Fidèle Goulyzia, Ecrivain ivoirien

L’élimination brutale de l’homme fort de N’Djamena éclabousse l’actualité africaine de sa résonance géopolitique. Entre le respect des valeurs universelles dont elle se targue d’être l’épicentre historique et le statu quo autocratique sous les tropiques, Paris a fait un choix sans ambages: la préservation d’intérêts incestueux. Rien de nouveau en soi. Qui a tué le maréchal Déby ? Quelles sont les conséquences de sa mort sur la lutte contre le terrorisme dans le Sahel ? Cette tribune n’a pas vocation à répondre à ces deux questions – Il faut laisser la besogne aux spécialistes en défense et stratégie militaire programmés pour s’épancher frénétiquement dans les médias de propagande – Elle tente de décrypter à froid l’attitude de la diplomatie française dans l’imbroglio tchadien dont la trame n’est pas sans rappeler le schéma désormais connu de précédentes dévolutions dynastiques du pouvoir d’Etat sur le continent.

Diplomatie barbouze au pays de Toumaï

Des récits factuels de légende servis par des milieux dits bien informés se sont attelés à répandre une version quasi irréfutable des dernières heures du tombeur d’Hissen Habré. Les circonstances de l’élimination (sans nuance pour ma part) d’Idriss Déby restent floues. Il est impensable que les renseignements français aient été pris de court par les évènements. Dans cette région cinq fois plus grande que la France, les intelligences stratégiques occidentales ne se marchent pas sur les pieds. Elles pouvaient en toute logique localiser les positions du prince du Sahel. Ya-t-il eu sous-traitance ou falsification de renseignements stratégiques entre intelligences occidentales au profit des rebelles du FACT ? On savait Déby grincheux, capricieux et provocateur. Les jours pairs, il était capable d’emboucher la trompette du souverainisme radical. Les jours impairs, il se présentait comme l’allié sûr et incontournable du rayonnement français dans la région. En 2010, il avait demandé une contrepartie financière à la présence de l’opération Epervier sur le sol tchadien, alors que deux ans auparavant, il avait été sauvé in extremis d’une chute spectaculaire grâce à l’intervention de Sarkozy et de Kadhafi. Le 4 décembre 1990, escorté par les renseignements français jusqu’à Ndjamena, le jeune colonel Déby prononçait cette formule passée à la postérité, après la chute de Habré: « Peuple tchadien, je vous ai amené ni or, ni argent mais la liberté ».30 ans après, le colonel devenu maréchal avait or, argent et même pétrole. Mais au pays de Toumaï, la liberté avait foutu le camp depuis bien longtemps ! On ne regrettera pas la gouvernance démocratique de Déby. Du tout ! Mais la diplomatie barbouze qui a servi à le liquider et à adouber ipso facto son rejeton au nom de la stabilité régionale est un crève-cœur.

Condescendance congénitale

La promotion de la démocratie, des droits de l’homme et la non-ingérence dans les affaires intérieures d’Etats indépendants, c’est la doctrine truffée d’hypocrisie que sert l’exécutif français au Palais Bourbon ou au Palais du Luxembourg, quand il est interpellé a posteriori sur ses interventions en Afrique. En général, les mécanismes de contrôle de l’action gouvernementale tels que conçus par la constitution française de 1958 ne permettent pas un contrôle a priori du parlement français sur les interventions extérieures notamment en Afrique. Même si ce contrôle parlementaire peut se prévaloir d’un zeste de contre-pouvoir en temps de cohabitation, il n’en demeure pas moins que c’est une tradition chez tous les présidents de la Vème République d’agir en véritables monarques quand il s’agit du sort des ex-colonies africaines. La consolidation de contrats léonins français prime sur le droit. Dans la tête de l’élite française dominante, les constitutions africaines, c’est du papier toilette ! La France est sourde aux jérémiades des Africains qui hurlent leur sempiternelle rage. Elle est même immunisée contre. La raison est Marianne, l’indignation Mariam ! La France peut donc tout se permettre. Elle a pour elle la force des armes et la coercition de plusieurs leviers économique, monétaire et culturel savamment entretenus. C’est cet universalisme à géométrie variable qui risque de ruiner l’influence qu’elle tente maladroitement de conserver.

Démocratie saka-saka contre géostratégie du chaos maîtrisé

En Afrique centrale où les présidences à vie sont consubstantielles à la gestion du pouvoir d’Etat, la France est sans état d’âme. Entre parodie de démocratie et perte irréversible de son influence dans son pré carré, elle a choisi son camp. Elle a décidé de marcher à contre-courant de la volonté légitime des peuples de s’émanciper de sa pesante tutelle. Une situation d’intérim (pas forcément dans les mêmes conditions que celle du Tchad) se présenterait au Gabon d’Ali Bongo, au Congo de Sassou Nguesso ou au Cameroun de Paul Biya qu’elle adopterait son invariable modus operandi : un chaos maîtrisé préférable à un processus démocratique endogène où elle se retrouverait écartée. Le maître-mot, court-circuiter les velléités d’autodétermination des peuples sous son empire. Il serait utopiste de demander à la France de lâcher du lest dans une région où la Turquie du trublion Erdogan pointe le nez notamment en Libye. En Centrafrique, la présence russe aux côtés du mathématicien-président Touadéra continue de contrarier et d’agacer au plus haut point l’arrogance française. L’enlisement et les surcoûts de l’opération Barkhane qui s’éternise n’aident pas la rhétorique diplomatique qui fait dire que la France serait prête à se sacrifier pour ne pas livrer le Sahel à la merci des terroristes. Sans l’implication de la puissance régionale algérienne, le G5 Sahel n’est ni plus ni moins qu’un machin de la France. Son financement, son architecture et sa coordination opérationnelle sont largement tributaires de l’ancienne puissance coloniale. L’élection de Joe Biden à la Maison blanche semble avoir donné des coudées franches à Paris qui sait que sans un allié occidental proactif au Sahel, il est impossible de tenir encore longtemps sur le terrain. De Serval à Barkhane, la France a perdu une cinquantaine de soldats depuis 2013. La dénégation de la bavure contre la vingtaine de civils maliens à Bounti n’enlève rien au sentiment d’échec de l’opération extérieure. Pourtant, la France continue de se mentir à elle-même, en trichant avec les principes sur lesquels elle a bâti son prestige dans le monde libre. Qui mieux qu’Aimé Césaire pour lui rappeler qu’« une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde » !

Par Fidèle GOULYZIA, Ecrivain ivoirien