Le week-end électoral sur le continent africain ne sera pas passé inaperçu. Echauffourées d’avant scrutin et contestations de rue n’empêcheront pas la consolidation de pouvoirs en quête d’une légitimité largement entamée.
Formalisme trompeur, légitimité de façade
Le 5è mandat du Djiboutien Ismaël Omar Guelleh, la réélection pour un second mandat du Béninois Patrice Talon et la prorogation du bail présidentiel d’Idriss Déby Itno au pays de Toumaï passeront sûrement comme lettre à la poste. Cette semaine, la Cour constitutionnelle congolaise a confirmé la victoire sans surprise de l’‘’Empereur’’ Sassou Nguesso à la présidentielle du 21 mars dernier. Aucun symbolisme particulier n’est à rattacher aux élections présidentielles à Djibouti, au Tchad ou au Congo-Brazzaville. A part la consécration du népotisme d’Etat et d’un statu quo voulu par ceux qui ferment les yeux sur les dérives autocratiques des potentats, motif pris de leur positionnement géostratégique et militaire dans les régions concernées, Cir-cu-lez ! Il n’y a rien à signaler ! Inutile d’expliquer ce que représente Djibouti, épicentre régional du trafic maritime, pour les puissances militaires mondiales. La vie démocratique des Djiboutiens n’est pas au cœur des enjeux qui cristallisent les passions. La vérité, c’est qu’aussi longtemps qu’on peut y faire des affaires, on peut fermer les yeux sur la gouvernance démocratique désastreuse d’Omar Guelleh. Le Yémen, c’est la porte d’à côté et le détroit de Bab El Mandeb reste un verrou géostratégique entre la mer rouge et l’océan indien. Il vaut mieux un Djibouti stable sous la dictature Guelleh qu’un pays failli, terreau fertile pour les extrémismes qui prospèrent au Yémen. La même grille d’analyse pourrait s’appliquer au prince Déby tant la place du Tchad dans la lutte anti-terroriste au Sahel n’est plus à démontrer. Dans cette grisaille autocratique, c’est bien le cas du Bénin qui inquiète. Sorti de l’étau du marxisme-léninisme de Kérékou, le Bénin a été le premier pays d’Afrique francophone subsaharienne à montrer la voie de la liberté avec sa Conférence nationale des Forces vives de février 1990. La présidentielle de dimanche que Patrice Talon est sûr de remporter a rompu la tradition d’ouverture dont s’était paré depuis l’élection de Nicéphore Soglo le quartier Latin d’Afrique. Prétextant d’une réforme du système partisan, Patrice Talon a pris le soin d’écarter avec ruse tous ses concurrents, vidant de sa substance la compétition électorale qui faisait la fierté du pays de Gbéhanzin. Le modèle démocratique béninois ne fait plus rêver. Mais il n’est pas le seul dans le cas. Les modèles malien, sénégalais et nigérien ont perdu de leur superbe. Ce même 11 avril, les Ivoiriens se souviennent des affres de la guerre civile. L’alternance politique s’y était opérée en 2010 au moyen d’armes lourdes françaises et onusiennes. Sous Ouattara, l’embellie infrastructurelle d’un pays dont les leviers économiques sont encore sous haute surveillance française contraste avec l’indigence du respect des droits de l’Homme. L’imposition de la démocratie à l’arme lourde dans le cas ivoirien n’a pas été un choix de casting heureux. Que retenir finalement de ces processus électoraux sur le continent ?
Lassitude et résignation grandissantes
Les élections se suivent et se ressemblent sur le continent. Elles sont d’une insipidité désolante. Le hold-up électoral est devenu la règle, la dénonciation stérile, le chapelet de litanie favori d’opposants dont on ne perçoit plus vraiment la stratégie de conquête du pouvoir. Les modèles démocratiques qu’on avait élevés en standard du seul fait d’alternances politiques pacifiques montrent des signes inquiétants d’essoufflement. En cause, un système partisan sclérosé et un processus électoral vicié depuis sa conception. Un processus électoral où l’on a vite fait de résumer la performance démocratique d’un pays au critère formel de l’élection et d’une possible alternance. C’est un euphémisme de le dire : les démocraties dans le monde sont en crise. En crise de légitimité. Les plus vieilles font face à une défiance populaire, les plus jeunes s’embourbent dans un formalisme qui cache à peine leur visage hideux. Les Commissions électorales dites indépendantes sont devenues des foyers de tension entre politiques au détriment de l’expertise de techniciens rompus aux arcanes de la science électorale. La fraude systématisée fait le lit des contestations et les institutions chargées des contentieux électoraux peinent à montrer leur indépendance. A ce lot d’entraves structurelles s’ajoute une autre beaucoup plus ontologique : l’absence d’un leadership alternatif qui incarne la volonté des nouvelles générations de rompre avec toute forme de paternalisme et de tutelle néo-impérialiste. Qu’à cela ne tienne ! La décennie 2020-2030 va irréversiblement rebattre les cartes sur l’échiquier politique continental. L’enjeu des bouleversements à venir réside dans l’émergence d’une alternative et non le satisfecit d’alternances formelles, source de désenchantement.
Pour une alternative authentique, mais avec qui ?
Fini le temps des alternances formelles applaudies ! L’aspiration à des alternatives authentiques incarnées par des leaders de rupture est grandissante. Un autre pouvoir, humain, solidaire, décomplexé qui renverse les fondements de la servitude consentie des années d’indépendance est possible sur le continent. Ce leadership alternatif n’attendra pas les injonctions de Paris, Bruxelles ou Washington pour exister. Il n’aura pas été coopté pour. Il aura germé dans la conscience d’une nouvelle génération avide d’autodétermination authentique. Ce leadership alternatif pourrait sortir de la société civile. Mais ce n’est pas non plus la voie sanctuarisée. On sait aujourd’hui que plusieurs organisations de la société civile avancent avec des masques, programmées qu’elles sont, pour exécuter des agendas occultes de réseaux capitalistes extérieurs puissants. Le leadership alternatif ne sera pas non plus populiste, comme pourraient le penser tous ceux qui décrédibilisent l’appropriation par la rue de sujets jusque-là dévolus à des élites préparées pour perpétuer une bien-pensance préétablie. Les lendemains de révolution font déchanter le plus souvent la rue. La preuve, ce n’est pas un leader du Balai citoyen ou du Collectif Y’en a Marre qui a remplacé Blaise Compaoré au Burkina Faso ou Abdoulaye Wade au Sénégal. Le monstre du système partisan renaît toujours des cendres d’un clan déchu du pouvoir. Le leadership alternatif dont il est question est un renouvellement de la mentalité de la gestion de la chose publique. Un leadership qui sème une espérance nouvelle dans le cœur des citoyens d’une même nation. Une espérance fondée sur un projet commun de bâtir un idéal avec des valeurs inaltérables. C’est bien cela qui manque aujourd’hui et qui cause l’échec des systèmes partisans issus du printemps démocratique africain. Le projet commun de sortie de la servitude consentie par nos pères, souvent malgré eux, doit être une obsession africaine, 60 ans après les indépendances. Cette décennie marque la fin d’un cycle : des monuments politiques qu’on croyait indéboulonnables feront place à de nouveaux visages. Ces nouveaux visages doivent se nourrir de cette sève alternative. Pas une option. Mais un impératif. Ça peut se faire. Ça va se faire !
Par Fidèle Goulyzia, Ecrivain ivoirien