La marche de notre pays vers son idéal de démocratisation, de stabilité institutionnelle, de progrès social et économique a toujours été interrompue non seulement par la violation systématique des principes de l’alternance démocratique, mais aussi par l’irruption répétitive de l’armée dans la gestion du pouvoir politique.

Cet état de fait si regrettable présente sans l’ombre d’aucun doute des conséquences très désastreuses dans le fonctionnement de notre jeune État qui, malheureusement évolue au rythme d’un recommencement perpétuel de l’indépendance à nos jours.

C’est pourquoi, ce dernier coup d’État militaire en date du 5 septembre 2021 perpétré par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) à sa tête le Cl. Mamady Doumbouya, est de notre point de vue une nouvelle chance qui s’offre au peuple de Guinée dans son entièreté. Une chance que nous devrions inéluctablement saisir afin de repenser notre modèle de société, d’établir des nouvelles règles en vue de réorganiser la vie politique de notre pays, de panser les plaies les plus profondes de notre passé récent, enfin, de redéfinir les bases les plus solides d’une Guinée unie et prospère.

Pour ce faire, notre démarche dans cette présente contribution consistera dans un premier temps à dégager les préalables d’une transition réussie en République de Guinée (I). Et, dans un second temps proposer quelques réformes constitutionnelles et institutionnelles (II) pour la refondation de notre État.

Toutefois, il est important de préciser en amont que notre intention n’est pas de proposer des idées ou des solutions statiques. Notre objectif est de participer tant soit peu, à l’animation du débat national initié par les nouvelles autorités, en l’occurrence le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD). Car notre rôle en tant qu’intellectuels, républicains convaincus et citoyens est de toujours alerter, interpeler et conseiller les hommes et femmes investis ne serait-ce qu’une portion de pouvoir. C’est ce devoir patriotique que nous avons bien voulu accomplir à travers ces quelques pistes de réflexion ci-après sur l’avenir de notre pays.

I – Les préalables d’une transition réussie en République de Guinée

Si la contestation de l’autoritarisme et de l’inefficacité de l’État postcolonial est vigoureuse dans les espaces politiques africains, l’émergence d’un système politique et démocratique stable est cependant incertaine. Pour le cas précis de la République de Guinée, l’analyse critique du processus de transition démocratique déclenché dans les années 1990 à la faveur de la libéralisation de la vie politique du pays, montre un bilan de plus en plus nuancé d’autant plus qu’il nous est difficile de distinguer substantiellement l’autoritarisme sulfureux du premier régime par rapport à l’ouverture démocratique voilée des deux seconds régimes.

En effet, après plus de trois décennies d’expérience de système de démocratie libérale, la vie politique de notre pays reste en grande partie dominée par la résurgence des violences d’État dont les séquelles constituent de nos jours de véritables handicaps pour tout projet de construction de l’unité nationale.

Partant de ce constat, nous estimons qu’à la suite de ce dernier coup d’État militaire, la nécessité de procéder à l’organisation des assises nationales (A) sur toute l’étendue du territoire national, et la mise en place des organes transitoires (B) dépourvus de toutes considérations partisanes, régionales ou ethniques dont les membres doivent être choisis sur la base des critères d’intégrité, d’honnêteté, d’impartialité et de rigueur.

Cette démarche présente un double avantage. Premièrement, elle permettra à toute la population de prendre part à ces assises nationales non pas en étant des fragments de groupes ethniques moins des militants ou sympathisants des partis politiques, mais des composantes d’une société en quête de renouveau. Deuxièmement, elle pourrait éviter au pays la paralysie des institutions qui, à bien des égards, risque de compromettre le bon fonctionnement de l’État.

A- Les assises nationales : autour des vertus de la vérité, de la justice, du pardon et de la réconciliation

Notre histoire politique récente est parsemée de séries politiques et sociales. Or, de l’indépendance à nos jours, nombreuses sont parmi les familles victimes de ces violences d’État qui attendent jusque-là que justice leur soit rendue.

Certes, nous ne saurons nous donner un quelconque droit qui nous permettra de définir une quelconque modalité de réparation de tous ces cas d’atrocités dont ces familles ont été victime. Mais nous estimons toutefois qu’avec une réelle volonté des acteurs sociopolitiques et un engagement patriotique de chaque citoyen, nous pourrions bâtir un renouveau sociétal pour que règne la paix et l’unité nationale dans notre pays.

Il sied de rappeler que ces journées doivent être organisées sur toute l’étendue du territoire national autour des vertus de la vérité, de la justice, du pardon et de la réconciliation nationale. L’idée en vérité n’est pas d’organiser des procès de masse autour de ces violences d’État, mais permettre à chaque citoyen de se regarder, de se parler et de se pardonner.

Par ailleurs, en plus des séries de concertation qui sont en cours depuis près de trois semaines au palais du peuple, il est important de les élargir à l’intérieur du pays afin de recueillir les avis, aussi divergents soient-ils des populations dans les campagnes afin de prendre en compte leurs préoccupations ; c’est en cela nous pourrons parler de transition inclusive.

B- Les organes transitoires face aux défis de la rupture

Le président du CNRD en citant l’ex président des États-Unis Barack Obama rappelait que : « l’Afrique n’a pas besoin des hommes forts, mais des institutions fortes ». Bien que cette affirmation ait tout son sens dans le débat actuel de notre pays, mais il sied d’en rajouter qu’en plus des institutions fortes, nos pays ont aussi besoin des hommes dotés d’une certaine intégrité et d’honnêteté irréprochables, des qualifications incontestables, et des compétences avérées dans la gestion des affaires publiques. Certes, cette période de transition ne peut à bien des égards, déboucher à un changement radical de l’ensemble des secteurs de la vie de notre pays. Par contre, elle peut poser les bases solides de transformation qualitative et quantitative des conditions de vie de la population, mais aussi et surtout, impulser les dynamiques d’un changement radical de nos institutions constitutionnelles et républicaines.

Ainsi, au titre des recommandations par rapport à la mise en place des organes transitoires, nous sollicitons auprès des nouvelles autorités la formation d’un gouvernement de travail et de rupture. Car nous n’avons plus de temps à perdre à faire des petits calculs politico-politiciens. De ce point de vue, les critères de choix des membres de ce nouveau gouvernement doivent être dépourvus de toutes considérations de quelle que nature que ce soit. Et, leurs feuilles de route doivent être à priori capables de relever le défi de la rupture par rapport aux anciennes pratiques qui ont contribué à l’effritement de notre pays.

II – De la réforme constitutionnelle et institutionnelle

Nul besoin de rappeler l’urgence de doter notre pays d’une Constitution adoptée par voie référendaire et adaptées à nos réalités. Cette démarche singulière suppose que nous ayons le courage nécessaire de nous doter d’une Constitution obéissant à la fois aux critères d’originalité et d’authenticité (A) pour éviter qu’elle fasse l’objet de changement perpétuel. Ensuite, une refonte radicale a sein de certaines de nos institutions, notamment l’Assemblée Nationale, la Cour Constitutionnelle, la Cour des Comptes, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), la Cour suprême, les coordinations régionales et les partis politiques (B) s’impose aux nouvelles autorités comme une des conditions sine qua non pour la refondation de notre État.

A- Quelle constitution pour notre pays et pour quel objectif ?

A la réponse de cette question si laconique, nous adhérons volontiers à la conclusion du Pr Lanciné Kaba qui estime qu’« une constitution soigneusement réfléchie et élaborée par des spécialistes, choisis sur la base de leur compétence et leur intégrité sert de miroir pour le peuple afin de se projeter dans l’avenir. Une bonne constitution est à l’image de la société à laquelle elle s’applique ; elle en reflète les valeurs et tend à les améliorer. Les constitutions ont un caractère singulier, rare et manifeste. C’est pourquoi, il serait suicidaire de transposer le contenu d’une constitution à une autre[1] ».

Or, « La plupart des constitutions élaborées en Afrique, et, par une commission de juristes laissent souvent à désirer sur bien des points critiques et se révèlent même dangereuses pour l’avenir du pays. Car, ces ‘’experts’’ auront été choisi pour servir une cause particulière et confectionner un habit constitutionnel sur mesure »[2].

Par ailleurs, après une étude critique sur les deux dernières Constitutions (Celle de mai 2010 et de 2020) notre constat révèle également l’existence d’un certain nombre d’articles qui souffrent d’impertinence notoire et d’incohérence incontestable par rapport aux grandes mutations sociales, politiques, économiques, culturelles. Mieux, en plus de leur caractère mimétique, certaines dispositions rendent le Président de la République un véritable monarque républicain qui caporalise toutes les autres institutions.

B- La réforme des institutions

Ici, notre démarche ne consiste pas à proposer un modèle original de système institutionnel, ni leur mode de fonctionnement de nos institutions exempte de toutes imperfections épistémologiques. Par contre, notre objectif est de proposer aux nouvelles autorités un « idéal-type » de système institutionnel, fruit bien entendu d’hybridation mais tenant compte de nos réalités anthropologiques, sociologiques, historiques, politiques dans le but de promouvoir la stabilité institutionnelle et la consolidation démocratique.

Toutefois, nous précisons que nous ne ferons pas dans cette présente contribution, une étude approfondie sur la quasi-totalité de nos institutions. Nous allons juste à travers une approche comparative, proposer quelques pistes de réflexion autour des réformes au niveau de l’Assemblée Nationale (a), de l’organe de gestion des élections (b), de la Charte des partis politiques (c) et du statut des coordinations régionales (d).

  1. Assemblée nationale :

Au niveau du parlement, nous proposons aux nouvelles autorités une réforme constitutionnelle instituant le système parlementaire bicamérale intégral[3] composé de deux chambres : la chambre des représentants et le sénat. Ces deux chambres doivent être dotées de pouvoirs équilibrés non seulement dans l’exercice du pouvoir législatif, mais aussi le contrôle de l’activité gouvernementale et à la mise en œuvre de la responsabilité politique des ministres. Ainsi, un tel système contrairement à celui en vigueur aura un triple avantage. Premièrement, il permettra d’atténuer « la dictature des partis politiques » qui, à bien des égards, dispose le monopole de présenter les candidats aux élections nationales. Deuxièmement, il permettra aux autres composantes de la société, notamment les organisations de la société civile, les syndicats, les groupements de femmes et de jeunes de prendre part aux activités parlementaires. In fine, il permettra d’améliorer la qualité du travail législatif.

  1. b) Commission Électorale Nationale Indépendante :

Par rapport à l’organe de gestion des élections, il sied de rappeler en amont que les élections constituent dans les démocraties participatives un des piliers de légitimation des pouvoirs politiques et une garantie pour la stabilité sociale et institutionnelle.

Cependant, la course effrénée des partis politiques guinéens dans la conquête et l’exercice du pouvoir politique à toujours rendu le jeu politique guinéen de plus en plus conflictuel rendant ainsi les organes de gestion des élections un espace de rivalité, de guéguerre et de conflit entre les principaux acteurs. Dès lors, les élections deviennent l’un des principaux facteurs qui sont à l’origine des violences pré ou postélectorales.

C’est pourquoi, une meilleure gestion des processus électoraux et une bonne restructuration de l’organe de gestion des élections pourraient davantage donner plus de crédibilité aux scrutins, de légitimité des élus et la maîtriser des éventuels risques de conflits.

Dans cette perspective, nous estimons nous estimons qu’avec une commission électorale techniques à prérogatives larges dont les membres seront choisis sur la base des critères d’impartialité, d’honnêteté, d’intégrité, de neutralité et des compétences avérées dans la gestion des élections pourrait répondre à cette préoccupation.

  1. c) La révision de la Charte des partis politiques

Partant du postulat selon lequel les partis politiques guinéens sont en grande partie caractérisés par leur faible niveau de structuration, d’institutionnalisation et leur fonctionnement dominé dans une large mesure par les pesanteurs clientélistes et d’instrumentalisation des groupes ethniques, il est fondamental à cet effet, que les nouvelles autorités procèdent à la révision de la Loi Organique N° 91/02/CTRN portant Charte des partis politiques et la Loi N°36 du 23 décembre 2014 portant statut de l’opposition politique.

En effet, notre propos n’est pas de formuler à nouveau des critiques simplistes sur le multipartisme intégral en vigueur depuis plus de trois décennies ; il n’est pas non plus de remettre en cause les avantages liés à ce système, moins le qu’occupent les partis politiques, mais plus modestement de faire un état des lieux en prenant compte toutes les dimensions du débat concernant les limites du système multipartite.

Il s’agit justement de rendre plus rigoureuses les modalités de création et de création des formations politiques afin d’avoir un multipartisme recadré et maitrisé. En effet, l’objectif est de définir un cadre conceptuel de courants et d’idéologies politiques en fonction desquels les citoyens désireux de créer un parti devront se conformer d’une part, et les électeurs à leur tour seront davantage devant des alternatives plus ou moins crédible[4]. Cette démarche présente un double intérêt : non seulement il permettrait d’éviter à l’avenir la création anarchique des partis politiques, mais aussi et surtout il permettrait de prendre en compte les nouveaux paradigmes structurels et fonctionnels de notre société.

La divulgation des finances des partis et des campagnes électorales, l’introduction du système de parrainage non seulement dans les procédures de création des partis politiques, mais aussi comme l’une des conditionnalités de la validité des leurs candidatures lors des échéances électorales. Ainsi, ce mécanisme de contrôle et d’encadrement des partis politiques permettra de réduire drastiquement le phénomène de l’instrumentalisation des groupes ethniques.

  1. d) La détermination du statut des coordinations régionales : un impératif crédible pour le maintien de la paix

En effet, nul besoin de rappeler la place qu’occupent les coordinations régionales dans les processus de maintien de la cohésion nationale dans notre pays. Mais leur instrumentalisation et leurs prises de position divergentes sur les questions politiques au cours de ces dix dernières années ont considérablement fragilisé les tissus sociaux. C’est pourquoi, la détermination de leur statut, c’est-à-dire est-ce des organes consultatifs à part entière ou des structures sociales et culturelles apolitiques. Ensuite, nous proposons aux nouvelles autorités qu’elles aient une dénomination nationale en lieu et place des dénominations régionales ou communautaires. À ce propos, nous souhaiterions qu’elles soient dénommées « le conseil des sages de Guinée ».

Ainsi, ce « conseil des sages de Guinée » pourrait fédérer l’ensemble des autres structures régionales ou communautaires en vue de parler de parler au nom d’une seule voix. Certes, ce conseil pourrait avoir des avis à titre consultatif sur des questions d’intérêt national ; et leurs décisions doivent être prises à la majorité des membres. Enfin, les membres doivent être élus par le collège des sages de chaque région ou préfecture.

Pour finir, nous tenons à préciser que la présente étude n’avait pas pour but d’épuiser la totalité de toutes problématiques auxquelles notre pays est confronté. Elle a juste trouvé son impulsion à l’issue d’un constat global sur le fonctionnement de certaines de nos institutions, de l’état de déliquescence de notre État et du bilan peu flatteur des processus de transition démocratique dans notre pays. De ce fait, nous souhaiterions que les propositions suscitées fassent l’objet de contradictions et d’amendement pour que jaillisse un modèle de système politique et institutionnel plus ou moins stable

Par Aly Souleymane CAMARA, Analyste politique

CONTRIBUTION POUR LA TRANSITION