Monsieur le Président de la République, je tiens à vous adresser cette lettre ouverte dans l’intention d’attirer votre attention sur la situation qui prévaut dans notre pays. Comme vous pouvez le constater, depuis un certain temps, une majorité des Guinéens se trouve préoccupée par cette fameuse histoire de modification de la constitution, voire même son changement pure et simple vous permettant de briguer une nouvelle mandature à la fin du deuxième et dernier mandat en cours. Cette intention inavouée, prêtée à votre personne défraye la chronique dans la cité et, laisse par ricochet un climat d’incertitude. Mais au-delà de tout ce que chacun mijote ça et là, je suis convaincu que vous n’aurez pas un tel projet aussi risqué en vue, qui, à mon avis compromettrait non seulement, votre parcours d’homme politique, mais aussi la vitalité et la survie de notre jeune démocratie. C’est pourquoi, je vous accorde pour le moment, le bénéfice du doute jusqu’à preuve du contraire.
En effet, depuis après l’indépendance de notre pays, notre histoire politique est restée parsemée d’instabilité institutionnelle, de violences et de troubles sociaux. Cette situation peu catholique a été l’une des raisons à cause desquelles, vous vous êtes engagé pour pallier à ces fléaux, ensuite, améliorer les conditions de vie de la population guinéenne et participer de façon active au processus d’instauration de la démocratie dans notre pays. Toujours dans la poursuite de cette noble ambition pour notre pays, vous avez effectué un parcours académique et politique mais aussi des énormes sacrifices que vous avez consentis pour la survie de notre chère patrie car, vous avez réussi là où bon nombre de vos prédécesseurs ont échoués. Ce combat au service de notre pays, ne doit pas être écourté ou gommé à cause d’une quelconque ambition personnelle ou celle d’un groupe d’individus, qui sont autour de vous. Ces individus souhaitent toujours maintenir notre pays dans ce cycle infernal de crises socio-politiques. Pourtant, d’énormes chantiers restent encore à faire pour promouvoir le développement et la croissance socio-économique.
- le Président, dans la vie d’un homme politique, il y a une contrainte qui se pose à eux : entre choisir l’histoire et rester dans le cœur du peuple ou choisir le chemin de son ambition et rester attaché auprès de la gloire temporaire. Eh bien, s’il ne tenait qu’à demander mon avis, je vous conseillerai de choisir la première alternative, car, celle-ci ne pardonne aucun détail dans la vie d’un être humain. Ainsi, parmi vos camarades de lutte, il y a ceux qui ont donné le bon exemple à leurs peuples et ils sont restés éternellement dans le cœur et dans la mentalité de toute la population. Le meilleur bon exemple d’un leader politique dans la gestion d’un pays, est de se fixer des limites dans l’exercice de la fonction présidentielle, et de considérer le peuple comme ‘’une femme’’. Une femme qui revendique, réclame, suggère, qui pleure et qui est versatile quelque fois. M. le Président, le peuple de Guinée, notamment sa jeunesse vous demande de respecter les articles 27 et 154 de notre constitution pour le maintien de l’équilibre social et de la stabilité de nos institutions. Sachez que les chefs d’Etats qui ont marqué leurs peuples et qui ont laissé un héritage indescriptible ont utilisé de manière rationnelle des vertus peu connues et peu utilisées par bon nombre de vos collaborateurs qui souhaitent vous proposer ce projet suicidaire pour votre carrière d’homme d’Etat. De toute évidence, l’histoire de l’humanité retiendra à jamais le combat et l’héritage de Nelson Mandela, sur qui d’ailleurs vous vous identifiez comme l’un des défenseurs de ses convictions et sa vision du pouvoir politique. Ce grand homme déclara un jour que : « Les hommes qui prennent de gros risques doivent s’attendre à en supporter souvent les lourdes conséquences». C’est pour vous dire M. le Président que vous ne devez minimiser aucun détail dans le choix d’une décision pour l’avenir de notre pays; Madiba fut un homme admiré par toutes les générations à cause justement des valeurs pour lesquelles il s’est battu durant toute sa vie. Aujourd’hui, il sert de modèle dans son pays et pour le reste de l’humanité. « Son envie de donner l’exemple aux autres montre comment il a orienté sa Nation vers un idéal démocratique, une stabilité sociale et un développement harmonieux restera dans les annales de l’histoire ». déclarait, le Professeur émérite Paul Nantuya du centre africain pour les études stratégiques. Certains leaders à l’instar de Madiba ont donné un exemple élogieux au reste du monde et, ils ont adhéré de manière inconditionnelle aux valeurs comme : la démocratie, c’est-à-dire, l’alternance politique à la tête de leurs pays afin de préserver les grands acquis de gouvernance enregistrés au cours de leurs mandatures. Pourquoi pas vous aussi M. le Président ?
En outre, l’un des problèmes majeurs auxquels le continent africain est confronté est bel et bien la difficile alternance au pouvoir après l’échéance du dernier mandat. Certains parmi les dirigeants africains cherchent toujours à modifier les textes constitutionnels, ils s’interfèrent dans les organes de gestion à l’occasion des élections, ils refusent de respecter les résultats des urnes. Par conséquent, ils laissent derrière eux un chao total dans leurs pays respectifs : la famine, les déplacements forcés, les rebellions, la corruption, le détournement des deniers publics. Une étude du centre africain de recherche stratégique révèle que les pays qui mettent et respectent les limites des mandats pour les leaders sont moins sujet à des conflits armés que ceux dont les leaders restent en place indéfiniment. Je suis convaincu que vous n’envisageriez pas un tel projet pour notre pays pour lequel, vous vous êtes battu corps et âme pendant quarante ans.
- le Président, souvenez-vous de M. Joaquin Chissano qui a respecté les limites de son mandat. Il a été le 2ème Président du Mozambique, en fonction de 1986-2005. Lorsqu’il est entré en fonction, son pays était aux prises avec une guerre civile qui avait commencée en 1977. Il a effectué des changements radicaux, notamment le modèle économique du socialisme au capitalisme. En 1990, son pays a adopté une nouvelle constitution qui leur a permis d’établir un système politique multipartite et d’organiser des élections libres et transparentes. En 2001, cet homme aussi populaire annonça qu’il ne serait pas candidat aux prochaines élections. Il est rentré grandement dans l’histoire de l’humanité et celle de son pays. Il a continué à bénéficier de nombreux prix à travers le monde, notamment, le prix de réussite en leadership africain, qui depuis sa création n’a été décerné que cinq fois. C’est un don d’un montant initial de cinq milliards de dollar suivi de sommes annuelles de 200.000 dollar pour la vie. Vous avez toujours le temps de rentrer grandement dans l’histoire de ceux qui ont volontairement renoncé à la modification de leurs constitutions pour briguer une nouvelle mandature à la tête de leurs pays.
Cependant, en ce qui concerne le débat sur une éventuelle révision de la constitution du 07 mai 2010 adoptée par le Conseil National de la Transition (CNT), ma position va peut-être vous surprendre. Mais sachez qu’au-delà de tous les discours ténus dans toutes les langues, je suis l’un de ceux qui portent un regard critique sur ladite constitution à cause justement de deux bonnes raisons : sa conformité (a) aux réalités socio-politiques, économiques et culturelles de notre pays et sa légitimité (b) dans une large mesure.
- a) Sa conformité: Au-delà des mutations structurelles et sociétales effectuées dans notre pays, il faut souligner que certains articles de la constitution souffrent d’impertinences notoires et d’incohérences par rapport aux réalités socio-politiques et culturelles de notre pays. Je suis l’un de ceux qui adhèrent comme disciples aux idéaux du Pr. Lanciné Kaba, qui soutient qu’ « une constitution soigneusement réfléchie et élaborer par des spécialistes, choisis sur la base de leur compétence et leur intégrité sert de miroir pour le peuple afin de se projeter dans l’avenir. Une bonne constitution est à l’image de la société à laquelle elle s’applique ; elle en reflète les valeurs et tend à les améliorer. Les constitutions ont un caractère singulier, rare et manifeste. C’est pourquoi, il serait suicidaire de transposer le contenu d’une constitution à une autre. Pourtant, il n’y a pas trop de différence entre la constitution guinéenne et celle de la France ».
- b) Sa légitimité: Pour revenir à la légitimité de notre constitution, les argumentations peuvent varier selon la conviction des uns et des autres. Mais pour ma part, je soutiens que notre constitution souffre d’un déficit de représentativité, dans la mesure où elle fut adoptée non seulement dans une période exceptionnelle (la transition de 2008-2010) et par un organe peu crédible aux yeux de bon nombre de citoyens. C’est pourquoi, une révision souple de certaines dispositions après les élections législative courant 2019 me semble indispensable pour la permettre d’avoir une stabilité pour le bon fonctionnement de l’Etat et la donner un représentatif ou inclusif. Mais attention ! Certains articles intangibles, notamment les articles 27 et 154 ne doivent faire l’objet d’aucune modification. A défaut, laissez ladite constitution telle que vous l’avez trouvée, peut-être quelqu’un d’autre le ferai à votre place. M. le Président, pour revenir au vif du sujet, permettez-moi de vous dire que votre parcours académique, votre combat politique dans l’instauration de la démocratie en Afrique en général et, la Guinée en particulier ont sans nul doute été à l’origine de votre brillante accession à la magistrature suprême de notre pays en 2010 et votre réélection au premier tour de l’élection présidentielle de 2015.
Votre vision pour la Guinée nous a permis d’être témoin d’un bon nombre de réalisation, qui ont fait notre pays le carrefour des investisseurs nationaux et internationaux. Ces réalisations ont nombre desquelles, on peut citer :
Sur le plan diplomatique : Après vingt-six (26) ans de règne du Président Ahamed Sékou TOURE à la tête de la Guinée. Les relations diplomatiques de la Guinée avec certains Etats furent profondément dégradées à cause justement de l’orientation idéologique (le socialisme) du Président et, quelques abus du pouvoir… En 1984, après le coup d’Etat militaire du CMRN dirigé par le Président Lansana Conté, le pays a connu un bouleversement institutionnel et idéologique du parti d’Etat au multipartisme intégral, du socialisme au libéralisme. Quelques années plus tard, le pays devint le carrefour du narco trafique, le détournement des deniers publics, la corruption, l’extrême pauvreté, l’accroissement de la dette extérieure, le chômage etc. C’est pourquoi, votre accession au pouvoir fut une lueur d’espoir pour le peuple de Guinée. Votre fameux slogan ‘’La Guinée is back’’ est dore et déjà une réalité. Le pays a renoué des relations bi et multilatérales avec le reste du monde. Quelques progrès ont été enregistré à cet effet comme : l’obtention du PPTE, la représentativité de la Guinée dans le concert des Nations, votre élection à la tête de l’Union Africaine, votre leadership dans la résolution des conflits pour ne citer que ceci sont bien des raisons pour lesquelles vous devez réfléchir mille fois avant de poser n’importe quel qui puisse mettre à l’eau tous ces exploits.
Sur le plan économique : le pays dispose de nos jours de quoi attirer les investisseurs étrangers. Pour preuve, notre pays occupe une bonne dans le top des pays réformateurs de la sous-région raison pour laquelle, le rapport de la banque mondiale 2019 nous classe 152ème sur 190 pays. Par ailleurs, nous sommes sur le point d’atteindre une croissance de deux chiffres dans les prochains, et cela, malgré les péripéties sociétales et environnementales entachées à la marche de notre pays.
Sur le plan énergétique : de nombreux efforts ont été engagé justement sous votre clairvoyance. Le slogan ‘’Tè barafa tè bara siga’’ commence à être une histoire après la réalisation du barrage hydro-électrique de Kaleta et la vulgarisation de Souapiti, sans compter les micros barrages ; le pays se glorifie de plus en plus et a pris l’initiative d’électrifier les régions de l’intérieure du pays, y compris certains pays de sous-région.
De nos jours, vous avez lancé des reformes au niveau des secteurs qui sont entre autres : l’administration, l’armée, de la lutte contre la pauvreté, de la corruption etc. M. le Président, au regard de tous ces acquis de votre gouvernance, quel héritage aimeriez-vous laisser pour cette jeunesse qui vous regarde et qui vous fait confiance? Seriez-vous prêt être dans le lot de ceux qui ont monnayer leurs bilans contre un soulèvement ? Et est-ce que seriez-vous d’accord, que notre subisse le même sort que les années 1984 et 2008 ?
Pour finir, Permettez-moi, de vous rappeler cette assertion de Freeman Clarke : «La différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est suivante : le premier pense à la prochaine élection, le prochain à la prochaine génération ». M. le Président, le commun de l’immortel est l’imperfection de ses actions ou sa conduite vis-à-vis de ses prochains. Et sachez que toute chose à une fin, il faut juste choisir le bon cote de l’histoire. En attendant, la suite des évènements : « Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes car, si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant»
Je vous prie de croire M. le Président de la République, Pr. Alpha CONDE, en l’expression de mes sentiments fraternels.
Conakry, 5 mars 2019
Aly Souleymane Camara (Analyste politique, auditeur en
Master Sciences Politiques à L’Université Général Lansana
Conté de Sonfonia-Conakry).