Me Titi SIDIBE, Avocat au barreau de Bruxelles

Une des caractéristiques des décisions de justice est de laisser libre court à des opinions diverses à son encontre. Des opinions souvent tranchées selon les enjeux de la cause, les unes par rapport aux autres, nuancées ou carrément opposéequant à ce que le juge ou la cour a décidé.

Quelle que soit la portée d’une décision de justice, bien ou mal motivée, l’opinion dont on parle est celle qui approuve le jugement ou le conteste selon qu’elle arrange ou dérange les intérêts et les croyances. Ainsi, la partie qui succombe à un procès a souvent tendance à s’estimer incomprise ou lésée parce que ses arguments développés en termes de plaidoirie ne l’ont pas emporté face à son adversaire. Il arrive aussi que la partie qui l’emporte à un procès soit tout aussi critique en ce que, par exemple, la peine infligée à son adversaire ou la réparation qui lui est allouée n’est pas satisfaisante à son estime.

Cependant, dans un Etat de droit, le respect de la décision de justice demeure une valeur sacrée qui s’impose à tous, sous réserve toutefois des voies de recours et des garanties prévues et organisées par la loi. Ainsi, que l’on soit satisfait ou non d’une décision de justice, elle n’en est demeure pas moins la « vérité » que les juristes appellent « la vérité judiciaire ».

Remarquons que les parties au procès, civil ou pénal, ont, chacune, plaidé leurs vérités respectives (deux vérités opposées donc) qui se voient tranchées et remplacées par la décision du juge (la vérité judiciaire).

La caractéristique principale de la vérité judiciaire est de demeurer la seule qui vaille dans un Etat de droit. Le juge, l’arbitre reconnu comme tel a tranché, nous devons donc respecter sa « vérité » qui devient la nôtre puisque inspirée par les lois et les institutionsce quelle que soit la qualité de la décision de justice. Si la décision du juge est définitive, elle rentre en force de chose jugée, s’impose à tous (erga omnes) et s’applique, au besoin, par la force publique.

De même dans un Etat droit, l’opinion publique n’est pas assignée à se soumettre passivement, sans discernement, à une « vérité judiciaire » qui n’offrirait aucune garantie en termes d’apparence et même d’apparat que l’on attend d’une justice responsable et digne de ce nom. Le juge tient son office de la volonté exprimée par « le peuple » de se départir du pouvoir de juger en faveur d’un pouvoir judiciaire qu’il institue et dont il reconnait les décisions. Ce n’est pas l’opinion publique qui rend justice mais c’est par une certaine opinion que le peuple juge l’action de ses « mandataires de justice.

Pour que le juge ne se croit pas tout permis du haut de son magistère, pour éviter qu’il ne se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, le constituant a balisé sur tout le cheminement judiciaire des principes généraux du droit qui agissent tantôt comme des panneaux pour guider l’action du magistrat, tantôt comme des garde-fous au détournement pouvoir auquel il pourrait se laisser entraîner.

C’est ainsi que le juge sérieux mettra un point d’honneur à respecter le sacrosaint principe dit de la présomption d’innocence qui voudrait qu’il ne préjuge pas les causes qui lui sont soumises ; celui du contradictoire qui enseigne que les parties doivent pouvoir argumenter, à armes égales, sur tous les faits et actes de la cause, ou encore le principe dispositif qui voudrait que les parties à un procès civil définissent elles l’objet de celui-ci.

Cela dit, un Etat de droit n’étant pas nécessairement un Etat démocratique, le juge investi du pouvoir judiciaire dans un Etat soumis au droit et aux principes démocratiques est contraint de s’accommoder à une autre contraintetout aussi précieuse, qui est celle de la théorie de l’apparence. La démocratie est une question d’opinion, le juge exerçant dans une société démocratique ne peut, en règle, ignorer les attentes légitimes de l’opinion publique.

Plus concrètement, la théorie de l’apparence est une création jurisprudentielle d’origine anglosaxonne – justice must not only be doneit’s must also be seen to be done – également consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Dans cet arrêt de 2011, « La Cour observe qu’il est dans l’intérêt général de maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un Etat ».

Dans son arrêt Guja contre la Moldavie, la CEDH arappelé la nécessité de laconfiance légitime de l’opinion en ses institutions pour garantir la démocratie. Pour faire bref, convenons que l’attente légitime de l’opinion publique à voir ce que ses juges agissent d’une manière indépendante et impartialeest le baromètre de la vitalité et de la légitimité de l’institution judiciaire dans une société effectivement démocratique.

Au vu de ce qui précède et par les temps qui courent, on peut raisonnablement s’interroger sur l’indépendance de l’institution judiciaire en République de Guinée. En effet, la confiance de l’opinion publique est tout aussi fondée sur le cheminement rationnel de l’action publique (exercée par le procureur) que sur le verdict prononcé par le juge pénal.

Ainsi donc, sommes-nous en terre de démocratie en Guinée où l’impératif du respect absolu de la vérité judiciaire se concilie harmonieusement avec la nécessité d’une justice fiable et crédible de par ses apparences ? Si les opinions peuvent être diverses, voire nuancées, quant à la réponse à la question, les affaires actuellement en cours ne manquent pas d’enseignements pratiques pour qui voudrait se faire une opinion avec raison.

Par Me Titi Sidibé, avocat au barreau de Bruxelles (Belgique)