Je vous le dis tout de suite, je trouve ces méthodes détestables. On ne sacrifie pas ses adversaires sur l’autel de la haine et de la vindicte populaire en raison de leur opinion politique. Sur ce, je vous fais partager plus généralement mon avis ci-dessous :

1. Traiter ces personnes de promoteurs d’un « 3ème mandat » est impropre et faux. Il ne peut pas y avoir de troisième mandat en Guinée en l’état actuel des choses. Il est possible que le Président actuel reste au pouvoir. Dans ce cas de figure, il ne s’agira pas de 3ème mandat mais d’une possibilité qui découlerait d’une nouvelle constitution car celle en vigueur actuellement ne le permet pas. On peut toujours me dire que j’aime ergoter sur des détails, oui je revendique ce puritanisme dans un pays où la rigueur est vue comme un fardeau. Moi, je la porte chevillé au corps. Excusez la prétention.

2. Je crains que le texte qui accompagne cette liste serve la cause de ses rédacteurs. Par-delà la syntaxe très approximative, des fautes de grammaire et la forme très alambiquée (exemple : droit constitutionneLLE (sic), cicatriser le lourd tribut (re-sic)…), ce qui est inquiétant, c’est le fond. Et ce, à plusieurs égards : d’abord, les auteurs ne semblent pas comprendre les enjeux du débat, pourtant mille fois discutés sur le plan juridique. Ils continuent à parler de modification constitutionnelle, là où tout le monde a compris qu’il s’agit désormais d’écriture d’une nouvelle constitution. Ce serait bien qu’ils se réveillent. Ensuite, ils réécrivent l’histoire sociopolitique récente de notre pays avec des raccourcis incroyables et en imputant tous les troubles socio-politiques au tripatouillage constitutionnel et la junte. Sauf que le texte se contredit en parlant de centaines de mort et de violation des droits des personnes depuis 2011. Or l’année 2011 est postérieure aux deux périodes citées. Bref, passons…

3. Ensuite, il est pour le moins assez curieux de voir des défenseurs du Droit et de la démocratie en Guinée, en tous cas ceux qui s’en réclament, dénier à d’autres Guinéens le droit de ne pas être d’accord avec eux. Cela rappelle la célèbre formule de Saint Just : « point de liberté pour les ennemis de la liberté ». L’attitude de certains membres du collectif FNDC en établissant cette liste ad hominem de vingt personnes – pour l’essentiel, des hauts fonctionnaires de l’Etat – s’inscrit dans cette démarche où selon l’un des porte-paroles, l’idée serait de la transmettre « au niveau de la CPI dans sa section « persécution de crime de masse » (sic) ». Vous avez bien lu « persécution de crime de masse ». On est soit chez les fous, ou chez des amuseurs publics. Dans l’un ou l’autre cas, ce n’est pas très drôle pour moi car il s’agit de l’avenir du pays qui se construira, bon a mal an, avec une partie de ses activistes médiocres. C’est très inquiétant.

4. De plus, mon avant-dernier point interpelle toutes les bonnes âmes qui se battent contre la possibilité d’une nouvelle constitution. Beaucoup d’entre vous sont mes amis et je ne doute pas de votre sincérité. Votre lutte légitime et noble, tout autant que celle de vos adversaires, risque d’être salie par la bêtise de vos propres alliés. Pour reprendre une autre formule attribuée à Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur de Chirac : « avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis ». L’idée que vous puissiez être associés à une telle manœuvre aussi grossière dessert votre combat et vous affaiblit, à mon sens. Il est temps pour les plus courageux d’entre vous de vous désolidariser de cette liste honteuse. A y regarder de près, j’ai l’impression que le FDNC est un patchwork où il n’existe pas réellement de ligne directrice cohérente. Le seul dénominateur commun, c’est l’opposition à la nouvelle constitution. D’ailleurs, si l’on veut arrêter une seconde l’hypocrisie disons que le vrai sujet n’est même pas la nouvelle constitution mais le sort du Président actuel. Le vrai clivage est entre ceux qui veulent que le Président AC reste au pouvoir et ceux qui veulent l’y voir partir en 2020. Je fais le pari si le Président Alpha Condé déclarait ne pas vouloir rester au pouvoir au-delà de 2020 et en même temps ouvrait le chantier de la nouvelle constitution, tous les « Amoulanfé » applaudiraient des deux mains. Ce point est difficilement contestable.

5. Enfin, j’aimerais dire une dernière chose : ce n’est ni la délation, ni les intimidations, d’aucune sorte et de quelque bord que ce soit qui fera avancer le « schmilblick ». La haine, la brutalité et le mensonge ne sont pas des recettes durables. Investissons d’autres champs plus vertueux et nobles. Notre pays traverse un moment historique de sa maturation démocratique. Les débats et les joutes juridiques de ces derniers jours honorent leurs auteurs. Il reste néanmoins une question grave : comment sortirait-on de cette séquence ? Par le haut par la hauteur de vue et la responsabilité des acteurs politiques et sociaux, ou par le bas, avec son corollaire de désolation pour un peuple, certes résilient, mais tellement balafré par tant de souffrances. Songeons-y.

Sayon Dambélé