La République de Guinée, en ce début de décennie 2020 est à la croisée des chemins, tiraillée ici et là par des événements qui lui présagent de lendemains incertains. La question de son avenir politique surtout est la plus marquante.
Le pays est traversé depuis une certaine période par une kyrielle de crises de différentes natures et dont la finalité semble converger. Nous sommes en effet face à ce qu’on pourrait nommer le phénomène « Shiraha ». En d’autres termes une situation de diversité des chemins mais d’unité du point d’arriver ou de la fin.
Depuis cinq ans maintenant, et ce de 2015 à ce début de décennie 2020, nous assistons à des manifestations et réclamations qui vont crescendo.
Ces mouvements de colère, loin de connaitre leur épilogue, tirent leurs origines dans les différentes crises socio-politiques qui marquent le pays depuis l’avènement du professeur Alpha CONDE au pouvoir et trouvent leur point d’achoppement dans le projet de nouvelle constitution qui couverait les intentions de celui-ci de briguer un 3ème mandat alors que la Constitution du 07 mai 2010 l’en interdit formellement.
Le professeur Alpha CONDE pourrait-il au regard de ces nombreux soubresaut aller jusqu’au bout de sa logique ? Autrement, réussirait-il à faire passer son projet de nouvelle constitution qui serait susceptible de lui valoir un éventuel troisième mandat ? Ou, plutôt, serait-il enfin par la force des choses contraint d’abandonner cette aventure qui, au demeurant, reste la véritable pomme de discorde de la classe politique guinéenne ?
Nous nous évertuerons dans ce présent article à faire une analyse systémique de la situation de crise que connait le pays en étudiant dans un premier temps la source ou pour mieux dire les sources de la crise actuelle (i), dans un second temps nous analyserons le jeu des principaux protagonistes en faisant ressortir les forces et les faiblesses de chacun (ii) et, pour terminer, nous présenterons les facteurs d’échec du projet de nouvelle constitution et éventuellement de 3ème mandat (iii)
I-LES SOURCES DE LA CRISE
Dans les faits, trois groupes de personnes s’affrontent sur le landernau politique guinéen depuis maintenant une décennie si l’on campe l’analyse à l’avènement du professeur Alpha CONDE au pouvoir en 2010. A côté du schéma classique mouvance/opposition, émerge une troisième force constituée pour l’essentiel par les mouvements de la société civile. Aussi les réclamations divergent-elles selon qu’on parte d’un groupe à un autre. Mais qu’on soit un parti politique de l’opposition ou une organisation de la société civile, les réclamations sont globalement de trois ordres : économiques, sociales et politiques même si les deux premières pourraient être résumé comme on le verra un peu plus loin dans ce qu’on serait tenté appeler la précarité de la classe sociale du pays alors que la troisième renvoie plutôt au jeu politique avec toute la complexité qui sied.
I-a : LA PRECARITE DE LA SOCIETE GUINEENNE :
L’économie guinéenne, malgré le fait qu’elle soit confrontée à de risques majeurs notamment celui de maintenir le cap des réformes macroéconomiques et budgétaires et assurer la stabilité sociale et politique, reste tout de même robuste. Si l’on en croit les chiffres du FMI.
La Guinée a en effet, et d’après le FMI, continuer d’enregistrer une croissance soutenue, qui s’est établie à 5,8% en 2018. Cette tendance devrait se poursuivre, alimentée par l’exploitation minière (pour l’essentiel la bauxite), des investissements plus importants dans les infrastructures et de bonnes performances agricoles. Selon le FMI, la croissance économique devrait s’élever à 5,9% en 2019 et 6% en 2020.
Cependant, la flambée des prix des produits de premières nécessités, conjuguée aux incertitudes sociales et politiques de cette année électorale 2020 pourraient menacer cette croissance.
Notons aussi que l’économie guinéenne, pour l’essentielle issue de l’exploitation minière, demeure une économie moins ré distributive. Résultat, une frange importante de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.
La Guinée est effet arrivée 24e au classement 2019 des pays qui produisent le moins de richesses par habitant avec un produit intérieur brut par tête de 926 dollars. En 2018, 55,2% de la population guinéenne vivait en dessous du seuil de pauvreté, mesure la Banque mondiale.
Aussi, la crise que traverse le pays depuis maintenant une décennie trouve-t-elle une explication éloquente dans cette situation d’extrême pauvreté qui caractérise le commun des guinéens dans un postulat où nous assistons à une crise politique de plus en plus accentuée.
I-b : LA CRISE POLITIQUE
Elle résulte essentiellement des velléités de troisième mandat du chef de l’Etat longtemps entretenu par l’omerta qui caractérisait ses sortis médiatiques à ce sujet et qui devait par la suite éclater au grand jour des suites de son intervention en marge de l’Assemblée Générale ordinaire de l’ONU où, depuis New-York, il appelait le 24 septembre 2019 le peuple à se tenir prêt pour un référendum.
Ce projet de nouvelle Constitution rappelons-le, demeure très controversé et cristallise la crise politique déjà accentuée par la rupture d’un dialogue franc entre mouvance et opposition.
Deux opinions s’affrontent sur l’espace public guinéen au sujet de ce projet.
D’une part l’opposition et le FNDC voient dans ce projet une aventure inopportune dont la seule vocation serait de permettre au chef de l’Etat de rempiler pour un troisième mandat.
D’autre part les partisans du président, soutiennent la nécessité de donner une légitimité populaire à la Loi Fondamentale du pays eu égard aux conditions d’adoption de l’actuelle Constitution. C’est là toute la complexité du jeu des acteurs qui s’affrontent sur l’échiquier politique du pays.
II-LES ACTEURS EN JEU
La politique en son sens plus large, désigne ce qui est relatif à l’organisation ou auto gestion d’une cité, d’un état et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée. Dans une acception plus restrictive, elle se réfère à la pratique du pouvoir, soit donc aux luttes de pouvoir et de représentativité entre des hommes et femmes de pouvoir, et aux différents partis politiques auxquels ils peuvent appartenir, tout comme à la gestion de ce même pouvoir.
L’échiquier politique de la Guinée présente une complexité d’analyse par le fait d’une interaction de groupes aux origines et champs conceptuels divergents mais dont la fin semble converger avec plus ou moins la même démarche selon les cas de figure.
Une analyse clinique nous permet de ressortir en gros deux catégories d’acteurs :
- II-a : Une première catégorie, essentiellement politique, pourraient se résumer au jeu mouvance/opposition.
- II-b : Alors que la seconde est constituée par ce qu’on pourrait appeler les mouvements de la société civile constitués d’une mosaïques d’organisations.
II-a : LES ACTEURS POLITIQUES : LE JEU DE LA MOUVANCE ET DE L’OPPOSITION
a-1 : LA MOUVANCE
Par mouvance, le RPG, parti au pouvoir et ses partis satellite s’entend. Regroupée autour de l’alliance politique baptisée à l’orée du second tour de la présentielle de 2010 « RPG-Arc-en-ciel », elle gouverne le pays depuis une décennie maintenant avec un bilan mitigé.
Tablant sur un soutien populaire dans les fiefs du RPG (et c’est là sa force), même s’il faut observer que ce soutien perd aujourd’hui de son aura d’antan à cause d’une érosion considérable du champs conceptuel de son action, caractérisée par la montée en puissance de l’opposition dans des zones tel que la basse côte, en forêt et même en Haute-Guinée (jusque-là chassé gardé du parti au pouvoir), elle connait tout de même des limites liées à un certain nombre de facteurs parmi lesquels de changements majeurs opérés ces derniers temps dans la sphère politique de plusieurs Etats africain.
Le pouvoir, jusqu’à une date récente réussissait plutôt aux partis au pouvoir en Afrique. Jusqu’à l’évincement de Blaise Compaoré au Burkina, Oumar El Béchir au Soudan, Abdel Aziz Bouteflika en Algérie ou encore Yaya Djameh en Gambie. Ces évincements, faut-il le souligner, font aujourd’hui acte de jurisprudence. Comme on peut le voir désormais, le fait d’être aux affaires ne garantit pas forcément une immunité.
a-2 : L’OPPOSITION
Essentiellement regroupée autour des principaux partis politiques du pays que sont L’UFDG et L’UFR (partis les mieux représentés à l’Assemblée Nationale), l’opposition brasse aujourd’hui une myriade de partis politiques mus par la volonté de mettre un coup d’arrêt aux velléités de troisième mandat du professeur Alpha CONDE qui trouverait son cheval de Troie dans le projet de nouvelle Constitution.
L’autre fait marquant, et c’est là la force de cette opposition, c’est le front des organisations de la société civile contre le projet de nouvelle constitution. L’articulation de toutes ces volontés a abouti à l’institutionnalisation d’une force appelée de défense de la Constitution, le FNDC.
Toutefois, l’opposition est souvent taxée de monotonie dans sa stratégie de défense. Car n’ayant pour certains que les manifestations comme moyen d’action. De ce fait, elle serait, selon une partie de l’opinion, responsable des morts de citoyens enregistré au cours des différentes manifestations qu’elle tienne régulièrement depuis l’avènement au pouvoir du professeur Alpha CONDE, de plus en plus accentuées par le projet de nouvelle constitution qui au demeurant reste une entreprise risquée pour ne guère dire suicidaire eu égard aux incongruités la caractérisant de forme comme de fond.
III-FACTEURS D’ECHEC DU PROJET DE NOUVELLE CONSTITUTION
Véritable pomme de discorde de la classe politique guinéenne, le projet de nouvelle constitution, rappelons-le encore une fois est la goutte d’eau qui a fait débordé le vase. Jusqu’ici, on avait plutôt assisté à ce qui s’apparentait plutôt à une « guérilla » sur l’échiquier politique guinéen. Chaque organisation, selon sa nature, tentant de s’organiser pour défendre au mieux ses intérêts. Aussi avait-on jusque-là assisté à des manifestations pour l’essentiel organisées par les forces politiques du pays.
Or, depuis que le Président a clairement affiché sa volonté de doter le pays d’une nouvelle constitution, nous assistons à une véritable articulation des forces entre d’une part les partis politiques et, d’autre part, les principales forces de la société civile.
Notons de passage qu’il s’agit là d’une coalition plutôt que d’une alliance. La nuance est de taille en cela que la seconde est bâtie sur la durée alors que la première, c’est-à-dire la coalition est plutôt le fait d’une association de parties pour la défense d’un objectif qui leur est commun. N’ayant pas la vocation de se pérenniser.
Ceci étant dit, nous entendons à présent énumérer les facteurs d’échec du projet de nouvelle constitution.
Plusieurs raisons pourraient en effet expliquer l’échec de ce projet. Principalement elles tiennent à trois ordres. D’abord un environnement national hostile. Ensuite un contexte sous régional et régional défavorable. Enfin, une communauté internationale aux aguets.
III-a : L’HOSTILITÉ DE L’ENVIRONNEMENT NATIONAL
Comme abordé ex-ante, la société guinéenne reste une société fortement pauvre. Le PIB stagne encore et toujours à 929 dollars par tête d’habitant et par an. Cette situation d’extrême pauvreté ne laisse plus personne indiffèrent. Ici et là des voix s’élèvent pour crier cet état de fait qui ne saurai trouver de justifications dans aucune explication sérieuse.
Un fait noble, est l’ardente volonté des guinéens à faire respecter les acquis démocratiques. Si l’on pourrait appeler ainsi la lutte de longue haleine qui a abouti à l’élection du Professeur Alpha CONDE à la tête du pays en 2010.
Un autre phénomène qu’il ne faudrait pas perdre de vue, c’est l’ouverture du pays et de sa population au monde grâce à la magie de l’internet. La société guinéenne, à l’instar des autres sociétés de ce début de millénaire est une société fortement « smartphonisée ». Ce qui fait d’elle une société de mieux en mieux informé et donc vigilante.
Une approche combinatoire de tous ces éléments donne une explication éloquente à son hostilité vis-à-vis de toute tentative d’abus de la part des pouvoirs publics. D’autant que nous assistons à un contexte sous régional et régional défavorable. Mais également à la vigilance de la communauté internationale.
III-b : UN CONTEXTE SOUS REGIONAL ET REGIONAL DEFAVORABLE
Ici, nous pourrons mettre le curseur sur certains événements majeurs intervenus dans la vie politiques des pays de la sous-région et plus largement du continent. Partout, la volonté reste la même. En découdre avec les manœuvres renardes des pouvoirs publics obséder par le révisionnisme électoral avec en bandoulière une vocation d’éternité aux affaires. La tendance, comme on le voit désormais, est à l’hostilité, au front.
C’est ainsi qu’en octobre 2014 l’histoire de la gouvernance politique africaine notait dans le marbre de la lutte citoyenne pour un pouvoir de plus en plus démocratique, le départ de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Jusqu’ici considérer comme indéboulonnable, son départ a inspiré plus d’une société dans la sous-région.
Rapidement la mayonnaise a prise et s’en est suivi un effet boule de neige qui a emporter sur son chemin Yaya Djameh, Oumar El Béchir ou encore Abdel Aziz Bouteflika. De telles réalités conjugués à des départs de plus en plus volontaire comme celui de Mamadou Youssoufou au Niger et l’arbitrage d’une communauté internationale dans sa majorité vigilante sur les questions de troisième mandat en Afrique, constituent en effet de moyens de dissuasion ou, pour parler mieux de facteurs défavorables au projet de nouvelle constitution en Guinée.
III-c : UNE COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE AUX AGUETS
Expression politique et médiatique apparue au XIXe siècle avec le développement du droit international, et qui désigne l’ensemble des Etats qui jouent un rôle important dans les affaires du monde. On l’emploie aussi pour qualifier les membres de l’ONU.
La communauté internationale, ou n’importe quel nom qu’on pourrait attribuer aux Etats pour l’essentiel démocratiques et qui, de ce point de vue constitue la gardienne des acquis démocratiques a déjà élevée le ton dans la situation de crise politique que connait la Guinée dans le sillage du projet de nouvelle constitution. Il ressort de ces différentes expressions sur le pays, une inquiétude doublée d’une hostilité quant aux différentes répressions de manifestants.
A titre d’exemple, nous pouvons citer l’interpellation de la Guinée par la commission des droits de l’homme de l’ONU dans le sillage de la revue régulière de la situation des droits de l’Homme le 21 janviers 2020 à Genève. Interpellation est-il besoin de le rappeler qui fait échos aux doutes exprimé par la France, les Etats Unis et la Slovaquie entre autre quant à l’adhésion du peuple de Guinée au projet de nouvelle constitution.
Globalement, comme on l’aura constaté en parcourant cet article, ce projet suscite encore beaucoup d’interrogations. Les événements en cours sans doute et ceux à venir sauront nous élucider.
Par Alpha Oumar DIALLO,
Analyste politique, Poète et écrivain