L’ancien président malien, le général Moussa Traoré est décédé ce mardi 15 septembre. Né le 25 septembre 1936, il avait pris le pouvoir en 1968 avant d’être renversé en mars 1991.

Au soir de sa vie, il est devenu « le sage » de Bamako. À son domicile dans la capitale du Mali, c’était un ballet incessant de véhicules, pour le saluer ou pour prendre des conseils. L’un des derniers visiteurs avant sa mort le mardi 15 septembre ? Une délégation de la junte qui a pris le pouvoir le 18 août à Bamako, conduite par le colonel Assémi Goïta, le chef des militaires putschistes lui-même. Moussa Traoré a chaleureusement reçu ses jeunes compagnons d’armes, et s’est empressé de les adouber devant la presse. Après leur entretien, « ce sont mes fils. J’ai donné les conseils utiles pour qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs que par le passé », a-t-il déclaré. Et comme s’il prenait un peu sa revanche sur l’histoire, il ajoute malicieux : « Je n’ai jamais désespéré de mon pays ».

L’homme a la mémoire longue… En 2002, déjà condamné à mort à deux reprises, alors qu’il purgeait une peine commuée en détention à perpétuité avec son épouse Mariam, Moussa Traoré recevait RFI dans sa prison de la localité de Markala, située à près de 300 kilomètres au nord de Bamako. Emmitouflé dans un boubou traditionnel, assis dans la cour d’une vieille bâtisse, un exemplaire du Coran à portée de main, son épouse non loin, il a glissé lors de l’entretien : « Vous allez voir, l’histoire me donnera raison. J’ai été victime d’un coup d’État orchestré à partir de l’extérieur. Et les prétendus démocrates qui ont pris le pouvoir sont tout sauf des patriotes. Ils n’ont rien de démocrates. Ils ne sont pas venus servir le peuple. Mais ils sont venus pour autre chose. Vous verrez. Que Dieu nous prête longue vie, on verra. »

Depuis, ses deux successeurs démocratiquement élus à la tête de l’État malien –le général Amadou Toumani Touré en 2012 et Ibrahim Boubacar Kéita en août 2020 – ont été renversés par un coup d’État militaire. Ce dernier lui a même jeté des fleurs lors de sa prestation de serment en 2013 devant un parterre de chefs d’État et de personnalités en le qualifiant de « grand démocrate » pour saluer sa présence à la cérémonie. Un parti politique, le Mouvement Patriotique pour le Renouveau (MPR) a même été créé entre-temps pour se réclamer de lui.

Celui qu’on appelait GMT (Général Moussa Traoré), avait donc la mémoire longue, mais le peuple malien aussi…. Lorsqu’il est renversé le 26 mars 1991, pour bon nombre de Maliens, c’est la fin d’une dictature. « Oui, en mars 1991, c’est une dictature qui a été renversée. Pour moi, la mort de Moussa Traoré est un non-événement. […] Condamné deux fois à la peine de mort, il n’a jamais eu l’humilité de présenter ses excuses au peuple malien martyr de ses 23 ans de dictature » , a confié à RFI, Djiguiba Kéita dit PPR, membre du Parti pour la renaissance nationale (Parena). Comme d’autres Maliens, sous le règne de Moussa Traoré, il s’est exilé pour échapper aux fourches caudines du parti unique.

D’autres qui ont eu à faire à GMT, continuent de témoigner comme Sory Ibrahima Traoré, fils de Ibrahima Traoré, détenu politique entre 1974 et 1978. Peu après la mort de l’ancien président, il a publié sur sa page Facebook un message : « Mon général [Moussa Traoré], je te pardonne et je demande à toute ma famille de faire la même chose. À cause de toi, mon père a fait quatre ans de prison du camp-para [à Bamako] à Ansogo [Nord] en passant par [le bagne] de Taoudéni [Nord]. Mon général, étant bébé, j’ai fait mes premiers mois dans la cour de la prison de Ansogo, parce que ma mère y avait rejoint son mari détenu politique. Mais je te pardonne. »

Dur avec ses opposants

Fils d’un ancien soldat de l’armée française, Moussa Traoré suivra la même voie en 1954, à l’école de troupe de Kati près de Bamako, puis regagnera l’école d’officiers de Fréjus six ans plus tard.

Le 19 novembre 1968, à 32 ans, il participe à un coup d’État militaire qui renverse le père de l’indépendance du Mali, le président Modibo Kéita. Il prend ainsi la tête du comité militaire de libération nationale (CMLN) puis devient chef de l’État. Alors que certains espéraient voir les civils revenir au pouvoir, il fait adopter en 1974, une nouvelle constitution qui installe la seconde République.

Sentant une vague de contestation naissante, il drague quelques intellectuels et crée, en 1979, l’Union démocratique du peuple malien (l’UDPM), le parti unique. Dans les années 80, une répression s’abat notamment sur les étudiants. Un leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit « Cabral » meurt le 17 mars 1980 sous la torture, selon plusieurs sources. Jusqu’à ce jour, il est encore célébré chaque année au Mali et une place porte son nom à Bamako.

Les adversaires politiques les moins chanceux de Moussa Traoré terminent leur vie en travaillant dans la mine de sel de Taoudeni, un bagne perdu au milieu du Sahara, à environ 900 kilomètres au nord de Tombouctou. Cette redoutable prison à ciel ouvert sera définitivement fermée par le président Alpha Oumar Konaré qui dirigea le Mali entre 1992 et 2002.

Moussa Traoré a senti le vent tourner, mais n’a pas pris toutes les précautions. Le discours de la Baule de François Mitterrand est notamment passé par là. L’opinion nationale lui demande d’ouvrir les vannes du multipartisme. Moussa Traoré demande à ses interlocuteurs d’attendre un peu. Il sera emporté par un coup d’État le 26 mars 1991, après 23 ans passés au pouvoir. Des manifestants ont trouvé la mort lors de l’insurrection populaire. Il sera condamné à mort à deux reprises. Pour « crimes de sang » et six ans plus tard pour « crimes économiques ». Ses avocats ont dénoncé « une parodie de justice ».

Mariam Traoré, « l’impératrice »

On ne peut pas parler de Moussa Traoré sans évoquer son épouse Mariam. Au fait de sa gloire, elle est surnommée « l’impératrice ». Femme de caractère, elle a toujours été proche de son époux. Condamnée à mort pour « crimes économiques » en 1999, (sa peine et celle de son époux seront commuées en détention à perpétuité), elle est connue pour ne pas avoir sa langue dans la poche.

Lors de son procès en 1999, invitée à justifier une partie des bien familiaux, elle a déclaré devant le public médusé : « C’est feu président Felix Houphouët Boigny [ancien président de la Côte d’Ivoire] qui nous a fait un don qui a permis la réalisation de notre champ. » Ce procès a un peu laissé un goût d’inachevé. Le couple que la vox populi disait avoir détourné « des milliards de dollars », a finalement été condamné pour détournement de « quelques centaines de millions de francs CFA », montant que la défense a contesté avec véhémence.

Lors d’une autre visite au couple dans sa prison de la localité de Markala, RFI avait été invité par Mariam à visiter la chambre qu’elle partage avec son époux pour « démentir » les informations selon lesquelles, ils dormaient dans « un luxe insolent ». L’endroit était tout sauf luxueux. Un drap de couleur bleu, un lit à deux places, le climatiseur en panne et à même le sol, jonchaient des affaires.

Revenue auprès de son époux après cette visite rapide de la chambre présidentielle, elle engage la conversation sur une véranda où l’homme de sa vie est assis sur une chaise en fer. Pour montrer qu’elle a toujours de l’autorité, mais aussi de l’humour, elle arrache la parole à son époux. « Laisse-moi parler …. Quand je constate aujourd’hui ce qu’on appelle démocratie au Mali, je me pose des questions. Je crois qu’à notre époque, il y avait plus de démocratie qu’aujourd’hui. Mon Mari nommait aux postes de responsabilité des hommes compétents », déclare-t-elle.

« Moussa Traoré ne badinait pas avec l’outil de défense »

La révolution de mars 1991 n’a pas résolu tous les problèmes du pays. Après deux mandats autorisés par la Constitution, le président Alpha Oumar Konaré passe le flambeau au général Amadou Toumani Touré. Pour la première fois dans l’histoire du Mali, un président démocratiquement élu succède à un autre démocratiquement élu aussi.

Mais la jeunesse est impatiente et la corruption a pris l’ascenseur. « Sous Modibo Kéita, on ne volait pas… Sous Moussa Traoré, on avait peur de voler, ce n’est pas le cas aujourd’hui », a déclaré avant sa mort l’écrivain malien Seydou Badian Kouyaté.

Dans l’imaginaire des Maliens, si la cote du général défunt remonte au sein de l’opinion, c’est à cause de la situation sécuritaire actuelle du Mali. « Moussa Traoré ne badinait pas avec l’outil de défense. Il a toujours veillé à équiper l’armée malienne qui était l’une des plus puissantes de la sous-région. Or, aujourd’hui, notre pays est divisé. C’est quelque chose qui fait très mal. Si Moussa Traoré était aux affaires, jamais cela ne serait arrivé. C’est un patriote, un nationaliste. Si Moussa Traoré était au pouvoir, on n’allait pas assister à ces détournements de fonds au sein de l’armée. Sous Moussa Traoré, quand vous volez 20 millions de francs CFA, c’était la peine de mort. Aujourd’hui, on vole des milliards, on est plutôt décoré. Voilà pourquoi Moussa Traoré est devenu populaire. C’est vrai, il a été dur avec ses opposants, mais il avait le sens de l’autorité, de l’honneur et de la patrie », explique Moussa Condé, jeune sociologue malien, diplômé d’une université sénégalaise.

Il ajoute : « La roue de l’histoire tourne. Moussa Traoré a su se trouver une place après sa sortie de prison. Il est devenu un sage, ayant pour premier compagnon, le Coran. Mais il est resté militaire dans le comportement. Et les Maliens ont apprécié parce qu’on a besoin aujourd’hui de certaines de ses qualités pour sortir le Mali de certaines difficultés ».

Gracié en 2002 tout comme son épouse, « au nom de la réconciliation nationale » par le président Alpha Oumar Konaré, après onze ans de détention, le couple recouvre la liberté, avant d’être logé dans une maison de l’État. L’homme qui a dirigé pendant 23 ans le Mali est même quasiment réhabilité puisqu’il retrouve le statut d’ancien chef d’État. En tout cas, il bénéficie des avantages d’un ancien président du Mali. Outre la maison, le gouvernement met à sa disposition des véhicules, du personnel de maison et une garde.

Avec son épouse, il avait une passion : aller au champ. RFI lui a rendu une dernière visite l’an dernier, à son domicile de Bamako. Le téléphone a sonné. Comme d’habitude, c’est son épouse Mariam qui décroche. L’appel était plutôt lointain. Le Général Moussa Traoré prend le combiné, murmure et promet de rappeler. Il se retourne vers moi, et affirme : « Je vais rappeler, parce qu’il faut se méfier des bruits d’atmosphère »… Sa manière à lui de dire « le téléphone est peut-être sur table d’écoute, je vais rappeler d’une ligne plus sûre ». L’homme qui a rendu l’âme à 84 ans, avait aussi des formules chocs.

RFI