L’une des avancées législatives dont la Guinée peut se féliciter est l’adoption d’une loi sur la liberté de la presse ,qui vise à concrétiser le principe constitutionnel de liberté de la presse,plus largement la liberté d’expression. Mais si on peut se frotter les mains grâce aux ambitions assignées à cette loi ,il est à relever qu’elle n’est pas que fêtable.Elle ampute le régime de protection ambitionné par le législateur à certains égards :
Il y a une possibilité de detention provisoire(I), une insécurité juridique(II) et même des peines privatives de liberté(III)
I-DE LA POSSIBILITÉ DE DETENTION PROVISOIRE DES JOURNALISTES
J’aurais dû écrire » la détention provisoire d’une personne poursuivie sur la base de la loi organique L/2010 /02/CNT du 22 Juin 2010 Portant sur la Liberté de la Presse est possible ». Parce que ,contrairement à ce que pensent certains journalistes ,cette loi peut s’appliquer aux non journalistes ,il suffit seulement que l’infraction soit commise par voie de presse .Ce n’est pas la personne du journaliste qui est visée mais le moyen de commission (presse ) de l’infraction.La preuve en est qu’une infraction commise,même par un journaliste en dehors de cette voie est soumise au droit commun(code pénal).
La loi 02 est une loi spéciale qui incrimine et réprime les infractions commises par voie de presse ,en les soumettant à un régime de répression spéciale ,et qui se veut souple .
Cette loi de 13 titres et 148 articles ne prévoit exceptionnellement que des peines privatives de liberté(emprisonnement),pour le reste ,que des peines « amendes » .Conventionnellement,on parle de <<dépénalisation des délits de presse>>
Elle prévoit aussi à titre exceptionnel une possibilité de detention provisoire pour certaines catégories d’infractions :
-Le principe est posé à l’article 132 qui dispose : << Si l’inculpé est domicilié en Guinée, il ne pourra être préventivement arrêté, sauf dans les cas prévus aux articles 100, 101,103, 104,105, 106 de la présente loi>>.
Il ressort de cette disposition que l’individu poursuivi sur la base de la loi 02 et seulement devant le juge d’instruction ,domicilié en Guinée peut être détenu provisoirement lorsqu’on lui reproche les infractions prévues par les articles 100,101 ,103,104,105 et 106.
Dans cette énumération ,et à notre avis ,seule l’hypothèse posée à l’article 100 peut normalement faire l’objet de détention ,et même si le legislateur ne le dit pas expressément ,il peut avoir détention aussi dans le cadre de l’article 99 .Si ces deux hypothèses paraissent évidentes (1) les autres cas posés aux articles 101,103,104,105 et 106 sont très très discutables (2)
1-LES HYPOTHÈSES PARAISSANT ÉVIDENTES :
a- cas expressément prevus à l’article 100
L’article 100 dispoe << : Les crimes contre la sûreté intérieure de l’Etat, les crimes de guerre, les crimes et délits de collaboration avec l’ennemi sont punis dans les conditions de l’article précédent, lorsqu’ils sont provoqués par l’un des moyens énoncés à l’article 98 de la présente loi>>.
De cette disposition on peut relever :
▪︎ Qu’il s’agit des infractions prévues dans le code penal provoquées par voie de presse;
▪︎le passage <<..punis dans les conditions de l’article précédent >> renvoie à l’alinéa dernier de l’article 99:<<si l’incitation a été suivie d’effet ,les auteurs sont punis comme complice conformément aux dispositions du code pénal…>>
Il resssort de ces dispositions qu’en cas d’incitations aux infractions posées à l’article 100 ,suivies d’effet (commission d’infraction ) ,les incitateurs seront punis comme complices .L’article 99 in fine précise que cette règle (complicité) est applicable même en cas de simple tentative.
Or, pour être puni comme complice ,il faut être poursuivi comme tel .Rien n’empêchera donc le juge d’instruction saisi pour les infractions posées à l’article 100 provoquées par voie de presse ,de placer en détention l’auteur ou les auteurs et le ou les complices conformément aux articles 132 de la loi 02 ,19 du code pénal et 235 du code de procédure pénale.
b-hypothèse non prévue expressément mais paraissant évidente (article 99)
Aux termes de l’article 99 ,en cas d’incitation au vol, aux crimes de meurtre, au pillage ou à l’un des crimes et délits contre la sûreté de l’Etat …suivie d’effet ,les auteurs seront punis comme complices conformément au code pénal. On sait que ce renvoi au code penal qui constitue le droit commun entraine l’appliccation des règles édictées dans le code de procédure pénale,notamment celles sur la detention provisoire. On sait que conformément à l’article 235 ,les infractions qui encourent une peine criminelle ou correctionnelle d’au moins trois ans peuvent faire l’objet de detention provisoire,comme c’est le cas dans les infractions prevues à l’article 99.
2-LES HYPOTHÈSES TRÈS DISCUTABLES
L’article 132 de la loi 02 prévoit expressément que la détention est possible dans le cadre des articles 101,103,104,105 et 106
Le législateur n’ayant pas prevu de conditions spéciales d’appliaction de ces articles ,on doit se référer au droit commun ( code de procédure pénale et code pénal ).
Or,les infractions prévues dans ces dispositions sont toutes punies d’amendes.
Et, on sait, comme ci-dessus relever ,pour qu’il ait détention provisoire, l’infraction en cause doit encourir une peine criminelle ou correctionnelle d’au moins trois ans .
Ces infractions n’ayant prévu que des peines d’amendes ne réunissent pas les exigences posées à l’article 235 .Puisque:
a- si on considère ces infractions comme des crimes , la peine d’amende ne rentre pas dans la liste des peines criminelles prevues aux articles 27 et 28 du code pénal (reclusion criminelle à perpétuité,reclusion criminelle à temps ,détention criminelle et dégradation civique).
b-si on les considère comme délits ,il faut qu’elles soient punies à des peines d’emprisonnement d’au moins trois ans .
Et le législateur semble les considérer comme délits pour ces raions :
▪︎Les articles 105 et 106 qui sont dans l’énumération se trouvent dans un titre intitulé « DES DELITS CONTRE L’AUTORITÉ PUBLIQUE »
On lit clairement la qualification « délits »
▪︎L’article 126 de la même loi dispose :
<< Les infractions à la loi sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels, sauf :
A -‐ Dans les cas prévus par l’article 98, en cas de crime ;
B-Et quand il s’agit de simples contraventions>>
L’un des intérêts de la qualification d’une infraction est la détermination de la juridiction compétente:les crimes relèvent de la comptence des tribunaux criminels,les délits de la compétence des tribunaux correctionnels et les contraventions des tribunaux de simple police.
En affirmant que toutes les infractions à la loi sur la liberté de presse sont soumises aux tribunaux correctionnels sauf dans les cas prévus à l’aricle 98 en cas de crimes et quand il s’agit des contraventions,le législateur affirme de manière implicite mais nécessaire :
a-Qu’il n y a que des délits (en principe) dans cette loi
b-Qu’il n y a crime ou contravention qu’exceptionnellement .
c-<<…En cas de crime…>> signifie , si l’incitaion est suivie de crime .Ce qui veut dire qu’en dehors des incitations suivies de crimes ,il n y a pas d’autres crimes dans cette loi,sinon ils seraient aussi soumis à la connaissance du tribunal criminel.Mais seules les incitations suivies de crimes sont visées.
Pour terminer ,on prend position pour soutenir que ces peines amendes contenues dans les articles 101,103,104,105 et 106 ne remplissant pas les conditions posées à l’article 235 et à défaut de condtions particulières d’application prévues par la loi 02 ne peuvent faire l’objet de détention provisoire.
II-DE L’INSÉCURITÉ JURIDIQUE
On peut relever ce qu’on pourrait qualifier d’insécurité juridique à deux niveaux :
1-Le législateur devait prévoir des conditions d’applications spéciales de la détention provisoire en la matière . Sinon, pour les juges d’instruction qui estimeront que les hypothèses que j’ai écartées sont fondées pourraient :
a-Ordonner la détention provisoire
b-Le problème de delai va se poser .
Le législateur n’ayant pas prévu de delai ,les juges feront l’application du droit commun. Ce qui pourrait fonder la détention jusqu’à 4 mois s’ils estiment qu’on est en matière correctionnelle ou 6 mois en cas de conideration criminelle.Ces délais peuvent même être prolongés en cas de nécessité.
En soumettant cette détention aux règles du code de procédure pénale,le législateur ne protège pas mieux les journalistes ou plus largement les contrevenants à la loi sur la liberté de la presse ,qui était pourtant son ambition .Puisqu’on peut passer par ce procédé pour infliger <<UNE DETENTION PROVISOIRE « PEINE » >> à la personne inculpée(journaliste ou non).
Le législateur devait par exemple dire clairement qu’une personne poursuivie sur la base de cette loi ne peut être détenue provisoirement au-delà d’un mois,en un mot prévoir des conditions spéciales d’applications.
2-Le législateur ne donne aucun critère de classification des infractions en crimes,délits et contraventions dans cette loi.Ce qui est très insecure juridiquement.
III-DES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTÉ
La plus part des analystes de cette loi conclut qu’il n y a en son sein aucune peine privative de liberté.
Ce qui n’est pas le cas ,puis qu’il existe de manière exceptionnelle des hypothèses condamnables à des peines privatives de liberté.
Le principe est posé aux articles 99 et 100.
Il ressort de ces dispositions clairement que les incitations au vol, au meurtre ,pillage aux crimes contre la sûreté de l’État ,les crimes de guerre, les crimes et délits de collaboration avec l’ennemi, suivies d’effets sont passibles de peines privatives de liberté. Le législateur dit clairement que la personne sera dans ce cas punie comme complice conformément au code pénal .
Exemple: pour une incitation au meurtre suivie de meurtre ,l’incitateur sera puni au même titre que l’auteur principal à la peine de la réclusion criminelle de 30 ans ,en application des articles 99 de la loi 02 , 19 et 206 du code pénal .
RÉSUMÉ :
Les journalistes,ou plus largement les personnes poursuivies sur la base de cette loi ne sont pas mieux protégées qu’elles le croient pour ces raisons:
1-il y a une possibilité de détention provisoire
2-En ne prévoyant pas un régime spécial d’application de cette détention, le législateur fragilise sa volonté de protection .La détention provisoire pourrait être utilisée par des magistrats comme une sorte de peine <<detention provisoire « peine »>>
3-il y a certaines infractions qui sont passibles de peines privatives de liberté dans cette loi .Il s’agit des incitations prévues aux articles 99 et 100 si elles sont suivies d’effets .
Namory Fofana ,Etudiant en Master 2, Droit Privé Fondamental à l’Université Général Lansana Conte de Sonfonia-Conakry.Professeur assistant des cours de Droit pénal.Ecrivain ,Auteur du recueil de poèmes « LES RESCAPÉS DU SILENCE »
Par Namory Fofana ,Auditeur en Master Droit Privé Fondamental à l’université Général Lansana Conté de Sonfonia.
Tel :00224628330373