« Depuis le début de ce débat sur l’article 51 de la constitution, bon nombre de mes étudiants anciens et actuels ont demandé ma position sur cette question. Par cet article, j’exprime ma position sur le plan strictement du Droit ».

Le président de la république peut-il prendre l’initiative d’une nouvelle constitution en Guinée ?

La réponse à la question ci-dessus divise les juristes guinéens et contribue à entretenir une confusion totale autour des textes constitutionnels guinéens. Parmi les différentes positions, il est louable de soumettre celle du Professeur Zogbelemou qui accentue la division des juristes sur les questions liées au fondement juridique d’une nouvelle constitution.

Pour le professeur Zogbelemou, le président de la république dispose la compétence de soumettre au referendum une nouvelle constitution sur le fondement de l’article 51 de la constitution. Pour justifier le fondement légal de l’adoption d’une nouvelle constitution, le professeur note : « … les constitutions ne prévoient généralement que les modalités de leur révision ; quant a l’adoption d’une nouvelle constitution, aucune ne l’interdit… la constitution de 1787 ne peut constituer une règle, encore que dans ce cas il y a eu plus d’une vingtaine d’amendements.»

Dans ce sens, s’il est vrai qu’aucune constitution n’interdit l’adoption d’une nouvelle constitution, il est aussi vrai qu’aucune constitution ne consacre les modalités et procédures d’établissement d’une nouvelle constitution. En effet, les constitutions sont établies pour se pérenniser. C’est pourquoi les constitutions admettent la possibilité de leur adaptation aux réalités qu’elles régissent. C’est par cette possibilité d’amendement ou de révision que la constitution américaine ait survécue au temps.
Il faut également noter que, parlant d’une nouvelle constitution, le professeur donne l’exemple de la constitution américaine qui a connue 26 amendements de 1787 à nos jours soit 232 ans. Cet exemple semble être inapproprié, car il s’agit des amendements (révisions) et non de nouvelles constitutions. Il est évident que depuis 1787, les Etats Unis d’Amériques gardent toujours la même constitution de 1787.

Ensuite, le professeur ajoute : « … conformément aux articles 51 et 152 de la constitution 2010, l’initiative de proposer au référendum un texte constitutionnel appartient au président et aux députés, qu’il s’agisse d’une révision constitutionnelle ou d’une nouvelle constitution …»

Sur ce point, Il est nécessaire d’inviter le professeur Zogbélémou à relire les dispositions de l’article 51 de la constitution de 2010. En effet, l’article 51 ne mentionne pas l’expression ‘’texte constitutionnel’’. Il parle de projet de loi. Or, un projet de loi selon le lexique des termes juridiques est un « texte d’initiative gouvernementale soumis au vote du parlement. » c’est-à-dire une loi d’origine gouvernementale qui touche les matières relevant du domaine de la loi (article 72 de la constitution). Le projet de loi peut porter soit, sur une loi ordinaire, soit sur une loi organique. Par conséquent, le projet de loi n’est pas assimilable ni à la révision de la constitution, ni l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Ainsi, en remplaçant l’expression projet de loi employé par le constituant originaire par l’expression ‘’un texte constitutionnel,’’ employé par le professeur Zogbolemou, on biaise le droit, tout en créant la confusion.

Que dit l’article 51 de la constitution ?

Dans l’article 51 de la constitution, on peut lire : « le Président de la République peut, après avoir consulté le Président de l’Assemblée Nationale, soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité.
Il doit, si l’Assemblée Nationale le demande par une résolution adoptée à la majorité des deux tiers des membres qui la compose, soumettre à référendum toute proposition de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou concernant les libertés et les droits fondamentaux. Avant de convoquer les électeurs par décret, le président de la république recueil l’avis de la cour constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la constitution.
En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum. La cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum. Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition, la loi ainsi adoptée est promulguée dans les conditions prévues à l’article 78.»

Que dit l’article 78 de la constitution ?

L’article 78 alinéa1 dispose : « Après son adoption par l’Assemblée Nationale, la loi est transmise sans délai au président de la République. »

A la lecture de L’article 51, on se rend aisément compte qu’il s’agit d’un référendum législatif. Autrement dit, un référendum pour adopter la loi ordinaire, car la promulgation d’une loi ordinaire n’est pas assortie du contrôle de conformité a la constitution contrairement a une loi organique.

Une autre difficulté de soumission du projet de nouvelle constitution se trouve dans l’article 51 alinéas 4,5 et 6 :
« Avant de convoquer les électeurs par décret, le président de la république recueil l’avis de la cour constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la constitution.
En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum. La cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum. »

A la lecture de l’article 51, on se rend compte que nous sommes devant une loi, c’est pourquoi le constituant exige sa conformité à la constitution. Il ne s’agit pas ici d’un projet d’une nouvelle constitution. Il est certain que les dispositions de la nouvelle constitution ne sauraient être conformes à La constitution en vigueur en Guinée. Donc, il ne peut être procédé au referendum pour adopter une nouvelle constitution. Le projet de la nouvelle constitutionnelle serait déclaré par la Cour Constitutionnelle non conforme à la constitution.

Quel est le fondement constitutionnel du référendum législatif ?

Le fondement du référendum législatif se trouve dans l’article 2 alinéa de la constitution qui dispose : « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum. »

La fonction des députés est de voter la loi et de contrôler l’action du gouvernement par le mécanisme de la souveraineté déléguée. Mais l’article 2 de la constitution permet au peuple d’exercer directement la souveraineté en matière législative en se substituer a ces représentants.

Le domaine de l’article 51 est bien fixé par le constituant dans son alinéa premier. Il s’agit de loi portant sur :
 l’organisation des pouvoirs publics ;
 la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux ;
 l’action économique et sociale de l’Etat ;
 tendant à autoriser la ratification d’un traité.

Les quatre éléments visés par l’article 51 relèvent du domaine parlementaire (loi) .Ceci signifie que l’article 51 de la constitution ne parle pas d’un projet de loi constitutionnelle, ni l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Il est nécessaire de noter que l’article 51 donne au peuple la possibilité de substituer aux représentants dans l’exercice de certaines compétences législatives consacrées par l’article 72 de la constitution. Dans ce cas, le peuple n’exerce qu’une partie de la compétence législative.

Que dit l’article 152 de la constitution 2010 ?

A la lecture des dispositions de l’article 152 alinéa 1 de la constitution du 7 mai 2010, il est aisé de comprendre qu’il s’agit de l’initiative d’une révision de la Constitution qui appartient concurremment au Président de la République et aux Députés.

Attention, il ne faut pas confondre la révision constitutionnelle et l’élaboration d’une nouvelle constitution. Une révision constitutionnelle porte sur une ou plusieurs dispositions d’une constitution. Elle n’a pas pour objet de faire disparaître la constitution en question au profit d’une nouvelle constitution.

Au vu de ce qui précède, on peut affirmer sans risque de se tromper, que le président de la République n’a pas l’initiative de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Il en est de même pour les députés.

Mais qui a l’initiative d’une loi constitution en Guinée ?

Comme on le sait, au sens de l’article 2 la constitution, la souveraineté nationale appartient au peuple. Est-ce que par le biais de la souveraineté du peuple, une nouvelle constitution peut-elle être élaborée ?

La réponse a cette question est donnée par l’article 2 alinéa5 de la constitution. L’article 2 alinéa5 de la constitution dispose : « la souveraineté s’exerce conformément à la présente constitution qui est la loi suprême de l’Etat. »

Par conséquent, la constitution ne donne pas la possibilité aussi au peuple d’élaborer une nouvelle constitution. Elle ne donne que la possibilité de révision constitutionnelle.
Les partisans d’une nouvelle constitution tirent le fondement de leurs arguments sur la nécessité de réduire le nombre des institutions constitutionnelles et renforcer le caractère panafricain de la constitution. Pour atteindre cet objectif, il faut procéder à la révision de la constitution qui trouve son fondement dans l’article 152 de la constitution.

Au vu des arguments avancés par le Pr Zogbelemou, on peut affirmer que sa position sur l’article 51 biaise le droit.

Enfin, le remplacement d’une constitution par une autre est un accident mortel de la vie constitutionnelle, car une constitution est élaborée pour toujours. La constitution des USA de 1787 est un exemple éloquent.

Dr Alhassane MAKANERA Kaké