Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a promis lundi la sécurité et la justice à Ogossagou, village du centre du pays où quelque 160 Peuls ont été tués samedi par de présumés chasseurs dogons, devant des habitants encore hantés par les atrocités.
Cette tuerie, dans la zone de Bankass, près de la frontière avec le Burkina Faso, est la plus sanglante au Mali depuis la fin des principaux combats de l’opération lancée en 2013, à l’initiative de la France, pour chasser les groupes jihadistes qui avaient pris le contrôle du Nord.
Le bilan a atteint 160 morts et pourrait encore s’alourdir, ont affirmé lundi soir un conseiller municipal de Bankass et une source de sécurité malienne. « Il faut la sécurité ici, c’est votre mission », a déclaré Ibrahim Boubacar Keïta à l’intention du nouveau chef d’état-major, le général Aboulaye Coulibaly, qui l’accompagnait.
« Je n’ai jamais vu ça »
Le général Coulibaly a été nommé dimanche à la suite du limogeage des principaux chefs de l’armée, lors d’un conseil des ministres extraordinaire au cours duquel le gouvernement a prononcé la dissolution du groupe de chasseurs dogons « Dan Nan Ambassagou ».
« Justice sera faite », a promis le chef de l’État, qui s’est recueilli devant les fosses communes creusées pour les tuées.
La désolation régnait lundi dans le village, aux maisons calcinées et au sol jonché de cadavres d’animaux. « Je n’ai jamais vu ça. Ils sont venus, ils ont tiré sur les gens, brûlé des maisons, tué les bébés », raconte Ali Diallo, un vieillard de 75 ans dont les propos sont traduits en français par un proche.
Depuis l’attaque, de nombreuses photos circulent sur les réseaux sociaux, dont certaines ont été authentifiées par la principale association peule du Mali, Tabital Pulaaku.
On y voit notamment l’intérieur d’une case brûlée avec les corps d’enfants totalement calcinés et à l’entrée, un homme tué à coups de machette, gisant dans une mare de sang.
Selon les témoignages d’habitants et d’élus locaux, les assaillants, en tenue de chasseur, ont d’abord attaqué une position où étaient cantonnés des combattants peuls, dans le cadre du processus de « désarmement, démobilisation et réinsertion » (DDR) de membres de groupes armés.
« Jetée dans un puits »
Puis ils se sont dirigés vers la maison d’un célèbre marabout, Bara Sékou Issa, qu’ils ont tué avec toute sa famille, ainsi que 18 déplacés qu’il hébergeait, et infligé le même sort au chef du village et aux siens.
« C’est après qu’ils ont attaqué le village, ils ont versé du gasoil sur les cases, les greniers et les hangars, après ils ont mis le feu », tuant à coups de machette ceux qui tentaient d’échapper aux flammes, a raconté Bara Dicko, un villageois joint par l’AFP de Bamako.
Bara Dicko, qui se trouvait à la sortie du village avec ses bêtes, a dit avoir réussi à fuir, pour ne revenir au village qu’après le départ des assaillants. « Mes parents sont morts, ma sœur avait été jetée dans le puits, on l’a fait sortir avant d’alerter les gens ».
Depuis l’apparition il y a quatre ans dans le centre du Mali du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs propres « groupes d’autodéfense ».
Ces violences ont coûté la vie à plus de 500 civils en 2018, selon l’ONU.
La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a condamné lundi des « attaques barbares au cours desquelles plus de 130 civils innocents, dont des femmes et des enfants, auraient été massacrés et des dizaines d’autres grièvement blessés ».
Selon Aurélien Tobie, chercheur principal sur le Sahel à l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), « avec la crise l’Etat a laissé ces groupes locaux de sécurité prendre plus d’importance. Il s’est même parfois appuyé sur eux pour défendre ses intérêts », au risque parfois de leur donner un sentiment d’ »impunité ».
Le président de la jeunesse de l’association Tabital Pulaaku, Hamidou Dicko, a accusé les autorités d’inertie. « On alerte, on informe le Premier ministre, le ministre de la Défense et de la Sécurité et le gouverneur de la région de Mopti, mais ils font absolument rien. Ils attendent après pour venir compter le nombre de morts », a-t-il déclaré.
De son côté, Hamidou Ongoiba, vice-président de l’association Ginna Dogon, qui promeut la culture dogon, a appelé à ne pas « ethniciser ces victimes ». « Pour nous qu’ils soient de n’importe quelle ethnie, ce sont des victimes maliennes », a-t-il dit.
Jeuneafrique