En prélude de la fête internationale de la liberté de la presse du 03 mai, les associations de presse et journalistes se préparent dans des conditions tant bien que mal pour célébrer cette fête qui leur est dédiée. Dans cette interview exclusive que le Président de l’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL), Amadou Tham CAMARA nous a accordé, l’accent a été mis sur les conditions de vie et de travail des journalistes ainsi que le classement de Reporters Sans Frontières dans le monde cette année.
Maguineeinfos.com : Le 03 mai de chaque année est célébrée comme la fête internationale de la liberté de la presse. En Guinée, quel est l’état des lieux de cette corporation ?
Amadou Tham Camara : Je pense que la presse est à la croisée des chemins. L’environnement économique est très difficile pour l’évolution des entreprises de presse parce que le marché publicitaire est trop réduit, la subvention que l’Etat accorde aux médias privés est dérisoire. C’est ce qui fait que les entreprises de presse ont des difficultés économiques pour faire face aux besoins de leurs travailleurs que sont les journalistes. Et il y a aussi le traitement de l’information qui parfois est incomplet. Donc, il faut qu’il y ait une bonne santé de l’économie devant permettre aux médias de régler certains besoins auxquels ils font face dans leur progression. Sur le plan purement juridique, je peux dire aujourd’hui fort malheureusement, il y a beaucoup de plaintes de diffamation contre les journalistes parfois posés par des ministres de la République. Et cela est tout à fait leur droit le plus absolu mais ce qui est inacceptable, c’est quand il y a des détentions préventives contre ces hommes de médias. Quelque chose déjà qui est une violation de la loi sur la liberté de la presse qui dépénalise le délit de presse en Guinée. Malheureusement, cela est plusieurs fois répété cette année avec une mauvaise image que les gouvernants ont sur la presse. Cette situation a d’ailleurs attiré l’attention des Reporters Sans Frontières dans son classement mondial des pays sur la liberté de la presse. En Guinée, nous sommes en construction d’une démocratie, il est évident que les dirigeants comprennent que la presse est le baromètre voire même un pilier incontournable dans cette démocratie.
Etant président de l’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL), qu’est-ce qui est prévu comme activités cette année ?
Cette année, le Ministère de la Communication a souhaité qu’il n’y ait pas d’action séparée, il y a une seule presse, une et indivisible et que toutes les actions soient faites de concert. Nous avons été reçus, c’est-à-dire le Bureau Exécutif de l’AGUIPEL par le ministre de la communication et tout son cabinet afin de nous demander de joindre à eux pour une fête commune. Pour ce faire, il y a tout d’abord l’inauguration de la nouvelle maison de la presse qui est maintenant à Kipé, un symposium à l’hôtel Sheraton présidé par Amara Somparé au cours duquel il va avoir des échanges fructueux sur l’état des lieux de la presse ainsi que d’autres sujets. Ces échanges seront animés par des éminents journalistes notamment Boubacar Yacine Diallo.
Qu’elle est la nouveauté surtout cette fois-ci par rapport aux années précédentes ?
La particularité cette année, c’est que la fête est considérée comme une seule fête. A l’époque, tant tôt on faisait sous l’initiative de la HAC, du ministère de la communication ou encore les associations de presse à part entière. Mais cette fois-ci, elle est simplement unique, un acte à apprécier solidairement.
Cette année 2019, Reporters Sans Frontières dans son classement mondial des pays sur la liberté de la presse, la Guinée a occupé la 107ème place sur 180 pays. Quel est votre regard là-dessus ?
C’est une dégringolade à mon avis. C’est une chute vraiment car tout n’est pas fait pour que la Guinée soit bien notée à cause de ses multiples violations de la loi sur la liberté de la presse. Il y a tant tôt des plaintes intempestives, au même moment où le pays a besoin de journaliste de qualité, le président nous demande à ce qu’il y ait des journalistes d’investigation. Mais à chaque fois qu’il y a une enquête concernant un ministre, c’est directement une détention préventive pour l’enquêteur. Et là on se pose des questions à savoir est-ce qu’on veut une presse qualifiée ? Si oui, il faut que les décideurs sachent que les journalistes font ce métier en respectant les lois qui régissent le fonctionnement des médias et surtout sur la base de la documentation. C’est pourquoi, quand il y a une révélation faite par les journalistes d’investigation, ils ne doivent pas être amenés en prison sinon on est en contradiction à ce que l’on veut qu’ils deviennent. Mais quand il y a souvent des arrestations intempestives souvent, cela va donner une mauvaise note et un mauvais classement vis-à-vis des Reporters Sans Frontières.
Aujourd’hui, des journalistes exercent ce métier dans des conditions très difficiles du point de vue des conditions de travail et de vie. Que doivent faire les patrons de presse pour soulager ces journalistes afin qu’ils puissent faire leur travail correctement dans le professionnalisme ?
La question est totale et entière. C’est que les patrons de presse sont aussi tributaires de l’environnement économique parce qu’aujourd’hui, une entreprise de presse ne vit que de la publicité et de la subvention. Donc, si l’entreprise n’a pas cela, soit elle recrute les journalistes sans pouvoir les payer ou encore leur donner un salaire dérisoire. Alors c’est une question qui reste dans l’esprit des gens qui évoluent dans ce domaine, soit vous prenez peu des journalistes afin que vous les payer mieux dans l’optique qu’ils travaillent bien ou encore vous prenez beaucoup sans atteindre leurs objectifs car, les journalistes sont avant tout des êtres humains qui ont aussi des besoins à faire face. En plus, les conditions de travail ne sont pas au rendez-vous pour permettre aux journalistes d’être outillés considérablement dans l’accomplissement de leur mission. Je pense que cette situation doit être réglée une fois de plus pour garder une bonne image à la presse.
Au-delà de ces réalités, beaucoup de journalistes pratiquent ce métier sans aucun contrat de travail avec leur organe. Pourquoi cette attitude selon vous ?
Ce n’est pas normal. Cela veut dire que le journaliste n’est pas en sécurité. Il faut que tout se tienne dans les normes. Mais il est également important de s’interroger est-ce que l’entreprise de presse même est apte à payer ses travailleurs à travers des contrats de travail bien ficelés ? Ou elle est capable de pouvoir faire immatriculer ces journalistes à la caisse nationale de la sécurité sociale ? De payer les impôts ? Etc. Pour résoudre ce problème, il faut que le journaliste réponde aux besoins de l’entreprise et aussi le patron puisse faire tout son possible pour signer un contrat de travail avec l’employé car l’écosystème médiatique guinéen est très vaste. Une fois encore, cette question est pertinente et a tout son pesant d’or.
Quelles sont les actions de l’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL) dans ce domaine de presse en ligne ?
Vous savez quand on commençait tout cela, la presse en ligne n’était pas une presse qui a un vrai sens aux yeux de certains. Elle n’était pas également reconnue par l’Etat, le gouvernement. Mais à travers un travail depuis des années, nous sommes à un niveau où cette presse en ligne est une presse à part entière et reconnue comme tous les autres types de presse notamment la radio, la télévision et la presse écrite. Et de surcroît, le support qu’on utilise c’est Internet, on fait de tel sorte que tous les autres types de médias puissent être retrouvés dedans. Ainsi, nous comptons faire mieux dans les années à venir.
Quels conseils avez-vous à donner aux journalistes et aux responsables des médias ?
Aux journalistes, je vais leur demander plus de responsabilité, c’est vrai que les moyens manquent mais il ne faudrait pas que la morale soit oubliée. Chacun doit être responsable de sa propre conscience. Il faut aussi qu’ils traient les informations de façon équilibrée, impartiale et objective.
Aux responsables de presse, c’est de se battre pour trouver des moyens afin de prendre les journalistes avec un salaire décent. Faire tout possible pour être dans les normes vis-à-vis de la loi afin d’éviter les dérapages administratifs.
Interview réalisée par Adama Bantignel Barry pour maguineeinfos.com