Le général Awad Ibn Ouf, nouvel homme fort du Soudan, va tenter d’apaiser la contestation qui secoue le pays depuis près de quatre mois, mais risque de se retrouver sans soutien international vu son implication dans des crimes de guerre présumés au Darfour.

Dans une sobre déclaration retransmise jeudi à la télévision d’Etat, M. Ibn Ouf a annoncé la chute du régime d’Omar el-Béchir, à la tête du Soudan depuis près de 30 ans et dont il était l’un des proches depuis son arrivée au pouvoir après un coup d’Etat en 1989.

Né en 1950, ce militaire de carrière a également annoncé jeudi l’instauration pour deux ans d’un Conseil militaire de transition dont il a pris la direction.

Le général Ibn Ouf a occupé plusieurs postes dans les hauts rangs de l’armée et du ministère des Affaires étrangères. Il a notamment dirigé la section artillerie, avant de prendre les rênes des renseignements généraux de l’armée.

En 2010, il prend sa retraite et devient conseiller à l’ambassade du Soudan au Caire (Egypte) puis à Mascate (Oman

Omar el-Béchir (droite) regarde Awad Ibn Ouf (gauche) prêter serment après l’avoir nommé Premier vice-président, à Khartoum le 24 février 2019

En 2015, il revient en politique en tant que ministre de la Défense. En février dernier, M. Béchir le nomme Premier vice-président.

« Awad Ibn Ouf n’est pas seulement un haut-gradé de la vieille garde de Béchir, il est aussi l’un des rares dans l’armée à pouvoir maintenir la cohésion entre les différentes branches rivales de l’appareil sécuritaire du régime », explique à l’AFP Jérôme Tubiana, chercheur indépendant sur le Soudan depuis 20 ans.

« C’est même pour cela qu’il a été nommé ministre de la Défense en 2015 », rappelle-t-il. « A l’époque, il était même considéré comme plus proche du service de renseignement que de l’armée. »

– Sanctions américaines –

Le général serait à la fois proche des puissants services de renseignements (NISS) et des milices arabes janjawid qui ont mené la répression au Darfour, estime M. Tubiana.

En 2003, un groupe rebelle issu d’une minorité ethnique de la région du Darfour avait pris les armes contre Khartoum, accusant le gouvernement de marginaliser économiquement et politiquement leur communauté.

« Dans les années 2000, (Awad Ibn Ouf) dirigeait le service de Renseignement militaire et à ce titre, il a joué un rôle clé dans la répression au Darfour. Avec Salah Gosh (à la tête du NISS), il a notamment fondé la Garde-frontière, le premier corps paramilitaire dans lequel les Janjawid ont été intégrés » afin d’officialiser leur existence, précise-t-il.

Awad Ibn Ouf est sous le coup de sanctions américaines en raison de « son rôle, en tant que chef des renseignements militaires, dans l’organisation d’attaques contre les civils au Darfour », souligne l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch.

  1. Ibn Ouf a été « lié à des violences, atrocités et abus des droits humains » au Darfour, a déclaré en mai 2007 Washington, qui a gelé ses biens et avoirs sur le sol américain.

Omar el-Béchir lui-même est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre » et « contre l’humanité » et « génocide » au Darfour, où un conflit a fait plus de 300.000 morts depuis 2003 selon l’ONU.

Des centaines de milliers de personnes continuent d’y vivre dans des camps de réfugiés.

– « Faible » –

Selon des experts, M. Ibn Ouf pourrait ne pas rester longtemps à la tête du Conseil militaire de transition.

Le ministre soudanais de la Défense Awad Ibn Ouf (à gauche) et le président Omar el-Béchir (à droite), au palais présidentiel à Khartoum le 14 mars 2019

Le général a en effet pris de nombreuses décisions concernant les forces armées par le passé, mais « la tâche (politique) qui s’annonce ne sera pas facile » à accomplir, explique un analyste sous couvert de l’anonymat.

« La colère des manifestants va être un défi continu », ajoute-t-il.

Déjà dans les rues de Khartoum, des manifestants promettent « de s’assurer qu’il démissionnera ». « Ibn Ouf est faible », ajoute l’un d’entre eux, refusant de donner son nom pour des raisons de sécurité.

AFP