Aux nombreuses sollicitations des frères portant le même patronyme et partageant les mêmes valeurs sociétales que moi, je me fais l’obligation de revenir sur l’une de mes publications relative à ce que racontent les dépositaires ou gardiens de la tradition Mandingue (Djély), à propos du nom Mara.
Un penseur anonyme Mandingue disait : « connaitre tous les cours d’eau du monde et les poissons qui y habitent, est bien. Mais cela est insuffisant. Savoir les noms des plantes et les maladies qu’elles guérissent, est aussi bien, mais cela ne suffit pas. Connaitre les chants des oiseaux et leurs interprétations, est aussi bien. Mais cela ne suffit pas également. La meilleure des connaissances, est la connaissance de soi. »
Dans les valeurs sociétales Mandingues, tout patronyme ou nom de famille a une signification, une interprétation. Il dissimule toujours des valeurs qui disent qui nous sommes ou ce que faisaient nos ancêtres comme travail. S’il n’est attaché à l’activité de la personne, il est lié à son totem, ou a en rapport avec ses origines, ses exploits ou le pacte qu’il noue avec telle personne ou tel esprit. Aucun nom n’est le fruit du hasard. Tout est engendré dans une circonstance particulière ou se rapporte forcement à quelque chose. En un mot, une histoire et une explication tournent autour de chaque nom Malinké.
Kouyaté par exemple ou ‘’ Ko yé antè’’, qui veut littéralement dire ‘’il y a un pacte ou une alliance entre nous’ ’nous rappelle l’alliance que l’ancêtre des Kouyaté Balla Fassakè avait nouée avec l’épervier qui gardait la chambre d’homme de Soumaoro Kanté pour pouvoir jouer le balafon sacré de ce dernier.
‘’Ko yé antè’’ ou ‘’il y a un pacte entre nous’’, est devenu par lapsus lingual ‘’Kouyaté’’.
Mara, Camara, Diawara, Koulibaly, Keita, Doumbouya, Maïga, Maréga, Touré, Cissé, Soumano, Kourouma, Kouyaté, Kallo, Fofana, Kéïra, Kanté, Tounkara, Koïta,Traoré, Nabé, Souaré, Cissoko, Sacko, Magassouba, Kandé, Dioubaté,Diabaté, Dabo, Bérété, Soumano, Faro, Doukouré, Diané, Diaby, Sano, Condé, Oularé, Kaba, Sangaré, Sané, Yansané, Daffé, Dansoko, Nansoko, Fadiga, Naïté, Manè, Konaté, Dabo, Soumaoro, Kamissoko, Soumaré, Sidibé, Bayo, Savané, Fofana etc…sont tous des patronymes Mandingues et ont tous des significations.
Mara est le benjamin (petit frère) d’une famille de trois (3) : Condé (l’ainé), Oularé (le cadet). Allez frapper aux portes des paroliers ou Djély, ils vous apprendront non seulement que Condé, Oularé et Mara sont des enfants d’un même père, mais aussi vous diront que ce nom de famille vient du mot Bambara : Maara ou Ka-mara.
Deux interprétations tournent autour de ce Patronyme : la première, Maara ou Marakèla, qui veut littéralement dire ‘’saigneur’’ ou ‘’circonciseur’’.
Selon cette version, les ancêtres des Mara furent les premiers à pratiquer la circoncision dans la communauté Mandingue. Pour ceux-ci qui croient dur comme du fer en cette version, les ancêtres des Mara furent des circonciseurs et que c’est de cette activité, de ce travail que les Mara tirent leur patronyme.
D’autres soutiennent par contre que Mara ou Ka-mara, signifiant littéralement ‘’Garder ou diriger’ ’que les ancêtres des Mara furent de grands dirigeants.
Venus de l’Est, les Mara seraient de la descendance de Mansa Djouroukara Nani. Ailleurs, on les appelle tantôt Magassouba, Maïga, ou Maréga….
Kouranko télé tan ni lolou taama ou la marche de quinze jours de la communauté Kouranko, ça vous rappelle quelque chose ?
De redoutables chasseurs et guerriers, les deux ancêtres des Mara : Mansafing et Mansagbè migrèrent de l’Est (actuel Mali) vers le Sud pour se retrouver dans la région subéquatoriale de l’actuelle Guinée, puis de la Sierra Leone.
Le premier, c’est-à-dire Mansafing, s’installa en Sierra Leone. Alors que Mansagbè lui, préféra poser ses bagages à mi-chemin (actuelle République de Guinée.)
Vous avez certainement entendu parler de cette quinzaine de jours de marche de la communauté Kouranko par exemple célébrée à Sankaran aujourd’hui? Ou Kouranko télé tan ni lolou taama ?
De Kabala (en Sierra Leone) à Kissidougou en passant par Faranah et Kérouané (en Guinée), les descendants de Mansa Djourourou Kara nani formèrent la grande communauté Kouranko avec des cousins Condé, Oularé, Sanoh, Diawara, Konaté, Koroma, Kourouma, Souaré, Camara, entre autres.
Comment faire la louange ou l’éloge d’un Mara ?
Au Mandingue, chaque nom de famille est loué par un nom symbolique exhibant souvent les valeurs que l’ancêtre des personnes portant ce patronyme incarnait. S’il était chasseur, sincère dans les relations, ou s’il était un guerrier ou un éducateur, ce petit nom symbolique laisse entrevoir cela.
Tambassa par exemple pour les Oularé, Kouréssy pour les Faro, I-monko pour les Diawara,Dembèlin pour les Traoré, I-fakoly pour les Kourouma, Manden Mansa pour les Keïta, tamoura ou Kassawoura pour les Condé, Doubassy pour les Fadiga, Diaby Gassama pour les Diaby, Mandjou pour les Touré, Naïté pour les Diané, Séra pour les Konaté, Douhara pour les Sano, Némaka pour les Tounkara, Karissy pour les Cissé, Sonka pour les Dabo, Soumaoro pour les Kanté…..Il en est ainsi pour tous les noms Mandingues.
Pour ce qui est des Mara, c’est ‘’I-nonbô ‘’, devenu par lapsus ‘’I-nômô’’, signifiant ‘’une Liane’’ ou l’arbuste qui s’enrôle fréquemment autour des grands arbres de la forêt jusqu’à leur cime. Une manière non seulement de louer le courage, la persévérance des Mara, mais aussi de dire qu’ils n’abdiquent jamais face aux épreuves, ni ne trahissent les relations.
Quels sont les Sanankou, ou cousins ou parents à plaisanterie des Mara ?
Sanankouya, ou cousinage ou parenté à plaisanterie, est une forme d’alliance instaurée entre les Mandinka par Fakanda Kalalagui (Soundiata Keita) en 1236 lors de la Charte de Kourou Kan Fuga, période après la première pluie, pour renforcer les relations entre les populations afin d’éviter entre elles les affrontements, les conflits ou de calmer les tensions et incompréhensions internes. Les sanankous ne devraient se verser le sang ni se faire du mal.
L’Article 7 de cette Charte stipule: « il est institué entre les « Mandenkas le Sanankunya » (cousinage à plaisanterie) et le « Tanamanyöya » (forme de totémisme). En conséquence, aucun différend né entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle.
Entre beaux-frères et belles-sœurs, entre grands-parents et petits-enfants, la tolérance et le chahut doivent être le principe. »
Entre un Kouyaté et un Keita par exemple, c’est le chahut sans fin. Quelle que soit la colère ou le différend opposant l’un d’eux à quelqu’un d’autre, il suffit juste que l’autre intervienne pour qu’il décolère et abandonne aussitôt l’affaire. Il en est de même entre tous les cousins à plaisanterie au Mandingue, du moins pour ceux qui connaissent la portée et le sens de cette vieille valeur sociétale Mandingue.
Pour nous les Mara, leurs Sanakou ou cousins à plaisanterie sont les Oularé, Kallo Keita etc…..Pourquoi Keita ? Parce que les Keita sont les cousins à plaisanterie de tous les Mandenka.
Quand un Oularé ou Kallo voit par exemple un Mara, sachant bien que ce dernier est son maitre, il se met aussitôt à croupetons pour nous dire bonjour ou bonsoir. Un Traoré aussi portait toujours la besace d’un Condé.Rire.
Quel est, au regard de la tradition, le totem ou l’animal interdit aux Mara ?
La panthère (Léopard) est le totem des Mara. Ils ne devraient, par respect au pacte noué entre leur aïeul et cet animal, la manger, ni la tuer. Les ancêtres des Mara interdisent à leurs descendances de lui faire du mal parce qu’il a sauvé leur aïeul d’un danger. En retour au bien fait, celui-ci aurait interdit à toute sa descendance de faire du mal à cet animal.
Par lapsus lingual, ‘’Maara’’ ou ‘’Ka-mara’’, tout comme le reste des noms Mandingue d’ailleurs, a subi des mutations pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : Mara. En Sierra Leone et au Libéria, les gens l’écrivent avec le ‘’h’’ à la fin : Marah.
Bref, que ce soit les Mara de Kissidougou, de Kérouané, de Kankan, de Faranah ,de Kouroussa, de Dabola , ou ceux de la Moyenne Guinée, de la Basse Côte, de la Guinée forestière, certains devenus Kissis ou Peuls du fait de l’assimilation à cause de leur lieu de naissance,ou ceux de la République du Mali, de la Sierra Leone, du Liberia ou d’ailleurs, ont tous le même aïeul, sont tous Kouranko (un des dialectes Malinké) de par leurs origines et partagent en commun la même histoire concernant leur passé antédiluvien. En un mot, tous les Mara sont d’origine Kouranko, quelle que soient les langues qu’ils parlent aujourd’hui.
En un mot, comme le dirait l’autre, connaitre l’humanité entière est certes bien. Mais se connaître soi-même d’abord, est le véritable départ de la connaissance du monde.
Par Sayon Mara, Juriste