Le renversement de l’ordre constitutionnel guinéen par le Coup d’État du 05 septembre 2021 a marqué la fin du régime du Pr Alpha CONDE et ouvert la voie à une période transitoire pour la troisième fois dans l’histoire politique de la République de Guinée. Accueillie avec un massif sursaut d’adhésion exprimé par une écrasante majorité de la population guinéenne, cette prise de pouvoir par l’armée suscite une importante lueur d’espoir pour une « refondation » intégrale de l’État guinéen. Les défis étant énormes, le CNRD, en moins d’un mois de son accession au pouvoir, a posé d’importants actes qui riment avec l’application progressive du contenu de leurs déclarations initiales.
Sur le plan juridico-institutionnel, l’adoption de la Charte de la Transition par ordonnance du Président de la Transition, le Lundi 27 septembre 2021 est, sans nul doute, l’acte majeur de cette amorce de la période transitoire. Composée de 84 articles répartis en cinq titres, ce document séduit par son caractère synthétique. Cependant, depuis sa publication et à juste titre, une vague de réactions s’est emparée de l’opinion publique. Politiciens, juristes, politologues, sociologues,….chacun, selon les paramètres qui lui paraissent déterminants, se pose des questions et livre ses impressions.
Une charte de la transition, de quoi s’agit-elle ? Comment doit-elle être élaborée ? À quoi doit-elle servir ? La charte publiée est-elle complètement en conformité avec les profondes aspirations qui ont motivé l’adhésion du peuple aux idéaux du CNRD ? Que peut-on synthétiquement retenir de son contenu ? Cette série de questionnaires renvoi à la problématique principale de l’appréhension du contenu de la Charte de la Transition.
Dans une perspective de réflexion critique, il sera judicieux, pour le besoin de la présente contribution, de passer en revue les vertus (I) et les insuffisances (II) de la Charte de la Transition.
Une transition constitutionnelle peut s’entendre du « moment où l’organisation des pouvoirs publics au sein de l’État est en pleine redéfinition, généralement, à la suite d’un conflit armé ou d’un coup d’État». Elle commence à partir de l’abolition d’un ordre constitutionnel ancien et fini dès l’entrée en vigueur du nouvel ordre constitutionnel. Entre ces deux extrémités, la nécessité de l’existence d’une norme fondamentale de référence conduit parfois les autorités transitoires à se doter d’une « constitution intérimaire » dont la dénomination varie d’un État à un autre ou d’une crise à une autre. Quoiqu’il en soit, la notion de charte de la transition semble être la plus fréquemment utilisée ces derniers temps en Afrique de l’Ouest. Si son élaboration n’obéit à aucun schéma classique, le recours à ce procédé est plutôt fréquemment utilisé pour non seulement doter la transition d’un cadre juridico-institutionnel constant, mais aussi créer un minimum de consensus autour de la conduite à terme de la période transitoire. Probablement inspirées par les exemples du Burkina et du Mali, les autorités du CNRD ont opté pour cette solution. Cette charte a le mérite de réaffirmer extensivement les libertés, devoirs et droits fondamentaux (A). Par ailleurs, elle réitère, de manière normative, l’esprit des déclarations de circonstances faites par le CNRD (B).
Dans son premier communiqué lu à la RTG, le Président du CNRD avait, en partie, justifié le coup force par de nombreuses violations des droits de l’Homme par le régime défunt. Les libertés, devoirs et les droits fondamentaux occupent la plus grande partie de la Charte. En effet, codifiés dans le chapitre IV de la Charte, il leur a été consacrés, vingt-huit (28) articles sur quatre-vingt-quatre (84) ; soit plus de trente pour cent du texte entier. Partant de cet aspect quantitatif donc, on pourrait déduire que le CNRD, pendant cette période transitoire, serait tenté d’accorder une importance toute particulière à la promotion et la protection des droits humains. Outre la quantité d’articles, l’aspect qualitatif de la consécration des libertés, devoirs et droits fondamentaux est d’une consistance significative. Elle intègre toutes les générations de libertés fondamentales (droits-garantie, droit-participation, droit-créances….).
À la lecture de ce chapitre IV, on se pourrait se croire en période légalité normale car la protection y est inscrite en lettre d’or. On pourrait tout de même nuancer ces propos par l’absence du droit de manifestation dans la Charte. S’il s’agit d’une omission, elle est regrettable. Par contre, si c’est un acte délibéré, il est inquiétant.
Au chapitre des devoirs, la charte est teintée d’une connotation patriotique très explicite. À titre illustratif, elle fait de la défense de la patrie, du respect des lois et règlements ainsi que de la défense du patrimoine national des devoirs impérieux pour chaque citoyen. L’autre facette, non la moindre, qui donne du crédit à cette charte, c’est la réitération normative des déclarations faites par le CNRD à la prise du pouvoir et lors des concertations nationales.
Dès la prise du pouvoir, le CNRD a décliné, à travers les multiples déclarations des autorités qui le dirigent, les grandes orientations auxquelles sera consacrée la période transitoire. La Charte a intégralement pris en compte les différents aspects de ces déclarations de principe. Outre la réaffirmation des valeurs et principes, la Charte dégage clairement les grands axes des missions du CNRD. Les valeurs exprimées dans la Charte, si elles sont respectées, permettront de remodeler le style de vie du citoyen guinéen. Toutes les valeurs affirmées tournent essentiellement autour d’un concept-clé : le « rassemblement ». Ainsi, de l’inclusion à la fraternité, en passant par la tolérance, la réconciliation, le mérite, le pardon, la neutralité et l’équité, les concepts employés dans la charte démontrent à suffisance, la volonté des nouvelles autorités à repenser les blessures résultantes des différents pans sombres de notre histoire commune.
Quant aux missions, les divers axes annoncés se résument en la matérialisation d’une promesse tenue par le Président du CNRD dès sa première déclaration à la RTG, le 05 Septembre 2020. Cette promesse, c’est celle de la refondation de l’État. Les missions annoncées sont porteuses d’espoir. Leur mise en œuvre facilitera l’atteinte de l’objectif général du CNRD : la refondation de l’État. L’exécution de ces missions doit normalement déboucher sur un renouveau profond du système de gouvernance en République de Guinée.
En dépit de ses nombreuses vertus, la Charte de la Transition, telle que publiée, n’est pas sans insuffisances.
Il conviendra d’aborder les insuffisances tenant au processus d’élaboration (A) avant d’examiner celles liées au déséquilibre des rapports entre les institutions transitoires (B).
À l’entame, il faut préciser que l’élaboration d’une charte de la transition n’obéit à aucune procédure particulière. Elle varie selon les nécessités et les circonstances ayant engendré l’abolition de l’ordre constitutionnel antérieur. En ce qui concerne la charte de la transition telle qu’adoptée par le CNRD, son processus d’élaboration est critiquable pour deux raisons : l’opacité autour de l’organe d’élaboration et le caractère hâtif de sa rédaction.
L’opacité autour de son organe d’élaboration s’explique par l’absence totale de transparence autour des conditions d’établissement de la Commission de rédaction de la Charte. Alors que le CNRD a annoncé le début d’une nouvelle ère de gouvernance basée sur la transparence, il a employé tout le contraire de cette exigence dans la mise en place de l’organe de rédaction de la Charte de la Transition. Cela fait appel à beaucoup de subtilités qui peuvent laisser penser à la résurgence des pratiques de la gouvernance clanique et mafieuse qui avaient fini par gangrener le régime déchu.
Outre l’opacité, l’élaboration de cette charte a péché par la précipitation qui a caractérisé sa rédaction. En tant que loi fondamentale de la République de Guinée pendant la période transitoire, la rédaction de cette charte aurait dû être la résultante de la synthèse des memoranda produits à l’issue des concertations nationales. Le peuple avait le droit de savoir quelles ont été les conclusions de ces concertations afin de s’assurer de leur adéquation avec le contenu de la Charte.
Par ailleurs, si la charte avait été élaborée postérieurement à la synthèse des conclusions des concertations nationales, le CNRD aurait pu être située sur la durée moyenne de la transition. L’opacité et la hâte ayant marqué son processus d’élaboration ne suffisent pas rendre compte des insuffisances de cette charte. Elle établit un déséquilibre total dans les rapports entre les institutions transitoires.
Pour réussir une transition, il faut réussir à créer un cadre institutionnel équilibré pour sa conduite. La Charte de la transition publiée par le CNRD a été attentive à tout, sauf l’existence d’un minimum d’équilibre des rapports qu’entretiendront les institutions transitoires. C’est le Titre 2 de la Charte qui établit les organes de la transition. L’article 36 dispose que « les organes de la Transition sont : le Comité de National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), le Président de la Transition, le Gouvernement de la Transition et le Conseil National de la Transition ». Inutile de s’attarder sur une présentation détaillée de chacun de ces organes !
Examinons plutôt la nature de leurs rapports aménagés par les dispositions de la Charte. Elle se caractérise par un déséquilibre total en faveur du Président de laTransition. Le déséquilibre des rapports entre les organes de la Transition se traduit par l’institutionnalisation d’un Tout-Puissant Président de la Transition. Pour comprendre cet état de fait, il suffit d’analyser ses rapports avec le CNT d’un Côté et le Gouvernement de la Transition de l’autre.
Par rapport au CNT, il est chargé de nommer ses membres. Il n’y a aucune disposition qui le prive du pouvoir de les révoquer. Ce qui implique qu’il a la liberté, s’il le désire, de destituer un ou plusieurs membres voire dissoudre le CNT. Par contre, le CNT n’a aucun moyen d’action explicite sur les actions du Président de la Transition. Pire, le Président de la Transition nomme les Président et Vice-Président du CNT. Aucun critère n’est évoqué pour avoir une idée du profil de ces personnalités. Cela veut dire que, sur ce point spécifique, tous les acteurs de la transition se remettront au bon vouloir du Président de la Transition –son pouvoir discrétionnaire- car il n’est contraint de suivre aucune directive.
Par rapport au Gouvernement de la Transition, son pouvoir y est encore plus absolu. Le Premier et les autres membres du Gouvernement sont nommés par le Président de la Transition et il peut les révoquer. Il peut déléguer une partie de ces compétences au Premier Ministre ou à l’un des Ministres du Gouvernement.
On peut simplement retenir que le seul et véritable organe indépendant de cette période transitoire reste et demeure le Président de la Transition. Tous les autres lui sont inféodés. Donc, à cette allure et pendant toute la durée de cette transition, les chances de réussite ou d’échec de la transition résident dans le seul bon vouloir de Son Excellence Colonel Mamadi DOUMBOYA qui n’a aucun contrepoids institutionnel en face. Son pouvoir est absolu. Or, si on admet avec Montesquieu que tout pouvoir corrompt ; et que tout pouvoir absolu corrompt absolument, il est alors très risqué, pour un peuple, de reposer tous espoirs sur la bonne foi d’un homme qui exerce le pouvoir. C’est pourquoi, il y a de quoi s’inquiéter pour le destin de notre peuple qui, pour l’intérêt de tous, ne devrait pas être bafoué à l’issue de cette transition. Sinon, il s’apparentera à un cercle vicieux à perpétuel recommencement.
CONCLUSION
De l’analyse de ses vertus et insuffisances, on est en droit d’admettre qu’il existe une grande lueur d’espoir pour la réussite de la transition. L’une des garanties fondamentales est l’absence de conflit d’intérêt pour les élections annoncées. Cela se traduit par l’inéligibilité de tous ceux qui participent aux organes transitoires. Il y a là, une garantie pour la tenue des échéances électorales crédibles.
De plus, la charte ouvre une brèche pour son amélioration continue à travers le mécanisme de révision. C’est en tenant compte de cet état de fait que nous recommandons, lors des éventuelles réformes de la charte, d’intégrer quelques barrières institutionnelles à l’absolutisme du pouvoir du Président de la Transition. Aussi, le Règlement intérieur du CNT doit définir les mécanismes de contrôle politique de l’action gouvernementale. Il doit également et, de manière expresse, des dispositions empêchant le Président de révoquer un membre du CNT. À défaut, encadrer strictement cette possibilité en énumérant de manière exhaustive les conditions de la mise en œuvre de son pouvoir dans ce sens.
Par Fadama Oularé, Juriste