Notre rédaction s’est intéressée sur les impacts que des séries de manifestations peuvent avoir sur l’économie d’un pays comme la nôtre. Partant de l’analyse de cette situation, M. Thierno Boubacar Tounkara, enseignant chercheur à l’Instituteur Supérieur de l’Information et de la Communication de Kountia, a d’abord reconnu que l’économie guinéenne se porte mal de nos jours. Cela s’expliquerait selon lui, par des perpétuelles marches organisées en Guinée. Dans cet entretien, l’économiste a indiqué qu’il est connu que dans un pays, 75 % des recettes sont produites dans la capitale.

Maguineeinfos.com : quelle analyse faites-vous en termes économiques, des crises que traverse le pays il y a de cela plusieurs mois ?

Thierno Boubacar Tounkara : Il faut tout de suite dire que c’est une situation très difficile pour l’économie guinéenne. Pratiquement, on ne travaille plus que trois (3) jours par semaine en Guinée. Les autres jours sont voués aux marches et manifestations. Alors, c’est ce qui handicape notre économie aujourd’hui.

Techniquement, à combien peut-on estimer les pertes économiques en une journée de manifestation en Guinée?

C’est difficile à estimer directement mais on peut néanmoins donner une idée approximative de ce que l’Etat peut perdre par jour. Lorsque nous prenons par exemple le port autonome de Conakry, les autres régies, en incluant les recettes minières et autres, on peut estimer qu’on perd quelque chose de 28 millions de dollars par jour, soit 28 milliards de nos francs. Lorsque vous y ajoutez le secteur informel, qui en souffre autant, le petit commerce et petite affaire (les sopi ndollè) c’est-à-dire le marché en bandoulière ou à la sauvette, c’est beaucoup de pertes. C’est une extrapolation du manque à gagner, comme cela se calcule dans certains pays dans lesquels l’économie est bien gérée, tels que Madagascar au temps où ce pays connaissait des troubles, comme la Guinée aujourd’hui. Dans ce pays, moins bien loti que la Guinée, on a évalué les pertes dues aux manifestations à 28 millions de dollars/jour. Je ne sais pas avec exactitude le montant, puisque je n’ai pas les statistiques en main, mais c’est juste une estimation que je suis en train de faire. Certainement que des vraies statistiques nous en diront plus.

Alors au vu de tout ceci, qu’est-ce qu’on peut noter comme conséquences de ces crises sur le plan économique pour un pays sous-développé comme le nôtre ?

A ce niveau, les conséquences sont directes, c’est-à-dire que l’économie ne tourne pas et cela va forcément impacter le niveau de vie des citoyens, de façon directe, cela touche directement la poche du citoyen. De même, quand l’économie ne tourne pas, il n’y aura pas de recettes dans les caisses de l’Etat. Autrement dit, c’est la crise en cascade c’est-à-dire que tous les secteurs, toutes les personnes concernées, vont ressentir d’une façon ou d’une autre.

Est-il possible de se rattraper et par quel moyen ?

On le dit souvent selon un adage que ‘’le temps perdu ne se rattrape jamais’’. Cela voudrait dire que nous allons courir derrière ce temps perdu mais je pense que la course s’arrêtera. Lorsque vous perdez une journée sans travailler, vous ne pouvez pas la compenser puisque la semaine c’est 7 jours. L’administration publique n’est pas comme dans une entreprise où on peut faire des travaux extra après les heures de travail. Dans l’économie d’un pays, il n’y pas d’extra.

Ces derniers temps, certaines institutions financières ont annoncé la suspension des aides à la Guinée. Quel pourrait être l’impact direct sur le développement du pays en général, mais surtout sur la vie du citoyen en particulier?

Je ne suis pas au courant de la suspension de l’aide des institutions internationales dans notre pays. Je sais seulement que le Fond Monétaire International a retiré ses cadres et a tout stoppé en terme de missions compte tenu de l’instabilité dans notre pays. Mais, il faut dire qu’il n’est dit nulle part qu’il y a rupture ou la non-assistance. Je crois que dès que cette situation sociopolitique s’éclaircira, on reprendra les activités avec ces institutions. Donc, il n’y a pas de rupture pour le moment. C’est juste une mesure sécuritaire car, lorsqu’il y a des risques dans un pays donné, les experts internationaux se retirent dans un pays voisin afin de revenir après la crise. En tout cas les coopérations continuent, même à l’absence de leurs cadres.

L’œil d’un économiste sur la monnaie ECO, avantages et inconvénients pour les pays membres ?

Il faut avouer que c’est un rêve continental depuis les indépendances, celui de créer une Afrique unie, prospère, développée et où on partage bonheur et difficulté. Alors, la création d’une monnaie unique est un signe de la volonté de l’Afrique d’atteindre cet objectif de création de ce grand ensemble. Tous les pays en général ont réussi, tant bien que mal à créer des grands ensembles et c’est à notre tour également. Tout le problème est de savoir si l’économie guinéenne est prête, parce que nous n’avons jusqu’à présent pas rempli les critères de convergences. Vous avez les 9 pays de la sous-région Ouest Africaine qui étaient dans la zone CFA plus ceux de l’Afrique centrale sont habitués à une monnaie commune qui est d’ailleurs plus ancienne que celle d’Europe, car c’est depuis l’indépendance et maintenant on veut l’étendre sur toute l’Afrique.

La Guinée comme je viens de le dire ne remplit pas tous les critères de convergences. N’oubliez pas aussi que cela coïncidence avec la création de la ZLECA. Monnaie unique, zone de libre-échange, cela ouvre les marchés à la concurrence. Quand on n’a pas une économie forte, bien en place, il est difficile d’aller vers une monnaie sous régionale. Parce que lorsque vous prenez le cas concret de notre pays en termes d’importation, la Guinée importe à peu près tout ce qu’elle consomme. Il n’y a pas d’industries qui auraient permis de produire ici les biens et services dont on a besoin. Ainsi on aurait pu jouer sur des avantages de substitution aux importations. C’est un problème. Alors en nous plongeant tout de suite dans une monnaie unique sans transition, il va sans dire que nous allons acheter la plupart de nos marchandises sur le marché extérieur. C’est donc automatique de dire que dans ces conditions nous créerons la richesse pour ces pays, en transférant notre argent chez eux. Nous devenons un marché pour eux, c’est-à-dire, notre pays reste un débouché pour les autres.
Il y a donc assez d’efforts à fournir. D’abord sur le plan économique par rapport à la gouvernance de cette monnaie. À cela, je ne vois pas la Guinée tirer les avantages de son insertion dans la monnaie commune à l’image de tous les pays de la zone CFA qui sont déjà habitués et qui peuvent bien tirer leur épingle de jeu.

Interview réalisée par Sâa Robert Koundouno