : à chaque retour du papa, les enfants attendent que ce dernier leur apporte du bonbon ou du biscuit. Et à chaque fois qu’ils pleurent à la maison, il suffit juste que ce dernier leur donne du bonbon pour retenir leur souffle pendant un bon moment. En 2013, le peuple de Guinée a élu ses représentants à l’Assemblée Nationale dont leur mandat est arrivé à terme ce dimanche 13 janvier 2019. Mais l’espoir suscité chez le peuple après cette élection ne fut qu’un simple désenchantement car, bon nombre de ces députés ont fait preuves de trahison vis-à-vis de l’objectif pour lequel ils ont été élus. Pendant que l’opposition républicaine dirigée par El hadj Celou Dallein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée a préféré le langage de la rue à travers : les journées villes mortes, marches pacifiques, la grève de la faim etc., en mettant de côté les lois de la République et donnant force aux accords politiques en complicité bien sûr avec l’exécutif. Entretemps, le grand architecte et stratège politique quant à lui, ne manquait pas comme toujours de jouer à la politique de la montre et de tendre ses pièges à l’opposition toutes les fois que l’occasion s’est présentée. Par conséquent, les députés de l’opposition ont non seulement dans une large mesure perdu leur crédibilité devant le peuple, mais aussi et surtout se retrouvent de nos jours dans une parfaite illégitimité d’un point de vue normatif.
II – Les scenarios possibles du Président après la prorogation du mandat des députés :
A mon avis, ce dernier spectacle relatif à la prorogation du mandat des députés par le Président était fait à dessein pour lui permettre d’être dans une position confortable avant de déclencher le calendrier de ces scenarios possibles suivants :
1) La marge de manœuvre pour l’organisation des élections législatives : les circonstances dans lesquelles ces élections seront organisées en Guinée sont à mon avis, défavorables à l’opposition dans la mesure où elle se trouve de nos jours divisée et fragilisée à cause des querelles d’ego et des intérêts politiques inavoués défendus par les uns et les autres. Face à de pareilles circonstances, les élections législatives seraient probablement gagnées en grande majorité par la majorité présidentielle, ce qui lui permettrait par la suite, de déclencher le débat sur la modification de la constitution à l’Assemblée Nationale.
2) La question du troisième mandat ou le début d’un premier mandat : Sur ce sujet, une lettre ouverte est en cours de préparation et qui sera adressée au Président de la République dans les prochains mois à venir. Mais nonobstant cela, ma première lecture sur l’ensemble des déclarations du chef de l’Etat, qui est à la fin de son deuxième et dernier mandat et ensuite les différentes tractations de la classe politique guinéenne, rien ne me garantit à cet effet que le Président n’a pas l’idée ou l’intention de tenter une nouvelle aventure avec les guinéens pour la suite de son calendrier politique. Pour preuve, il a toujours laissé entendre à chaque fois que la question lui a été posée que ‘’c’est le peuple qui a le dernier mot’’. A cet égard, deux autres scenarios possibles sont envisageables :
- Soit il propose le projet de modification de la constitution aux députés dont il estimerait avoir la majorité requise après les élections législatives qui pointent à l’horizon, même si aucune date n’a encore été définit. Selon lui, cette constitution souffre d’un certain nombre d’insuffisance et d’incohérence par rapport aux réalités sociopolitiques du pays dont il faut corriger à tout prix. Quelles dispositions veut-il modifier dans la constitution ? Veut-il changer totalement cette constitution ? Le récit des prochains jours nous donneront les bonnes réponses.
- Sachant des contraintes juridiques, des dynamiques sociales et des pressions internationales ; le Président de la République serait dans une logique à posteriori de proroger son propre mandat pour quelques années de ‘’bonus’’ car aucun délai n’a encore été définit par la cour pour l’organisation des élections législatives. Ce qui nous donne des interrogations sur la sainteté de la démarche du Président. Par ailleurs, les députés lui doivent une récompense après leur avoir accordé un salaire supplémentaire de 15.000.000 de GNF sans compter des indemnités et des primes de sessions. Donc, quelques années de ‘’bonus’’ ne seront pas petits de leur part !
III- La démarche républicaine que l’opposition doit adopter :
Les partis politiques de l’opposition, y compris les acteurs de la société civile ont un rôle important dans le bon fonctionnement de nos institutions et la consolidation des acquis démocratiques. Dès lors, les véritables débats doivent être organisés au sein des instances de toutes les formations politiques souciées de la paix et de la stabilité de notre pays. Ces débats doivent être autour de la stabilité de nos institutions, l’équilibre entre les trois pouvoirs et les éventuelles stratégies pour une alternance paisible et démocratique. Pour ce faire, l’opposition doit nécessairement exiger dans les jours à venir : l’assainissement du fichier électoral, qui est l’une des conditions sine qua non pour l’organisation des élections crédibles et transparentes ; le débat sur les calendriers électoraux, pour éviter des crises à répétions provoquées par les contentieux électoraux ; la nécessité de faire l’organe de gestion de gestion des élections (la CENI) d’un véritable instrument de transparence dans l’organisation des élections et enfin, de veiller au respect stricto sensu des lois en vigueurs. A bon entendeur salut !
Pour Aly Souleymane Camara (Analyste politique)