Souvent dans la vie, l’ennui de la routine ponctué de manière fugace par des moments de bonheur est brutalement interrompu par des évènements dramatiques. C’est cela le tragique de la vie. Cruelle et cynique. La mort brutale de Dr Mamoudou Barry participe de cette rupture aussi violente qu’inattendue que procure toute disparition. A ceci près que la sienne reste insupportable tant l’ignominie du racisme et la lâcheté qui l’ont accompagnée rendent inconsolables sa famille, ses amis, nous – ses compatriotes – et plus généralement tout être normalement constitué.
Dr Barry, homme de réflexion – il était Docteur en Droit, spécialisé sur les politiques fiscales et les investissements miniers – a voulu mettre en avant son intellect et le sens du dialogue en allant demander les raisons des propos racistes qui lui étaient adressés, là où son bourreau n’était mû que par la barbarie, la haine et l’immédiateté des coups face à un homme au physique gracile. Ce bourreau, un homme de 29 ans, d’origine turque, ayant reconnu être l’auteur des coups, a été arrêté. Puisse la justice se faire à la hauteur du forfait commis.
Au-delà de l’amertume générale et légitime, cet épisode douloureux offre quelques enseignements :
1. La mort de Dr Barry est une illustration dramatique de la réalité du racisme anti-noir en Occident. Cette forme de racisme proviendrait bien sûr d’une frange des « Blancs », type caucasien et évidemment d’une partie de la communauté arabe. Si les Noirs ont en partage avec les Arabes, l’expérience de la discrimination et les formes plus ou moins subtiles du racisme, la particularité des nôtres, c’est qu’ils cumulent un double voire triple rejet dans une partie des autres communautés (blanche, arabe ou asiatique). Je dis bien une partie de ces communautés.
2. Justement, il faut se garder de toute généralisation sur ce sujet. Vivant depuis près de 15 ans en France, y travaillant et en ayant des attaches familiales ancrées dans la société française, il est évident que je ne peux nier l’existence du racisme. Pourtant, doit-on conclure que tous les européens de souche seraient racistes ? Pour le cas qui nous concerne, l’une des leçons à retenir, c’est de ne pas se laisser trop porter par des émotions au point d’oublier la raison, le sens de la mesure, de la vérification et même d’une certaine décence. Ceux qui ont conclu à un crime « algérien » se sont trompés lourdement. Ils sont encore moins blâmables que ceux qui ont jeté l’opprobre sur toute la communauté maghrébine. Le sentiment anti-algérien et plus globalement anti-arabe qui en a résulté est consternant et contreproductif. Quand bien même le suspect serait Algérien, tous les Algériens devraient-ils être comptables de la bêtise et de la haine d’un de leur compatriote ? Depuis quand toute une communauté, sans exclusive, peut être porteuse d’une haine aveugle contre les Noirs ? Evidemment que c’est stupide. De ce point de vue, les appels à la mobilisation devant l’ambassade d’Algérie, heureusement que la suite des évènements les ont annulés, doivent cesser. La métonymie, procédé qui consiste à prendre une partie pour le tout, n’est pas une figure de style vertueuse dans la vie réelle.
3. Pour une fois, les médias français, si souvent indifférents aux sorts de nos compatriotes, ont joué leur rôle. Celui-ci a été certes potentialisé par la puissance des réseaux sociaux.
4. Enfin, j’aimerais terminer mon post par une note de satisfaction personnelle. Les Guinéens dans cette affaire ont été parfaits. Je suis fier de mes compatriotes, de vous, qui, comme un seul homme, au-delà de toute considération, vous êtes mobilisés et avez marqué une solidarité sans faille à la victime et à sa famille. Plusieurs mobilisations pacifiques sont prévues ce vendredi à Rouen, samedi à Paris sans compter la cagnotte qui a été spontanément ouverte. C’est en ces pareilles circonstances qu’on se dit que le ciel n’a pas encore totalement abandonné notre pays.
Nous avons encore une âme, un souffle commun. N’est-ce pas cela la nation ? Tâchons de multiplier ces moments de vertu collective.
Sayon Dambélé