Le boycottage constitue-t-il un instrument politique ?

I. ASPECTS CONCEPTUELS ET IMPLICATIONS JURIDIQUES

Le boycottage s’entend, en droit, de « l’abstention organisée de relations juridiques avec un agent économique (industriel, commerçant, employeur, salarié) en vue de l’amener par la limitation ou la paralysie de son activité, à modifier son comportement professionnel » (Rapport général présenté par H. Deschenaux, « Journée de Fribourg », dans Travaux de l’association Henri Capitant, 1956, D., 1959, p. 51). Lucchini relevait, outre la dimension large, que, stricto sensu, le boycottage se limite au domaine strictement économique et consiste dans « un ensemble de mesures tendant à interrompre les échanges commerciaux avec un ou plusieurs Etats étrangers ou à éviter, sur le territoire de ces Etats, l’installation de facteur de production ». C’est en ce sens que le Professeur Charles Leben avait relevé que dans une très bonne partie de la littérature anglo-saxonne, le boycottage est assimilé à l’embargo. « Charles Leben, Les contre-mesures interétatiques et les réactions à l’illicite dans la société internationale, 1982, vol. 28, AFDI ».

Lucchini a soutenu qu’en prenant en compte les intentions qui animent les auteurs du boycottage, l’on peut distinguer le boycottage de repli du boycottage offensif. Le premier se caractérise par l’interruption de relations économiques avec un Etat sans que la décision ne soit motivée par la volonté de lui causer un préjudice ou de le contraindre à l’adoption d’un comportement déterminé. C’est le cas dans lequel il vise à limiter au maximum les échanges commerciaux avec l’étranger dans le dessein de protéger l’économie nationale ou d’en favoriser le développement. L’inexistence d’une volonté conflictuelle fait de ce procédé, un boycottage qui n’en est pas un, en réalité. Quant au boycottage offensif, il traduit le désir d’utiliser un moyen économique à l’encontre d’un Etat étranger. Il est susceptible de degré selon qu’il s’agisse d’une protestation temporaire et isolée, destinée à manifester une certaine désapprobation ou d’une pression persistante, organisée, collective pour obtenir un résultat déterminé. (LUCCHINI L., Le Boycottage, in SFDI, Aspects du droit international économique. Elaboration-contrôle-sanction, Colloque d’Orléans, Paris, Pedone, 1972, p. 69. »).

En droit international, la typologie la plus pertinente des boycottages du point de vue des conséquences juridiques, repose sur la portée et les entités ciblées par les mesures qui en constituent la manifestation.. Il y a ainsi le BOYCOTTAGE PRIMAIRE, le BOYCOTTAGE PRIMAIRE ETENDU et le BOYCOTTAGE SECONDAIRE. Le boycottage primaire consiste dans la décision d’un Etat « d’interdire les échanges commerciaux à partir ou à destination de son territoire avec l’Etat avec l’Etat visé ». Dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (arrêt du 27 juin 1986) la Cour internationale de Justice a considéré un tel boycottage valide en droit international, en raison du titre territorial de l’Etat, sous réserve de l’existence d’un engagement conventionnel prohibant des restrictions commerciales (Ascensio H., Droit international économique, PUF, 2018, p. 25).

Le boycottage primaire est étendu « lorsque l’Etat étend l’interdiction de commercer aux succursales à l’étranger de ses sociétés nationales, voire aux filiales étrangères des contrôlées par des sociétés nationales. Il en va de même de l’extension du boycottage aux sociétés étrangères ayant des succursales ou des filiales sur le territoire national. Le boycottage primaire étendu n’est pas conforme au droit international en raison de son extension aux filiales qui sont des entités disposant d’une personnalité juridique étrangère. Le problème vient ainsi de ce que « l’Etat dont les intérêts économiques sont lésés n’est alors plus seulement l’Etat visé par les sanctions , mais également l’Etat tiers dont les sociétés entrent dans leur champ d’application, alors même que cet Etat ne souhaite pas adopter les mêmes sanctions ». (Ascensio H., op. cit., p. 26).

Enfin, le boycottage est secondaire, lorsqu’il « consiste à interdire les échanges commerciaux avec les Etats tiers qui commercent avec l’Etat visé ou le soutiennent ». Ce type de boycottage est contraire au droit international, étant entendu qu’il représente une atteinte réelle au principe de non intervention dans les affaires intérieures des Etats.

Face à certaines situations de boycottages, les Etats ont réagi en adoptant des réglementations destinés à circonscrire leurs effets discriminatoires ainsi que leur incidence sur l’économique. A titre d’exemple, en FRANCE, les situations de boycott ont déterminé l’adoption de la loi du 7 juin 1977 (dispositions du Code pénal) sur les entraves administratives au commerce provoquées par des discriminations à raison de « l’origine nationale ou de l’appartenance, vraie ou supposée à une communauté ethnique, raciale ou confessionnelle ».

Aux ETATS-UNIS d’AMERIQUE, dans la lutte contre les aspects « secondaires » que le boycott arabe a entraîné, à partir de 1974-1975, le Congrès a adopté le TAX REFORM ACT en 1976 destiné à supprimer tout avantage fiscal aux sociétés se pliant au boycott arabe. De même, en 1977 un l’amendement apporté à l’EXPORT ADMINISTRATION ACT a interdit tous les effets de ce boycott aux Etats-Unis et sur des sociétés américaines.

II. LA FONCTION EMINEMMENT POLITIQUE DU BOYCOTTAGE

Le boycottage constitue un instrument fondamentalement politique en ce sens qu’il vise, par la pression exercée sur la personne ou l’entité ciblée, à modifier son comportement, à le contraindre à cesser une politique. Les causes politiques sont généralement inhérentes à l’essentiel des cas de boycottages. Qu’il s’agisse de l’invitation, en 2020, au boycott des produits français dans plusieurs pays majoritairement musulmans, du boycottage par la population turc des produits autrichiens, bulgares ou grecs ; la mesure arrêtée en 1956 par les Dockers d’Alexandrie, boycottant les navires français en protestation de la POLITIQUE ALGERIENNE DE LA FRANCE ; la décision de boycottage décrétée par les syndicats italiens de Dockers à l’encontre de la Grèce en vue de manifester leur solidarité avec le peuple grec.

De même, au cours de la 1e GM, si les alliés ont organisé à Paris, en 1916, une Conférence économique au cours de laquelle ils se sont engagés à interdire à leurs nationaux tout commerce avec les sujets ennemis (JDI 1916) de même qu’avec des sociétés contrôlées en tout ou partie par des ressortissants ennemis, c’est assurément parce qu’ils entendaient affaiblir les Etats ennemis pour gagner la guerre, au-delà des armes. Si les chefs Patriotes Québécois ont décidé, en 1837 de boycotter les produits importés d’Angleterre, c’est justement parce qu’il avaient pour objectif de libérer le Québec en tarissant les fonds publics, revenus fiscaux perçus à la douane.

De même, le boycott du Bus de Montgomery a été considéré en 1955 à l’appel de Martin Luther King, comme un instrument de lutte contre la discrimination raciale. Egalement, le boycottage de l’Afrique du Sud dans les années 1970 reposait sur l’objectif de l’abolition de l’Apartheid considéré par le Conseil de sécurité comme troublant gravement la paix et la sécurité internationales. Il en va de même du Boycottage appliqué à partir du 29 novembre 1957 par les autorités indonésiennes aux ressortissants, services et produits hollandais (AFDI, 1962) qui reposait sur un objectif politique. Dans le même sens, le boycott de produits israéliens, le 2 décembre 1945, par les Etats arabes, reposait sur le sionisme qu’ils combattaient.

Ces différents cas illustratifs ne permettent guère de contester la fonction éminemment politique du boycottage. En conséquence, le débat sur les BOYCOTTS ou les BOYCOTTAGES EN GUINEE NE DOIT PAS SE FOCALISER SUR LA CRITIQUE DE LA POLITISATION ; PUISQU’IL S’AGIT D’UN INSTRUMENT EMINEMMENT POLITIQUE.

JEAN PAUL KOTEMBEDOUNO
ATTACHÉ TEMPORAIRE D’ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE À L’ECOLE DE DROIT DE LA SORBONNE, UNIVERSITÉ PARIS 1, PANTHEON-SORBONNE
Jean-Paul.Kotembedouno@univ-paris1.fr