Monsieur le Président, je suis encore du nombre de ceux qui ont encore quelque égard pour vous, non pas parce que vous êtes Président de le République, mais à cause de vos combats d’hier en faveur de la démocratie, même si, aujourd’hui, il ressort que vous portiez le manteau de « militant de la démocratie » alors qu’au fond, vous n’y croyiez pas et luttiez pour accaparer le pouvoir.
Le temps ne trahit jamais, il révèle ce que les hommes ont de sincères en leurs actions, il permet de les prendre en défaut dans leurs dires. Il évente les supercheries.
Vous êtes devenu Président de la Guinée à un âge tardif, celui de la supposée « maturité ». Quelle grâce ! Vous avez promis d’être le Mandela de la Guinée. Comme vous, il accéda au pouvoir à un âge très avancé. Vous avez vécu de ce qu’il a vécu : la prison. Vous avez promis la réconciliation et le progrès aux Guinéens.
Il vous a fallu assez d’années pour mettre en place la Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation Nationale. Ses recommandations n’ont jamais été suivies et vous ne les avez jamais implémentées. Les années sont passées et voilà que la réconciliation nationale est impossible avec vous. Vos propos ont frustré et frustrent encore, vos pratiques ont exclu et votre mode de gouvernance est en faveur de la promotion de la médiocrité, de la distribution des postes aux copains et copines, coquins et coquines.
Monsieur le Président, vous avez promis de lutter contre la corruption. En 2011, vous avez créé un Comité d’Audit et l’avez rattaché à la Présidence de la République pour qu’il fût indépendant et qu’il eût le courage de mener à bien sa mission. Mission confuse, dès lors que pour vous : lutter contre la corruption veut dire audit contre les anciens ministres ! A-t-il produit le seul rapport ? Vous seul, pouvez répondre à cette question.
En 2012, vous avez créé l’Agence Nationale de Lutte Contre la Corruption (ANLC), quelques années après vous avez créé un département de Comptabilité Matière et Matérielle au Ministre du Budget. Plus tard, vous avez installé la Cour des Comptes et créé la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF), puis avez promulgué la loi anti-corruption. Avec toutes ces institutions aux pouvoirs conflictuels et discrétionnaires, toutes ces réformes, quel est votre résultat en matière de lutte contre la corruption ? Indigne est la réponse.
Monsieur le Président, vos ministres deviennent de plus en plus riches, ils achètent des parcelles à coups de milliards, ils construisent dans de brefs délais des maisons altières, ils investissent à travers des collatéraux dans les entreprises privées afin d’accéder aux appels d’offre de l’Etat et de se procurer de plus de rentes. Les recrutements à la fonction publique sont rares, mais à chaque fois vos militants y sont recrutés et accèdent à de grandes fonctions sans forcément en avoir les compétences ni techniques, ni humaines, ni conceptuelles.
Ainsi, vous envoyez le message suivant aux autres Guinéens : « Pour aspirer à quoi que ce soit, vous devez être de mon côté, du côté du manche, avec moi et mon parti. » Vous aviez combattu le parti-Etat et vous vous efforcez à bâtir un autre. Quel contraste entre vos combats d’hier et vos pratiques de l’heure ! Vous disiez avoir hérité d’un pays et non d’un Etat, seulement l’Etat de Guinée prend tellement de coups qu’il mourra d’apoplexie si vous continuez à lui frapper fort et dru.
Vous avez promis vouloir être le Président de tous les Guinéens. Les Guinéens vous y attendaient là. N’ayant pas osé la réconciliation nationale, vous aggravez les frustrations et les ressentiments. N’ayant pas eu le courage d’entretenir la mémoire collective à travers une politique nationale de deuil et de «juste » mémoire, vous la falsifiez. Les Guinéens n’ont jamais été accablés de douleur comme ils le sont sous vos mandatures. Au lieu de supprimer les maux, de les abréger, vous en rajouter. Vous reportez aux prochaines générations la résolution de nos problèmes. Le mal est que vous compromettez l’avenir. Je vous le dirai pourquoi.
Monsieur le Président, la vie humaine est banalisée sous vos mandatures. Le sacré n’a plus de sens. La promesse non plus. Pourtant, l’homme se reconnait à sa parole. Quand on se dédit, retire sa parole, on perd sa dignité et devient quelque chose de méprisable. Monsieur le Président, vos concitoyens meurent, quel que soit le mal qu’ils aient commis, ils méritent qu’on leur rende justice. Vous avouez être incapable de dire qui en sont les commanditaires des meurtres contre ceux qui s’opposent à vos pratiques, ceux qui réclament le respect de la constitution, ceux qui occupent les rues pour dire ce qu’ils vivent et veulent. Mais qui peut-on tenir pour responsable de ces meurtres, si ce n’est votre gouvernance et pour dire juste, vous ? Qu’avez-vous fait pour rendre justice, pour que le droit soit dit, pour que la vérité soit connue, pour que les assassins soient mis aux arrêts et que la sanction convenable leur tombe dessus ? Mais que peut-on, en toute sincérité, attendre d’un homme qui ne reconnaît pas l’étendue de ses responsabilités et la noblesse de son statut ? Nous vivons une grande impunité et c’est bien vous qui l’entretenez. Nous vivons un affaissement de l’Etat et c’est vous qui démolissez ses institutions et démantelez ses symboles. Vous avez toujours préféré les compromis mous, abscons et velléitaires à la loi. Pour vous, ces compromis permettaient la paix là où lois dans leurs observations conduiraient à autre chose que la stabilité. Quel sens de l’Etat !
Monsieur le Président, vous semblez prendre un énorme plaisir à pointer du doigt les anciens ministres comme les responsables de notre malheur national et de notre mal-être collectif. Seulement, quand ils sont de vos rangs, se jettent à vos pieds, ils sont quittes et débonnaires. S’ils vous ravissent votre fauteuil, alors ils sont responsables de tout. Un ministre, qui que ce soit, doit-il s’attribuer les succès de vos mandatures ? Sinon, on ne saurait lui attribuer aussi vos piètres résultats. Il en va de même pour vos antécesseurs. Êtes-vous devenu un expiateur de péchés ?
Monsieur le Président, vous aimez vous enorgueillir de « vos exploits économiques » et votre Premier ministre dit que vous êtes le champion de l’émergence économique. Les réalités, celles du quotidien des Guinéens, contredisent vos prétendus exploits. Vos résultats économiques sont contrastés et ne doivent donner à aucune autosatisfaction à moins que vous n’ayez aucun égard pour vos concitoyens. Où est la croissance à deux chiffres ? Elle est encore unijambiste. Où sont ses emplois tant attendus ? Où sont les fruits de la croissance et à qui profitent-ils ? De combien de points de pourcentage la pauvreté a-t-elle reculé en Guinée ? Les inégalités s’aggravent entre les villes. Votre croissance a plus d’externalités négatives que positives : les villages sont déplacés dans les zones minières, les faunes et flores y sont attaquées, les terres cultivables accaparées. Qui profitent tout cela ?
Notre société est de plus en plus inégalitaire. Elle ne vit même plus l’espoir de l’égalité des chances dès lors que la carte de membre de votre parti, l’appartenance à un clan, déterminent les chances devant le travail. Le mérite ? Il ne vaut rien. Où étudient les enfants de vos ministres ? Ailleurs, loin du pays ou dans les écoles privées étrangères du pays. Pourquoi cela ? Parce qu’ils n’ont pas foi en votre Ecole de la République qui ne forme que des chômeurs et des candidats à l’immigration clandestine. L’école est en panne, comme votre République d’ailleurs. Vous lui administrez un remède inapproprié. Nous vivons dans un pays de reproduction sociale et héréditaire : une minorité à la main accaparante envoie ses enfants étudier à l’étranger afin qu’ils reviennent jouir du pays tandis que ceux de l’écrasante majorité accèdent à la piètre formation. C’est aussi cela votre idée de la justice sociale.
Monsieur vous vous êtes exprimé à travers vos courtisans pour appeler à une nouvelle République dont les substrats sont creux et inconsistants. Vous êtes tellement insatisfait de vous-même, de votre gestion du pays, que vous avez vite fait des boucs émissaires : la troisième République dont les institutions seraient incompatibles au progrès, l’opposition qui vous aurait empêché de travailler, Ebola qui se serait abattu telle une malédiction sur votre pays pour entraver sa marche vers le progrès. Vous avez tué la troisième République. Alors vous avez entretenu de façon opaque la rédaction d’une nouvelle constitution sans recueillir aucun assentiment et les aspirations du peuple. Cette constitution que vous avez proposée est la norme de la régression. Elle n’apporte pas grand-chose à ce qui était, elle n’est révolutionnaire en rien, comme annoncée. Qu’est-ce qu’elle propose qui aurait été impossible par la révision de la norme assassinée ? Vous avez exprimé de façon non voilée votre intention : vous donnez une autre chance de vous rattraper. Seulement, la Guinée est à la recherche du temps perdu et ne veut plus de fourvoiement. Vous demandez un passe-droit et il ne vous sied pas. Il vous déshonore, vous faites du mal au pays.
Monsieur le Président, vous avez créé un antécédent constitutionnel malheureux ; ainsi tous ceux qui voudront tricher à la loi suprême, auront des excuses : « Monsieur Condé l’a fait et je peux le faire. » Cela sonne comme une déchéance pour quelqu’un qui s’est, dit-il, battu pour la démocratie. Votre projet sape les fondements de la paix dès lors qu’il trahit l’esprit de la constitution de 2010 qui consacrait l’alternance qui permettait dans certaines conditions d’asseoir les bases de la paix.
Monsieur le Président, vous serez une injustice en marche si vous ne renoncez pas à l’idée d’un autre mandat. Aussi, vous ferez un mal contre vous-même, si jamais vous œuvrez à retarder la montre électorale par des manœuvres visant à accaparer le pouvoir. La présidentielle doit se tenir sans vous. Vous devez le faire savoir à tous et reportez en un autre vos espoirs. Ce qui permettra d’appeler à un dialogue que nous voulons inclusif sur le processus électoral : possibilité de report ou non de la présidentielle et débat de fond sur les questions électorales essentielles dont celle sur le fichier électoral. Si vous ne voulez pas que votre postérité soit dédaigneuse, que votre nom soit un repoussoir, renoncez à ce qu’Alpha Condé, Président, traine dans la fange, Alpha Condé, opposant.
Monsieur le Président, vous avez souffert d’un grand mal qui vous a empêché d’avoir des performances élogieuses : vous n’avez pas le sens de l’urgence et de la priorité. Vous vous essayez à tout et êtes surpris de constater que rien ne vous réussi. Vous avez quand même fait ce que vous avez pu. Vous avez, je l’espère bien, donner le meilleur de vous et c’est pour cela que vous devez vous reposer afin que d’autres viennent au pouvoir et donnent au pays le meilleur d’eux-mêmes. Ce serait une tragédie de croire que vous êtes irremplaçable et que votre travail sera sans fin.
Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen