Dans une deuxième tribune relative au débat concernant un projet de changement de constitution en Guinée, le Professeur Togba Zogbélémou réitère sa position sur l’article 51 de la Constitution qu’il considère comme « la base légale de tout projet de nouvelle constitution que le Président de la République pourrait présenter au peuple de Guinée ».

Au prime abord, il est important de relever que nul ne conteste ou remet en cause le principe de la souveraineté des Etats et un de ses corolaires, le droit pour chaque peuple de se doter des textes qui lui conviennent.

La société évolue et les règles qui la régissent doivent évoluer avec elle.

En conséquence, revenir sans cesse sur la notion de souveraineté du peuple comme celle-ci était contestée ressemble étrangement à un appel du pied destiné aux “ souverainistes“ pour les inciter à adhérer au projet de changement de constitution et à grossir les rangs des partisans d’un éventuel 3ème mandat pour le Président de la République.

Comme l’a indiqué le Sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines, la souveraineté de chaque Etat est à respecter et chaque Etat est libre de se changer sa constitution à sa guise. Mais il y a « un problème » lorsqu’il apparait évident qu’un changement de constitution n’a d’autre but que d’empêcher l’alternance politique.

C’est pourquoi, il est impossible de mener le débat relatif à un projet de changement de constitution sur le terrain strictement juridique sans se préoccuper des conséquences politiques d’un tel projet. Toute réforme législative ou constitutionnelle est basée sur un objectif précis. Cet objectif ne peut pas être isolé de la réforme et il est aussi sinon plus important que la réforme elle-même. L’objectif d’une réforme n’est pas seulement celle qui est affichée. C’est aussi celle que l’on peut essayer de dissimuler pour ne pas faire échouer la réforme.

En ce qui concerne la base juridique du projet de changement de constitution en Guinée, le débat était axé sur l’article 2 de la Constitution jusqu’au moment où le Professeur Togba Zogbélémou a invoqué les dispositions de l’article 51 comme celui qui pourrait servir de base à un changement de constitution.

Dans sa récente tribune, il situe le débat au niveau de deux points essentiels : le sens qu’il faut donner à l’expression « projet de loi » d’une part, et d’autre part l’objet et la portée de l’avis de la Cour constitutionnelle.

Sur le premier point : comme dans la précédente tribune, l’auteur fonde son argumentation sur le fait que l’article 51 de la Constitution, en parlant de « projet de loi », ne distingue pas entre loi ordinaire, loi organique et loi constitutionnelle.

Mais il a été indiqué qu’en droit, la notion de « projet de loi » a une définition très précise et unanimement admise à moins qu’il ne soit démontré que cette expression a une autre signification.

Pour réfuter cet argument, il soutient que la définition donnée par le Lexique des termes juridiques de la notion de « projet de loi » ne lui fait pas produire d’effets juridiques en ce sens qu’il s’agirait de la doctrine.
Personne ne conteste que la doctrine est une source indirecte ou subsidiaire de la règle de droit en ce sens qu’elle n’a pas vocation de créer directement la règle droit à l’instar de la loi ou du règlement. Elle permet tout simplement d’analyser et de comprendre la règle de droit. Mais elle sert aussi de source d’inspiration pour le juge et pour le législateur.

Mais il faudrait bien que l’on s’entende sur la notion de doctrine.

En effet, la doctrine n’est rien d’autre que l’opinion des auteurs qui écrivent dans le domaine du droit et, par extension, l’ensemble des auteurs (Lexique des termes juridiques).
Cela étant précisé, on peut dire qu’un lexique de termes juridiques ou un dictionnaire du vocabulaire juridique ne constitue pas une œuvre doctrinale en tant que telle dans la mesure où il ne referme pas les opinions de tel ou tel auteur sur la définition de tel terme ou expression juridique.
Ce sont des ouvrages qui contiennent des définitions admises par tous les auteurs dans leurs différents domaines de spécialités.
Les définitions contenues dans un lexique ou dans un dictionnaire de termes juridiques ne peuvent pas varier d’un auteur à un autre de même qu’elles ne peuvent résulter de l’opinion de tel ou de tel auteur. Sinon, il n’y aurait pas un lexique ou un dictionnaire de termes juridiques ou alors chaque auteur aurait son lexique ou son dictionnaire à lui.

Pour revenir à la notion de « projet de loi », la définition majoritairement pour ne pas dire unanimement admise est celle-ci :

– « Texte d’origine gouvernementale comportant un exposé des motifs et un dispositif soumis à la délibération parlementaire en vue d’être voté pour devenir une loi » (Dictionnaire du vocabulaire juridique 10ème édition 2019).

– « Texte d’initiative gouvernementale soumis au vote du parlement » (Lexique des termes juridiques 25ème édition).

– « Texte proposé pour être adopté par le parlement ou le peuple comme loi et émanant du l’initiative gouvernementale » (Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant).

Dans tous les ouvrages ci-dessus cités, l’expression « projet de loi » a la même définition malgré l’emploi par endroit de mots différents. Il n’existe donc pas milles définitions de la notion de « projet de loi ».

Dès lors, le constituant n’avait pas besoin de distinguer dans la mesure où ou la définition de l’expression « projet de loi » est très précise en droit.

Reprocher dans ces conditions à ceux qui contestent l’article 51 comme base légale d’un changement de constitution de distinguer là où la loi n’a pas distingué est tout simplement une erreur d’appréciation.

En réalité, l’article 51 ne peut pas être à la base légale d’un changement de constitution.
Dans l’exemple de la France, l’usage de l’article 11 en lieu et place de l’article 89 de la Constitution pour la révision constitutionnelle de 1962, le Professeur Togba Zogbélémou n’a pas manqué de rappeler que le Comité consultatif créé en 1962 et dirigé par le Doyen Georges Vedel avait plutôt recommandé l’utilisation de l’article 89, équivalant de l’article 152 de la Constitution guinéenne, en lieu et place de l’article 11, équivalant de l’article 51 de la Constitution guinéenne, pour la révision constitutionnelle et non pour l’élaboration d’une nouvelle constitution.

En effet, en 1962, le Général De Gaulle voulait tout simplement réviser la Constitution et, pour y arriver, a fait recours aux dispositions de l’article 11 de cette constitution. Il n’était nullement question de l’élaboration d’une nouvelle constitution.

En claire, c’est comme si on recommandait en Guinée l’utilisation de l’article 152 de la Constitution pour une révision constitutionnelle et non l’article 51 qui n’est pas destiné à cela.
En d’autres termes, l’article 51 de la Constitution ne permet même pas une révision constitutionnelle, domaine de l’article 152, à plus forte raison l’élaboration d’une nouvelle constitution.

En tout état de cause, même en France, l’article 11 de la Constitution de 1958 n’a jamais été utilisé en vue de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Or c’est tout à fait le contraire que suggère le Professeur Togba Zogbélémou. Il prend l’exemple de la France qui a utilisé en 1962 l’article 11 de la Constitution pour procéder à une révision constitutionnelle et non pas à l’élaboration d’une nouvelle constitution et propose que l’équivalant du même article soit utilisé en Guinée en vue de l’élaboration d’une nouvelle constitution.

Si l’exemple de la France doit être retenu, il doit se limiter à l’objet qui était visé par l’emploi de l’article 11 c’est-à-dire une révision constitutionnelle.

Les constatations qui viennent d’être faites démontrent à elles seules que l’argument tiré de l’exemple français est inopérant.

En ce qui concerne l’exemple du Sénégal, les critiques ont été quasiment les mêmes lorsque le changement de constitution intervenu sous le premier mandat du Président Abdoulaye Wade a été conduit sur la base d’un texte relatif au référendum législatif, en dépit de l’avis favorable du Conseil constitutionnel. Et d’ailleurs, le Constituant a finalement tenu compte de ces critiques en indiquant qu’une loi constitutionnelle pouvait être adoptée sur la base du texte concernant le référendum législatif. Ainsi, il a étendu les domaines dans lesquels le Président de la République pouvait directement soumettre un texte au vote populaire.

Tel n’est malheureusement pas le cas en Guinée où le référendum législatif est resté un référendum législatif c’est-à-dire un procédé d’adoption d’un loi ordinaire.

Sur le deuxième point : l’objet et la portée de l’avis de la Cour Constitutionnelle :
Dans la tribune du Professeur Togba Zogbélémou, il est indiqué que le contrôle de conformité confié à la Cour Constitutionnelle n’est pas un contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires ou organiques.

Mais quel que soit l’objet du contrôle exercé par la Cour, une question demeure : quelle est la règle qui sert de référence à la Cour Constitutionnelle pour exercer son contrôle ? C’est bien évidemment la Constitution.

En tout état de cause, qu’il s’agisse d’un contrôle de conformité ou de constitutionnalité, le texte à soumettre au peuple conformément à l’article 51 de la Constitution est une loi ordinaire et non une Constitution.

Les lois ordinaires sont votées selon deux voies : la voie parlementaire et la loi référendaire. L’adoption de la loi par voie parlementaire (article 72 et suivants de la Constitution) et la loi référendaire (article 51 de la Constitution).

Le pouvoir spécial que confère l’article 51 au Président de la République consiste tout simplement à faire voter directement une loi par le peuple à ne passant pas par la voie ordinaire c’est-à-dire un vote parlementaire. Pas plus. C’est donc une entreprise malaisée que de faire dire à l’article 51 ce qu’il ne dit pas.

Me Mohamed Traoré, Avocat