Depuis l’ère de Sogolon Diata Keita, les Djéli (griots), dépositaires de la tradition orale et fins connaisseurs de l’histoire du Mandenka, disent à tout bout de champ que cet Empire se résume à trente personnes. Mais, combien de personnes comprennent véritablement le fond de cette expression ? Combien peuvent la paraphraser ?
‘’Connaitre tous les cours d’eau du monde et les poissons qui y habitent, est certes bien. Mais cela ne suffit pas; Savoir les noms des plantes et les différentes maladies qu’elles guérissent, est aussi bien, mais cela est encore insuffisant ; Connaitre les chants des oiseaux et leurs différentes interprétations, est aussi bien. Mais cela ne suffit pas également. La meilleure des connaissances, est la connaissance de soi’’.
En effet, fort de ses alliés Kamadjan Camaran, Tiramagan Traoré, Fakoly Koroma, Gassim Goundo, Farawani Condé, Serrakoman Konaté, Daman Diawara, Môlia Maghan Magassouba, Samary Bôlô, Soundiata Keita écrasa Soumaoro Kanté dans la bataille de Kirina en 1235 ,après avoir enregistré de lourdes défaites devant le Roi Sosso dans les batailles de Tabon, Niany (village situé dans l’actuelle Préfecture de Mandiana), Nèguèboria et Kanfignè.
Après donc cette bataille et la capitulation du Roi Sosso, les Mandenka et leurs alliés décidèrent de se retrouver en 1236 à Kouroukan Fouga (plaine située à Kâaba à la frontière entre la République de Guinée et le Mali) pour définir les règles devant régir la nouvelle organisation.
Au cours de cette déterminante rencontre, en plus d’adopter consensuellement la Charte de Kouroukan Fouga, Soundiata Keita fut élevé Roi des rois par l’Assemblée à cet effet.
Transmise oralement par le griot Balla Fassakè Kouyaté, Manden Kalikan ou Charte historique et emblématique de Kouroukan Fouga, est un vrai génie collectif construit autour de quarante-quatre articles.
Cependant, nous nous intéresserons uniquement à l’article 1 de ce chef-d’œuvre qui stipule: « La société du grand mandé est divisée ainsi qu’il suit : Seize (16) «Ton ta djon» ou porteurs de carquois ; Quatre (4) « Mansa si» ou tribus princières, Cinq «Mori Kanda» ou classes de marabouts, Quatre (4) «Nyamakala» ou classes de métiers. Chacun de ces groupes a un rôle et une activité spécifiques. »
Demandez au temps (considéré comme maitre de tout ce qui se passe maintenant et demain), il vous répondra que les seize (16) « Ton ta djon» ou porteurs de carquois sont des familles ou des patronymes qui ne devenaient pas à l’époque chefs au Mandingue, mais qui participaient au choix du Chef. En clair, c’étaient ces familles qui faisaient et défaisaient les Rois au Mandingue.
Il s’agissait des patronymes : Traoré, Kourouma, Diabaté, Dembelé, Cissoko, Kamissoko, Sinayoko, Fofana, Neita, Koîta, Cherif, Ouattara, Condé, Dansoko, Camara (la famille la plus ancienne à habiter le Mandingue, les propriétaires terriens), Ouédraogo.
Les quatre (4) « Mansa si» ou tribus princières, regroupaient les familles ou patronymes qui devaient régner ou qui étaient destinés au trône. Il s’agissait des noms: Daon, Konaté, Koulibaly, Keita, que les griots appellent Kanin Simbo, Kabala Simbo, Kanigno Simbo et Lawali Simbo.
Les cinq «Mori Kanda» ou classes de marabouts, s’occupaient essentiellement de l’éducation de la société, notamment des enfants. Il s’agissait des personnes portant les patronymes: Cissé, Bérété, Touré, Diané et Sylla. Le niveau d’instruction de l’aïeul des Touré en Islam était le plus élevé à l’époque .C’est pourquoi l’imamat fut confié aux Touré.
Les Niyara Nani ou Nyama Kala Nani ou Quatre (4) «Nyamakala» ou classes de métiers, avaient essentiellement pour vocation la médiation. Il s’agissait des :
-Noumou ou Forgeron ;
-Djéli ou griots ;
-Fina et,
-Garanké ou cordonnier.
Ici, il est important d’apporter des précisions par rapport à un sujet qui fait souvent débat : pourquoi le mariage entre les Nyamakala et les autres composantes de la société Mandingue n’était pas autorisé par beaucoup de familles?
Loin d’une question de supériorité de classe sociale ou une quelconque forme de discrimination comme d’aucuns le brandissent souvent, le mariage entre les Nyamakala et les autres couches sociales fut proscrit au Mandingue pour éviter que l’alliance n’affecte le travail du griot qui consiste à dire en tout temps et à tout lieu la vérité aux Mandenka et alliés. Les Nyamakala gardaient ainsi leur totale indépendance quand il s’agissait de dire la vérité ou de résoudre les conflits.
En effet, le mariage entre des familles au Mandingue créé une situation de respect réciproque entre elles à telle enseigne qu’il est difficile voire impossible pour elles de se dire certaines vérités. Comment un griot trancherait-il dans une affaire opposant d’autres personnes à sa belle-famille ?
À défaut de donner raison à sa belle-famille, il donnera certainement sa langue au chat. C’est pour éviter ce cas de figure que la tradition a proscrit, du moins autrefois, le mariage entre les Nyamakala et les autres couches sociales. En un mot, c’est pour permettre au griot de jouer pleinement son rôle régalien dans la société.
Sans aucune intention de m’attarder sur ce sujet tabou au risque d’y passer tout le temps, il faut juste préciser que cette pratique a tendance à disparaitre aujourd’hui dans plusieurs familles.
Une classe de serfs (esclaves) ou Djon Mogo Kelen (Môfè môlu), rassemblait des prisonniers de guerre.
En guise d’information, Soundiata Keita ou Sogolon Diata Keita, aussi appelé Mari Diata Konaté (selon la tradition) est né le 20 Août 1190 à Dakadjalan ou Niani et est mort en 1255 dans la rivière de Sankarani. Il fut couronné sous le nom de Mari Diata 1er.
En conclusion, en faisant la sommation des familles ou classes sociales suscitées, on trouve effectivement qu’il y eut trente (30) noms de familles ou trente (30) hommes clés à cette charte de Kouroukan Fouga ayant pris place chacun sur un mirador comme le disent souvent les griots Mandingue.
Par Sayon MARA, Juriste