Le monde de par sa diversité, son étendue et complexité, fera toujours face aux grands hommes avec leurs cortèges de changements très significatifs pour leurs pays respectifs.
La Guinée à l’aune des autres pays ne devrait pas être en marge de cette matrice de mutation significative. La société guinéenne en a fortement besoin vu les péripéties tant vécues. Ce n’est point une fatalité ni une malédiction comme disent dautres….
Certes, la construction de la culture démocratique n’est pas aisée, c’est un processus avec son corollaire ambigu. Mais, l’on est en droit de donner des réponses appropriées aux interrogations suivantes : qu’elle est la finalité d’une démarche politique ? l’offre sociopolitique doit – elle être vernie de violences ? La galanterie citoyenne ne doit-elle pas imprimer nos actes au quotidien ? Pourquoi la Guinée se heurte encore aujourdhui à des obstacles majeurs voulus à dessein ?
Hernando de Soto (lauteur de The Mystery of Capital) avec d’autres auteurs, ont démontré que le développement est un processus adaptatif complexe et non un processus linéaire newtonien comme présumé par erreur par divers théoriciens et réformateurs !
La linéarité est associée à lordre, la prévisibilité des causes liées et des effets, et aux lois universelles connues qui permettent des résultats souhaitables, pouvant être obtenus par lapplication des entrées nécessaires à un système.
Des paradigmes linéaires provenaient des idées avancées par des chercheurs tels que Hobbes, Descartes, Locke, and Newton.
Depuis son accession à l’indépendance en 1965, la Cité-État de Singapour n’a cessé d’étonner le monde par ses multiples réalisations politiques et commerciales, économiques et industrielles, sociales et culturelles, urbanistiques et infrastructurelles. Ces transformations gigantesques emmenées par la vision et le leadership de Lee Kuan Yew (Premier ministre d’alors), les Singapouriens se mirent au travail avec acharnement et le résultat est aujourdhui visible.
Alors, en citoyen éclairé, la formulation de l’interrogation suivante se prononce aussi aisément : comment pouvons-nous aider notre pays à sortir de cette impasse ?
Lancien Président du Ghana, John AGYEKUM KUFUOR, estime que « ce dont l’Afrique a besoin, c’est le leadership. Un bon leadership. Pas nimporte quel type de leadership, mais le leadership qui a été bien préparé à diriger un développement socio-économique, qui a une vision et est imprégné d’un zèle missionnaire pour s’attaquer à la myriade de problèmes qui interpellent le continent par ordre de priorité. »
En raison de l’absence de lien entre la mutation économique et l’amélioration du bien-être, il est urgent pour notre pays d’imaginer des nouveaux modèles de leadership pour s’attaquer aux faisceaux de problèmes qui interpellent la Guinée.
Nous vivons une crise de leadership qui empêche la gestion du processus de développement complexe adaptatif. Les causes de cette crise sont multiples : mentalité coloniale et tous ses corollaires, mauvaise gouvernance et corruption, mépris total de l’intérêt commun et du bien-être de la population par la classe dirigeante, accentuation du repli identitaire, une recette politique pauvre servie par la classe politique, une prédominance de l’irrationnel dans les débats politiques, une incapacité de la sociologie de l’élite nationale à mettre en œuvre des initiatives louables, absence de politique dintégration nationale, etc.
Les conceptions traditionnelles ou hiérarchiques du leadership sont de moins en moins utiles, étant donné la complexité sociale du pays. Le leadership traditionnel a été interprété de diverses manières. Il fait fréquemment appel aux images de vision, de courage, d’engagement et daction franche.
Les leaders sont généralement considérés comme des personnes qui possèdent une vision claire de ce qui doit être fait et sont capables de transformer leurs visions en résultats substantiels. Le leadership est un moyen de transformation personnelle, une attitude ou un comportement particulier daborder la vie et dêtre engagé dans un processus continu et englobant qui mène vers laccomplissement humain.
Il y a un besoin urgent en Guinée dun nouveau type de leadership possédant le courage et les compétences nécessaires pour construire et réinventer le pays en ces temps de changement complexe, dynamique, imprévisible et dans tous les domaines socio-économiques, politiques, et technologiques.
Qu’est donc un nouveau leadership guinéen prêt à faire face aux exigences du monde contemporain ? Un nouvel état desprit doit émerger, qui reconnaît que les questions de développement de notre pays sont trop complexes et confuses, et ne peuvent être traitées par le leadership traditionnel.
Les exemples triviaux qui mettent en lumière cette complexité sont légion : corruption endémique, système de santé déficitaire, pauvreté rampante, système éducatif dégringolant, services sociaux de base (eau et lélectricité) insuffisants, l’administration publique en nette déphasage avec les réalités avec les besoins de la population, manque criard de justice sociale, la sécurité une chimère, un taux d’analphabétisme élevé, les projets de développement communautaires moins pertinents, déficit infrastructurel, la promotion de la médiocrité dans les postes de décision, absence de vertu et d’éthique,etc.
De manière générale, plusieurs questions devraient avoir des réponses pratiques si nous voulons réussir ce nouveau pari. Ces questions sont liées 1) à l’ensemble d’actions que nous mènerons dans le contexte de la globalisation, 2) aux approches stratégiques (sans doute cross-sectorielles) dans la lutte contre la pauvreté, 3) à la gestion des conflits et à la résolution et la prévention de la violence, 4) à la légitimité des institutions étatiques, 4) à un monde d’interdépendance croissante, 5) à la gestion de transformations à grande échelle, 6) à la gestion des contradictions et des paradoxes, ou 7) à la lutte et la prévention de la corruption endémique qui mine le développement de la Guinée.
Le nouveau leadership guinéen devra repenser le concept de développement et des impasses d’un processus de standardisation des sociétés en redécouvrant les styles et qualités existants dans la philosophie passée, la culture, et le comportement de la société guinéenne dantan.
Le changement profond de la Guinée doit s’opérer dans un ensemble de paradigmes non-linéaires.
Relevons ces défis en développant un nouveau modèle de leadership basé non sur la bureaucratie et la linéarité, mais sur la complexité.
Sortir la Guinée du sous-développement chronique implique un leadership transformationnel incarné par ses dirigeants. Faute de quoi, point de développement. Il faut oser rêver et avoir des hommes capables de transformer le rêve en réalité.
Cette complexité commune aux pays de lAfrique au sud du Sahara sillustre par la diversité ethnique (majorité et minorité), la prédominance économique et financière, la territorialité, la composition des forces de défense et de sécurité….
En effet, et de toute évidence, tout africain sidentifie, dabord, et sattache profondément à une communauté du fait que la culture est encore un déterminant socioéconomique et même politique essentiel pour les populations. Mieux, ces communautés se sont renforcées avec la crise de lEtat postcolonial.
Or, au nom de lunité nationale, les Constitutions qui prétendent fonder les Etats postcoloniaux consacrent exclusivement la nation et lindividu. Ce faisant, elles ignorent un maillon encore fort et vivant des sociétés africaines, cest-à-dire les communautés.
Cet état de fait a des conséquences incommensurables sur la cohésion et la stabilité des Etats, sur le plein épanouissement des populations, sur la mobilisation pour le développement et sur la crédibilité même des Etats.
Il apparaît donc encore une fois que ladaptation des institutions ainsi que celle des règles qu’elles génèrent et auxquelles elles sont soumises interpelle les conceptions et les modalités par lesquelles la gouvernance concilie lunité et la diversité.
Dautant plus quen Afrique où, plus quailleurs, les Etats sont constitués de communautés plurielles et sont très souvent à cheval sur plusieurs territoires sociologiques. Cette réalité communautaire est aujourdhui ignorée par lessentiel des Etats africains qui en ont peur et qui, sous le couvert de lunité nationale et de la recherche de la paix sociale, ont tendance à gommer la diversité.
Or, lEtat doit prendre en compte cette complexité des sociétés africaines.
Dans ce sens, les modes de gouvernance, tenant aux institutions et aux règles, doivent aussi être adaptés à ces réalités socioculturelles africaines.
La démocratie est en effet un projet d’autonomie collective et individuelle. Elle exige que les solidarités communautaires, les solidarités de groupes fondées sur des valeurs effectives, sur les valeurs du terroir et les alliances s’articulent au principe fondamental de la citoyenneté.
Dans le processus de démocratisation, l’Etat prend appui sur des individus et sur des communautés de base ouvertes. Il ne peut s’édifier sur la base de cristallisations ethniques, religieuses ou régionalistes.
La participation des individus et des organisations sociales aux processus de prise de décision politique et de gestion des affaires publiques à l’échelle des quartiers, des villes et des villages, réinvente de nouvelles formes de solidarité et redonne plus d’espaces de liberté d’initiative aux citoyens.
L’implication d’une gouvernance légitime sur les bases dune société plurielle serait la reconnaissance d’une pluralité juridique qui conjugue l’appartenance des citoyens à une nation et leur profond attachement à des communautés.
Elle lest particulièrement en Guinée du fait de la coexistence très souvent conflictuelle de diverses identités communautaires, ou encore de la tradition et la modernité.
Le modèle d’Etat hérité de la colonisation sest évertué, sans y parvenir, à gommer ou à ignorer ces différences dans la construction des institutions et dans lélaboration des principes et des règles qui régulent la vie publique.
Tout projet de gouvernance légitime doit chercher à concilier l’unité et la diversité en gérant les rapports entre les différentes composantes de la Nation, de sorte à en préserver le caractère pluriel, tout en unifiant l’ensemble.
Cette problématique de l’éthique dans la gouvernance légitime va au-delà des questions juridiques. Léthique commence là où sarrête le droit, encore que très souvent en Guinée la légalité « choque » les valeurs élémentaires. Il ne faut pour sen convaincre que de considérer les « tripatouillages » formellement réguliers des constitutions pour permettre à des régimes de se perpétuer au pouvoir alors même que les règles ainsi violées étaient consensuelles.
Le reniement permanent des acteurs politiques sans idéaux, prompts à faire allégeance à un homme ou à suivre le balancier du pouvoir pour des privilèges et des « honneurs » prouve le peu de respect pour léthique. Le peu de considération pour la dignité humaine, la gestion patrimoniale des biens et des ressources publics, les lois d’amnistie pour renforcer l’impunité, l’immixtion intempestive des familles des gouvernants dans la gestion de l’Etat sont autant dillustrations de labsence d’éthique de la part des politiques et des gouvernants.
Le débat sur les valeurs est urgent et inévitable puisque les contrevaleurs commencent à sinstaller comme des « normes de gouvernement ». Elles renforcent la désaffection des populations pour le politique et entament le peu de crédit de l’Etat.
Elles exaltent les intérêts particuliers et leurs conséquences sur les processus de développement sont incommensurables comme en atteste linefficacité des mécanismes institutionnels de lutte contre la corruption.
En somme, l’éthique interroge dabord le rapport au pouvoir en Guinée.
Quest-ce qui motive lengagement politique ? Pourquoi et comment doit-on faire de la politique ? Pourquoi et à quelles fins détient-on le pouvoir ? Comment exerce-t-on le pouvoir lorsque la légalité atteint ses limites ? L’Etat étant le siège du pouvoir, quel train de vie doit-il avoir dans une société pauvre ? Doit-il continuer à être un pourvoyeur de privilèges, de richesses et d’honneurs pour des gouvernants qui prétendent agir dans l’intérêt de leurs populations ? qu’elle est la recette politique de la classe politique dans son ensemble ?
Nous voulons une Guinée riche de sa diversité sociale qui donne la primauté à l’information, à l’éducation (et pas l’instruction) ; c’est le seul moyen de faire des forces humaines la clé, le moteur et l’idéal de son développement social. Une Guinée qui organise la promotion de la créativité dans tous les domaines de la vie humaine.
La conscience publique guinéenne, épurée des insuffisances idéologiques renforçant l’ignorance et le sectarisme à savoir : l’ethnicisme, labsence de débats républicains et citoyens, le déficit de recette politique constructive, etc., devra correspondre aux exigences de la position géographique stratégique de notre pays. Face à cette immensité interrogatoire, la routine et la vision simpliste nont point de place.
Un savant qui ne produit plus des connaissances nouvelles n’est plus un scientifique ; un consommateur de technologie qui ne produit pas une technologie nouvelle est réduit à être à la remorque des autres ; une culture qui ne répète que des vieilles traditions risque de disparaître ; un amoureux qui ne renouvelle pas, par des actes concrets, sa fidélité à la déclaration d’amour, cesse d’être amoureux ; une politique active renforce chaque jour la capacité politique des gens de partout, sinon elle devient un simple spectacle de positionnement sans vie.
« On ne développe pas, on se développe », disait lhistorien Joseph KI ZERBO.
Ainsi se résument les propos de IBNOU TAIMIYA SYLLA, Docteur en Sciences Appliquées (Option : micro-électronique), qui débâtait, il y a quelques temps sur le leadership transformationnel à lInstitut Africain de Management (IAM) dans le cadre des activités pédagogiques dudit Institut.
Il ajouta ceci : « Pour émerger, il faut des leaders transformationnels à même de rêver et de faire rêver des jeunes. Le tout accompagné par de vrais managers capables d’appréhender la vision du leader, de l’exécuter aux fins dinfléchir de réels changements ».
Daignons tout critiquer objectivement ; daignons penser l’impensable ; daignons mettre tout en question ; c’est cela qui libérera notre peuple de sa mentalité de soumission, de servilité, de docilité, de mimétisme, de la célébration de la médiocrité et de la stérilité intellectuelle. Les gens pensent ; la pensée est rapport de réel. Tout changement, y compris celui du leadership, est, avant tout, une rupture dans la pensée.
Par Mohamed Doussou KEITA, Enseignant chercheur