Le point commun à toutes les personnes qui ont eu le courage d’entreprendre une affaire dans un contexte africain, c’est la question du remboursement des dettes de leurs clients.
Il est devenu très rare de tomber sur des propriétaires d’entreprises qui vous disent ne pas avoir de soucis avec le recouvrement des créances clients.
« Ma grande, c’est à cause de la confiance et de la considération que j’éprouve pour toi que j’ai accepté de te donner la paire de chaussures à crédit sinon, mon habitude est de ne faire crédit à personne même à mes parents les plus proches! En plus, tu as promis de ramener le prix de la chaussure dans 2 jours. A ma grande surprise, le gérant me dit qu’il n’en est rien! Tu prends soin de ne plus décrocher mes appels téléphoniques… »
C’est en substance la teneur d’un message que la propriétaire d’une boutique de chaussures à Conakry que nous avons contactée, a bien voulu partager avec nous, afin d’illustrer la réalité de la situation. Nous nous abstenons de divulguer les identités respectives des protagonistes car l’objectif n’est d’indexer personnes. Une semaine après avoir envoyé ce message, notre interlocutrice nous informe que sa cliente n’a pas encore répondu à son message.
« frère, il m’arrive des jours ou j’ai envie de tout abandonner, fermer boutique. C’est mon mari qui heureusement me calme les nerfs et m’encourage à ne pas le faire. C’est stressant! Imaginez-vous, il y a 5, 10 parfois même 15 personnes qui sont endettées et il faut déployer une énergie folle pour recouvrer les montants. Nous finissons par y arriver parfois après 3 à 6 mois de démarches. Le temps qu’on consacre au recouvrement de créances, c’est du temps perdu à la prospection, à la planification effective de notre business et autres taches de gestion essentielles à la bonne marche de notre affaire. En outre, je ne vous parle pas des difficultés de trésorerie que cela génère pour nous. Vous n’êtes pas sans savoir que les commerces en Afrique ne bénéficient pas de financement de la part des banques. Ça n’est pas dans les habitudes ici. Lorsque nous investissons, nous attendons de vendre la marchandise, afin de reconstituer le capital dépensé, faire face aux charges, et retirer le maigre bénéfice. Nous sommes obligés de faire des dettes à brève échéance à cause de la faiblesse du pouvoir d’achat. Il n’y a pas de classe moyenne en Afrique. Là ou le bas blesse, c’est que le client endetté n’honore par son engagement pris à l’échéance prévue. Cela bouleverse votre trésorerie! » Notre interlocutrice en a visiblement gros sur le cœur et à juste titre dans la mesure ou la trésorerie des entrepreneurs en Afrique est tout le temps en tension dans la mesure ou effectivement, rare sont ceux qui bénéficient des facilités financières de la part des banques.
Un autre commerçant de prêt-à-porter pour hommes a bien voulu partager avec nous le contenu du message texto qu’une grande personnalité lui a communiqué en guise de réponse à ses incessants messages de réclamation : « Dis donc laisse moi tranquille! Ce n’est pas mon un million de GNF de dette qui t’empêche de tourner! Fous moi la paix. Je te rembourserais lorsque je serais en mesure de le faire! » Ce message illustre ce que beaucoup d’entrepreneurs partout en Afrique vivent. Ils se plaignent régulièrement du comportement indécent de leurs clients qui leurs doivent de l’argent. Et cela affecte énormément leur santé mentale et financière et certains d’entre eux, peu avisés du fléau, finissent par fermer boutique très rapidement car pour beaucoup, ce sont les parents proches et amis qui viennent s’endetter et refusent carrément de rembourser. Lorsque c’est ainsi, faire du recouvrement devient encore plus compliqué à cause des liens de parenté et amicaux. Cela devient une source de pression sociale extrême et l’entrepreneur fini par céder, préférant sacrifier la santé de son entreprise sur l’autel des relations sociales très pesantes dans le contexte africain.
A la question de savoir pourquoi ils ne portent pas plainte, beaucoup réponde comme cet autre entrepreneur répond en ces termes : « …. Mon frère, c’est une double perte. Source de couts supplémentaires. Vous savez comment ça marche chez nous ici. Les enquêteurs vont commencer à vous demander le prix du carburant pour aller faire leurs investigations. On ne s’en sort plus. Pour que justice nous soit rendu, il faut être financièrement à la hauteur, ce qui n’est pas conforme à l’idée que l’on se fait de la justice normale si vous voyez ce que je veux dire… »
Nous avons en effet compris qu’il faisait référence aux dysfonctionnements structurels de l’appareil judiciaire qui ont eu pour conséquence de faire en sorte que la logique qui veut que ce soit le budget de l’État qui finance les enquêtes, est inopérante.
L’éducation financière et entrepreneuriale comme solution!
Résoudre le problème de l’intégrité des consommateurs guinéens passe par l’existence d’un système judiciaire fonctionnel et équitable pour tous les citoyens.
En outre, les politiques publiques en charge du développement économique, favorisant l’entreprenariat, le civisme, doivent inclure des programmes de transformation comportementale.
Cette transformation comportementale passera nécessairement par la conception et la diffusion de programmes de formations et de coaching sur l’éducation financière ainsi que l’entreprenariat.
Du haut fonctionnaire titulaire d’une maitrise au citoyen lambda n’ayant pas eu la chance de la scolarisation, connaitre les tenants et les aboutissants de la logique du fonctionnement de l’économie, de l’argent et du rôle que jouent les entrepreneurs pour la prospérité sociétale en général, est fondamentale, afin que ces derniers comprennent qu’être intègre en matière de respect de ses engagements financiers, n’est pas un signe de faiblesse mais plutôt un acte citoyen servant ses propres intérêts.
Le citoyen africain dans sa majorité doit comprendre que payer une dette à l’échéance indiquée, c’est donner à un commerce la chance de tenir ses engagements lui aussi vis-à-vis de ses créanciers, mais aussi au niveau de ses salariés lesquels ont des familles à nourrir.
Le client qui s’endette doit comprendre que dans une économie de marché, tout se tient. Les interdépendances sont telles que faire défaut de paiement, risque de handicaper la bonne marche de la chaine économique, et empêcher par exemple une famille de subvenir à ses besoins.
Par Abdoulaye Diallo
Abdoulaye.diallo@adconsultings.com