Interrogé sur la situation du système éducatif guinéen, le Secrétaire général du Syndicat Nationale de l’Education (SNE), d’après son regard, pense que rien ne semble aller jusqu’à ce jour. Partant des 12 à 13% comme budget alloué à ce secteur, le mépris du gouvernement Condé à faire face à la résolution de certains problèmes comme la formation des formateurs, la rénovation ou la construction des infrastructures, la situation des contractuels, le manque d’extension des universités publiques et tant d’autres, M. Balamou estime que, malgré l’augmentation des 200% sur le salaire des enseignants, cela reste insuffisant comparativement à ce secteur de l’énergie, où 3 milliards de dollars sont investis. D’où son appel à l’endroit du gouvernement à plus de volonté politique afin que l’éducation guinéenne, soit sortie de son état comateux dans lequel elle se trouve de nos jours.
Maguineeinfos.com : Dites-nous tout d’abord, ce regard que vous portez sur le système éducatif guinéen, comparativement à certains pays de la sous-région comme le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire ?
Michel Pépé Balamou: L’état de notre système éducatif est très critique, d’autant plus que d’année en année il ne fait que devenir déliquescent voir dysfonctionnel. On a l’impression que ce n’est pas une priorité du gouvernement. Ce ne sont que 12 à 13% qui sont alloués aux trois secteurs de l’éducation. Et lorsque vous prenez la moyenne dans la sous-région, elle peut aller entre 30 à 40%. Pourtant, je le dis souvent que l’éducation est la pierre angulaire pour le développement d’une nation. Tant vaut une nation, tant vaut son école. Alors il faudrait que nos autorités y pensent sérieusement, ceci pour aller au-delà des discours politiques, des considérations partisanes pour enfin sauver l’école guinéenne en injectant prioritairement une grande partie du budget dans l’éducation.
Pourtant certains secteurs comme l’énergie, on investit 3 milliards de dollars comme budget. On voit aussi que l’Etat envoie certaines personnes à la Mecque et à ses propres frais. C’est bien tout cela car la religion est une pesanteur culturelle comme le disait Voltaire que même si ‘’Dieu n’existait pas, il fallait le créer dans la conscience des gens pour que le bien triomphe sur le mal’’. On n’est pas contre mais au moins, si l’on a les moyens d’envoyer par exemple 100 personnes à la Mecque, il faut aussi avoir les moyens d’envoyer les enseignants à l’extérieur pour se former ou à défaut, lorsque que le coût est trop, ou que certains vont pour ne plus revenir, qu’on fasse venir les experts en pédagogie pour donner certains modules de formation dans ce sens.
Ensuite, pourquoi ne pas organiser les JAP, entendu comme Journées d’Animation Pédagogique. Alors voilà en grande partie le mal dont souffre notre système éducatif.
En tant qu’acteur de l’éducation et Secrétaire général d’une structure dans ce sens, partagez-vous cette thèse selon laquelle, l’éducation en Guinée n’est pas une préoccupation du gouvernement d’Alpha Condé ?
Bon ! On peut le dire ainsi puisque dans le discours, on sent que c’est une préoccupation mais dans la réalité ça laisse à désirer. Vous savez, ce régime accorde plus d’importance à d’autres secteurs comme l’énergie, la construction des hôtels, les quelques travaux de reprofilage des routes par-ci et par-là. Mais au niveau de l’éducation, on ne dit pas la vérité au Président de la République. Si vous vous souvenez, au temps de Dr Ibrahima Kourouma au niveau de l’enseignement pré-universitaire, on a fait miroiter l’idée de construction de plus 6 milles salles de classes alors qu’une fois sur le terrain, vous ne les verrez jamais. Pour preuve, le dernier recensement l’a fait foi. Il y a des écoles primaires à Conakry où il n’y a eu qu’un seul enseignant. On trouve jusqu’à présent des classes multigrades où un enseignant dispense les cours aux élèves des classes de la 1ère, 2eme et 3eme année à la fois. Et voir aussi certains qui enseignent trois disciplines (Géographie, Histoire, Education civique et Morale) à la fois. Aussi, jusqu’à date, les effectifs pléthoriques existent-ils ? Peut-être oui ! Le gouvernement a fait des efforts pour réduire parce que dans les années 2000, on avoisinait les 200 et 250 élèves par salle. Mais aujourd’hui malgré que cela a diminué, mais ça laisse à désirer jusqu’à présent, car la norme pédagogique voudrait que le nombre varie entre 15 à 21 élèves par salle puisqu’un enseignant doit connaitre ses élèves afin de savoir les lacunes de chacun. Mais lorsque vous avez 80 à 100 à enseigner au bout de 2 heures et que vous divisez ces 2 heures par 80 ou 100, selon les normes pédagogiques, ça veut dire que chaque élève aura peut-être 30 secondes voire une minute maximum de compréhension.
Il y a également le problème de formation des formateurs. Aujourd’hui, la fonction sociale de l’éducation a été immolée au dépend des revendications corporatistes. Avant, ne venaient dans l’éducation que ceux qui étaient professionnels. Mais de nos jours, tout le monde enseigne, de l’ingénieur, du médecin, de l’avocat ou encore du juge. Du coup, les gens viennent dans ce métier, pas par vocation ou amour, mais plutôt par nécessité d’emploi. Cependant, au moment du règne des militaires, c’est ce secteur qui était le plus attractif parce que tout simplement c’est le militaire qui était au pouvoir. L’éducation est de nos jours devenue un secteur attractif. Ceux qui étaient sur les bancs et qui rêvaient d’être médecins et autres se retrouvent dans le métier d’enseignant. Donc, ce sont eux qui sont venus, pas par vocation, mais pour s’enrichir et cela fait que, cette fonction sociale de l’éducation n’est plus miroitée. Bien que l’Etat a augmenté 200% du salaire des enseignants en 2011, mais ça n’a pas un impact réel, car cela n’a pas été accompagné par les couvertures sociales comme : la prise en charge sanitaire, la dotation en denrées de première nécessité, le rehaussement des primes liées à la fonction professionnelle et beaucoup d’autres éléments. C’est pourquoi, cette cherté de vie ne s’adapte pas aujourd’hui au salaire malgré cette augmentation. Entre temps, les enseignants sont démotivés et font carrément semblant d’enseigner parce que les conditions de vie ne les permettent pas de donner le mieux d’eux-mêmes.
Récemment, vous avez rendu public une déclaration dans laquelle vous avez situé les responsabilités à 4 niveaux par rapport à cet échec des candidats aux différents examens. Selon vous, qu’est-ce-que les acteurs impliqués chacun en ce qui le concerne, doit faire afin de donner une image positive à ce secteur ?
Vous savez l’école en République de Guinée, ressemble un peu au Syli national. Lorsque le Syli joue, on ne voit pas d’ethnie, de religion ni de parti politique mais plutôt, c’est toute la nation qui se dresse derrière cette équipe. Alors cela y va aussi de l’école, car elle est apolitique et laïque. Alors il ne faudrait pas que les gens s’en orgueil pour dire voilà l’Etat a fait échouer les enfants ou que le gouvernement dise que ce sont des enseignants ou syndicats. C’est pour vous dire que nous ne devons pas être dans un jeu où chacun ne doit pas essayer de tirer le drap de son côté tout en exposant son prochain non.
Nous en tant que SNE, sommes vraiment sidérés et c’est avec une attention révoltante que nous avons suivi ces résultats. Nous avons estimé que l’évaluation du système de l’enseignement d’apprentissage ne se fait pas pour faire échouer les enfants. Cet échec est donc pour toute la nation guinéenne parce que tout simplement notre système est défaillant. D’aucuns disent que c’est parce que l’on ne oriente plus dans les universités privées mais qu’ils se trompent car l’Etat ne peut pas faire cela. De même, si l’on oriente dans ces privées, que l’Etat fasse en sorte qu’il y ait une extension de celles existantes. Mais, il n’y a jamais eu de construction d’universités depuis l’avènement de la troisième République. Peut-être on est en train de faire cette extension au niveau de Gamal et dans d’autres universités c’est bien beau, il faut construire des cités universitaires qui est en projet avec les partenaires Chinois pour 4 universités dans les quatre régions mais qui tarde à démarrer. L’Etat a l’obligation le devoir de former les enfants du pays mais n’a pas obligatoirement le devoir d’employer. Alors ça veut dire que l’Etat ne doit faire échouer les enfants parce qu’il n’y a pas de place, mais doit créer les conditions pour qu’il y ait de la place dans les universités publiques. C’est pourquoi, l’Etat doit penser au Bac professionnel comme ça se passe en France pour que, ceux-là qui échouent au Bac aient un diplôme équivalent que les gens qui font l’université. Donc l’Etat à cette responsabilité de qualifier le système éducatif. Tout le monde ne peut être cadres supérieurs. On a besoin des ingénieurs et ceux qui ont fait des BTS.
Des enseignants quant à eux, doivent se former car celui qui a la prétention d’enseigner doit toujours apprendre. Il faudrait que nos camarades aient cette vocation de transcender dans l’apprentissage. Mais si nous ne nous formons pas et que l’Etat qui devrait nous accompagner en organisant des formations a démissionné, je crois que cela ne pourra pas aussi qualifier l’éducation. Qu’ils arrêtent de faire le semblant une fois en classe et de cesser surtout à ne dicter que les leçons et quitter.
Côté parents d’élèves, nous constatons de nos jours que l’école est devenue un dépotoir. Les parents ne se rendent pas du tout à l’école presque toute l’année durant. Et lorsqu’on renvoie un élève qu’on demande d’envoyer ses parents, il s’en va ramasser quelqu’un dans la rue pour dire que c’est lui son parent. Alors une démission totale. On ne contrôle pas l’enfant, ni à l’école et non plus à la maison pour contrôler ses cahiers le faire réviser. Le meilleur héritage qu’on peut léguer à son enfant est cette éducation, dit-on.
Au niveau des élèves, là c’est très clair, car ce sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Si avant, on se plaisait à lire, aujourd’hui ce ne sont que les réseaux sociaux. Sinon en notre temps ce n’était pas pareil. Depuis l’école primaire, les gens commençaient à écrire les lettres pour leurs parents au village puisqu’ils n’y avaient pas de téléphones. Mais lorsque vous demandez de nos jours à un élève ou un étudiant de vous faire une demande de stage ou d’emploi, vous allez prendre la tête. Ça prouve à suffisance qu’ils n’apprennent plus car même dans les feuilles d’examen, on retrouve des abréviations et phraséologie de leur langage courant. C’est pourquoi, quand les sujets de réflexion sur l’actualité sont venus cette fois-ci, les enfants ne se sont pas retrouvés par rapport à la formulation.
Lorsque nous parlons de la responsabilité syndicale, il faut le dire que nous devons cesser de politiser ces résultats en disant que ce sont des lauréats politiques. Sinon il s’est arrivé le même cas l’année dernière à Conakry dans une école (Sylla Lamine) dans Ratoma, où les gens se sont classés successivement, dans un même centre et salle. Cela a suscité des problématiques et là, le ministre était obligé d’envoyer une délégation pour aller inspecter mais ils ont fini par comprendre que ces élèves avaient exactement le niveau et finalement leurs bourses ont été maintenues et ils sont allés au Maroc. Donc, les cas comme cela peuvent arriver ou encore des défaillances liés au système de contrôle. Les gens dans cette corporation syndicale doivent se maintenir de ces commentaires pareils.
Revenons sur les 13% comme budget alloués à l’éducation. Pensez-vous que c’est suffisant pour la qualification du secteur, pendant que la plupart des préfectures et districts souffrent énormément en infrastructures scolaires ?
Ce qui est très sûr, c’est que si nous ne prenons pas garde, l’école se meurt. On sera même obligés d’importer des cadres en Guinée. Parce que prenez l’exemple sur la construction des grands chantiers, ce ne sont que les étrangers qui les font puisqu’il n’y a pas de compétences. Pourtant, un économiste a dit qu’il n’y a de richesses que d’hommes. Alors il faut les former. On dit que la Guinée est un scandale géologique dans lequel tous les métaux précieux qui existent à l’état inventeur scientifique se sont donnés rendez-vous et aussi le château de l’Afrique occidentale mais jusque-là on a du mal à démarrer car nous n’avons pas les hommes capables de transformer le fer en acier, la bauxite en aluminium et même la possibilité de transformer nos énergies naturelles en énergies consommables. Tout cela, c’est pour dire que le budget qui est alloué à ce secteur est un budget très minime qui ne permet même pas de qualifier le système. Quant aux infrastructures, elles restent à désirer. Jusqu’à présent en Guinée, il y a des enseignants communautaires et où les communautés cotisent sur fonds propres pour s’occuper d’eux sur tous les plans. Pourtant, on dépense des milliards dans les élections, énergie et autres choses mais on n’investit pas dans l’éducation. Et tant qu’on n’arrivera pas à investir dans ça, notre système saura se relever et celui qui semblait être la personne la plus idéale pour relever ce défi est bien le Président actuel, étant un enseignant.
Qu’elles plaidoiries comptez-vous faire à l’endroit du gouvernement afin qu’il puisse revoir sa feuille de route pour que le secteur éducatif du pays soit une priorité ?
Nous interpellons le gouvernement de prendre les mesures parce que si on a décrié les résultats, on risque encore d’avoir une année perturbée. Çà, il ne faut même pas se voiler la face puisqu’il y a la situation des contractuels qui sont mécontents parce qu’ils ont été utilisés et à qui on a décerné des médailles d’ingratitude pour avoir rendu service à la nation afin d’éviter une année blanche. Il y a ceux qui ont aussi enseigné pendant les périodes de grèves parce qu’ils n’ont pas eu de primes d’encouragement et ceux qui ont été en grève sont revenus récupérer leur salaire. Mais aussi des grévistes qui sont revenus et n’ont rien eu sont aussi frustrés. Donc c’est une véritable bombe à retardement et nos autorités ne prennent pas des mesures préventives sauf apporter des solutions conjoncturelles à des problèmes structurels et attendent que la crise éclate pour pencher sur des solutions. Alors l’année prochaine risque d’être prise encore en otage surtout qu’on est dans une année électorale et les politiciens ne tarderont de se frotter les mains quand il y a des revendications dans nos écoles. Donc, il revient à l’Etat de prendre le taureau par les cornes et essayer de prendre des mesures aléatoires, dissuasives et encourageantes pour permettre à l’école guinéenne de démarrer sur de nouvel esprits qui permettront de promouvoir un enseignement d’apprentissage de qualité.
Quel message avez-vous à donner aux acteurs éducatifs guinéens ?
Avec la volonté politique, l’éducation guinéenne peut encore sortir de son état comateux dans lequel il se trouve aujourd’hui. Notre appel surtout va à l’endroit de l’Etat parce que qui dit syndicat, parti politique, ce sont tous les constituants de l’Etat. Donc il est la puissance publique mais il lui manque juste cette volonté afin de rendre ce secteur un pool d’attractif pour que les gens s’y mettent. Alors une fois encore, il faudrait investir dans ce système éducatif pour plus de qualification de l’homme afin de pouvoir exploiter les ressources minières de ce pays pour qu’elles soient profitables à tous.
Interview réalisée par Sâa Robert Koundouno