En Guinée comme dans la plupart des pays de l’Afrique au sud du Sahara, le mot “électricité” évoque souvent pour la population : coupures, cherté, mauvaise gouvernance, voire simplement absence, car des millions d’habitants n’y ont pas accès. Un déficit structurel et fonctionnel est de taille.
Une prise de conscience politique, les progrès technico-économiques dans les énergies renouvelables, la gestion des réseaux, les paiements automatisés et l’apport de capitaux font penser que la situation va sensiblement s’améliorer.
Malgré la diversité des situations, des caractéristiques communes se retrouvent et permettent de lister les raisons des difficultés du secteur électrique en Guinée, et les raisons d’espérer une amélioration.
Notre pays connaît des taux importants de pertes, techniques (effet Joule, pertes de transformation, le transport) et surtout non techniques (faible taux des abonnés, des compteurs avec des faibles niveaux de sécurisé, mauvaises estimations, fraudes, avec souvent la complicité de l’agent EDG de la zone). Les rendements moyens des réseaux sont très faibles.
À ces pertes s’ajoutent des impayés car le taux de recouvrement est difficilement chiffrable, l’État et l’administration publique étant souvent les plus mauvais payeurs.
Subventions publiques, tarifs insuffisants, et souvent indifférenciés entre petits et gros consommateurs, lutte inefficace contre les pertes, État mauvais payeur, retards dans la réalisation de projets de production stratégiques, tutelle défaillante de l’opérateur électrique, l’échec du secteur n’est pas que le constat de l’insolubilité d’une équation technico-économique, c’est aussi une question de gouvernance.
Pourtant, la Guinée a des atouts et il y a des raisons d’espérer.
Les caractéristiques des villes de Guinée offrent un terrain d’étude intéressant pour les questions de gouvernance des réseaux techniques urbains puisqu’elles abritent à la fois une élite économique qui réclame des infrastructures de niveau mondial et des populations pauvres au faible niveau de vie et dont la situation mettra encore beaucoup de temps avant de s’améliorer compte tenu de la situation économique et sociale de la majorité du pays.
Au cours des deux dernières décennies du 20ème siècle, les sociétés africaines d’électricité, membres de l’UPDEA (Union des Producteurs, Transporteurs et Distributeurs d’Energie Electrique d’Afrique) pour la plupart, étaient confrontées à de sérieux problèmes de faibles performances commerciales, financière et techniques.
L’amélioration des performances des compagnies nationales d’électricité a été le principal objectif de la plupart des programmes de réforme du secteur électrique.
Les reformes ont généralement visé la restructuration par une désintégration verticale et horizontale des monopoles d’Etat en entités concurrentielles avec une implication significative du secteur privé. Cette réorientation a été largement soutenue par les institutions financières internationales.
Mais a-t-on toujours établi le lien entre la privatisation et la restructuration ? Le constat a été que les reformes ont souvent débouché sur la privatisation qui a été utilisée comme outil de gestion de crise.
Le but de la privatisation a donc été d’attirer le capital privé et d’améliorer l’efficacité de la structure industrielle, en réduisant le rôle de l’Etat.
Mais à quels résultats ont abouti les différentes reformes opérées dans le secteur de l’énergie ? Cette question a donné lieu à une conférence sur le bilan des réformes entreprises dans le secteur électrique africain organisée conjointement par l’UPDEA et Biz Clim du 27 au 28 mars 2008 à Bruxelles (Belgique).
Il ne fait aucun doute que le secteur de l’électricité en Guinée, nécessite de profondes réformes, conception d’une réforme institutionnelle adaptée au contexte et guidée par les objectifs.
Comme dans beaucoup d’autres pays au sud du Sahara, ce secteur souffre de graves dysfonctionnements dont les conséquences sont amplifiées par la force des dynamiques sociales et économiques que connaissent nos pays. Les dynamiques démographiques et la nouvelle vigueur de l’économie d’un pays appelé ‘’château de l’Afrique’’ qui se veut acteur majeur sur la scène sous régionale creuse constamment l’écart entre l’offre et la demande.
Le caractère bureaucratique lourd et inerte de l’administration en charge du secteur et des services en réseaux de l’électricité ainsi que l’omniprésence de la corruption entravent tous changements possibles au moment même où une grande réactivité aurait été l’unique issue.
Dans la configuration économique nationale et de politique gouvernementale d’ouverture, les nouvelles réformes doivent être naturellement pensées dans le sens d’un dégroupage du secteur électrique.
On rentre alors dans le cadre du débat sur la gouvernance des services en réseaux et entre autres sur la question du choix d’une gestion publique ou mixte de ceux-ci.
Plus encore, lorsqu’on touche à un service de base qui est absolument nécessaire au développement social et économique de la population, nous pensons qu’il est important de questionner la compatibilité des différents intérêts avec l’intérêt général.
Après l’échec de la gestion publique antérieure de l’électricité, de nouvelles pistes de réformes du service électrique d’EDG sont d’une imminence exponentielle avec toutes les exigences nécessaires.
Le processus de réforme de l’électricité en Guinée doit impérativement intégrer la création de nouvelles institutions comme l’autorité régulatrice qui aura pour fonction de veiller de façon indépendante sur le bon fonctionnement (le mode de gouvernance des services) du secteur tout en protégeant les intérêts des différents acteurs, en particulier par la maîtrise des tarifs.
La bonne gouvernance dans la gestion du secteur de l’électricité est une condition préalable impérieuse à l’attrait des investissements dans le secteur.
Partant de ce constat sans appel, l’ouvrage « L’électricité au cœur des défis Africains » écrit par Christine Heuraux, qui se veut à la fois concret et pratique, se propose de synthétiser les informations essentielles relatives au secteur de l’électricité en Afrique, en se concentrant sur l’Afrique subsaharienne, l’électricité et l’électrification des milieux ruraux.
Christine Heuraux, met en évidence un certain nombre de messages clés que l’ouvrage veut faire passer pour que l’Afrique relève avec succès le défi de son électrification, notamment en milieu rural où vivent 500 millions de personnes encore dépourvues d’accès à toute forme moderne d’énergie.
Tout d’abord l’importance de la gouvernance, c’est-à-dire la volonté politique des Etats sans lequel aucun progrès durable ni significatif n’est envisageable – cette volonté doit se traduire par des planifications énergétiques et électriques de long terme, mais aussi par la mise en place de cadres institutionnels, réglementaires, et par des règles de gouvernance susceptibles de rassurer les investisseurs.
Ensuite, il serait illusoire de ne vouloir régler le retard de l’électrification que sous l’angle technique et financier : la formation professionnelle sera une composante majeure dans la réussite de tous les efforts d’électrification, tous secteurs confondus, car elle seule est à même de pérenniser les efforts entrepris.
Enfin, les choix technologiques qui seront déterminants, et c’est précisément la raison pour laquelle il faut éviter de les aborder avec dogmatisme ; mieux vaut les traiter avec pragmatisme et réalisme, en tenant compte des réalités de terrain, des ressources locales mais aussi de l’usage auquel on les destine.
Il ne faut également pas oublier de réhabiliter l’existant et de favoriser les programmes d’efficacité énergétique.
Un cadre législatif et réglementaire performant disponible permettra au marché concurrentiel de se développer dès que seront levés certains obstacles conjoncturels.
La réussite stratégique de la politique énergétique et électrique du pays passe nécessairement par la mise en application du processus de restructuration de l’entité EDG en dégroupage.
La première phase étant le dégroupement de l’entité EDG en compagnies (EDG dégroupé en trois sociétés : une holding, une société de génération, une société de transmission et une société de distribution), concentrées, et sous contrôle de l’Etat ; la seconde phase devant être la mixité (ouverture du capital aux entreprises de références internationales) des compagnies ainsi créées.
Le dégroupage de l’opérateur historique permet aux gestionnaires de la Holding et de ses filiales de disposer d’outils de pilotage et de contrôle de gestion plus efficaces, la culture du résultat doit être de plus en plus présente dans le secteur.
Un marché concurrentiel est le moyen le plus efficace pour créer les incitations à l’efficacité durable ; (redéfinition du cadre législatif et réglementaire, dégroupage de l’opérateur historique etc.)
Il implique l’apparition d’un jeu d’acteurs plus complexe et dont la réalisation des intérêts, même s’ils semblent parfois divergents, est censée conduire à une viabilité accrue du réseau et un rapprochement de l’idéal d’universalisation de l’accès.
Il incombe à l’Etat guinéen d’élaborer une Loi de Réforme de l’Electricité en Guinée en vue de cadrer et de sécuriser tous les investissements devant couvrir ce secteur hautement stratégique.
Ce cadre législatif permettra le passage en douceur d’une organisation intégrée (EDG) à un groupe d’entités dégroupées, refondues dans une optique fonctionnelle.
Un service public fonctionne dans l’atmosphère dynamique de la société. Différentes forces sociales, économiques, technologiques et politiques qui ne peuvent pas être contrôlées par le service, forment un contexte. Le service n’a le contrôle que de son système et des processus qui lui sont propres.
Pour rester dans un état stable, il doit atteindre un équilibre entre son fonctionnement interne et les influences sociétales par un processus continu de gestion de ressources. Pour un service en réseau dans le secteur de l’énergie, donner un cadre à la dimension tarifaire est un processus essentiel de gestion de ressources, clé de sa survie et de sa croissance.
Les bienfaits d’une concurrence effective et équitable ne sont guère discutés. La vraie question dans le secteur électrique est celle de la possibilité de créer une telle situation de concurrence sur tout ou partie des activités de production, de distribution (concurrence pour le marché) ou de fourniture.
Toutefois, avec le développement prioritaire des marchés régionaux en Afrique, le nombre de pays pouvant bénéficier de cette concurrence à terme va augmenter sensiblement.
Mohamed Doussou KEITA
Economiste
Tél : 622035479