Depuis le 05 septembre dernier, la Guinée connaît une nouvelle image suite à la prise du pouvoir par l’armée. Une situation qui a tout changé sur la scène politique. Dès sa prise de fonction, le CNRD a entamé une série de consultations nationales afin d’écouter les propositions des uns et des autres. Ensuite, les nouvelles figures qui vont diriger la Transition se dévoilent au fur et à mesure. Désormais, le gouvernement de transition sera dirigée par Mohamed Béavogui, un technocrate, dont les appréciations font l’unanimité.
Mais comment se porte aujourd’hui le climat politique guinéen? Quelles pistes devrait explorer les nouvelles autorités pour réussir à la réfondation de l’Etat ? Pour répondre à ces questions, notre rédaction a tendu son micro au Directeur général du Cabinet Evantus Guinée. C’est un cabinet de Droit guinéen, acquis au cours des deux dernières décennies. Il vise à rechercher, identifier, analyser et formaliser, afin de pouvoir proposer aux acteurs sociopolitiques de notre pays, des solutions dans le cadre de tout ce qui toucherait à la vie de la nation guinéenne.
Dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé, Moussa Dioumessi a également donné son point de vue sur la nomination de Mohamed Béavogui à la tête de la Primature. A notre micro, notre interlocuteur a par ailleurs toucher du doigt, la question de changement générationnel au sein de la classe politique.
Maguineeinfos.com vous propose ci-dessous, l’intégralité de l’interview !
Quelle lecture faites-vous sur la situation politique actuelle de la Guinée ?
On dira simplement que les Guinéens sont toujours à la croisée des chemins. Ce n’est pas parce qu’il y a eu aujourd’hui un événement auquel, une adhésion populaire suite au renversement du régime d’Alpha Condé, mais les Guinéens se recherchent encore. Parce que rien n’est encore fait par rapport aux attentes de la population. Il faut se dire simplement que la politique a dévasté complètement notre pays. Cela nous renvoie à des positions irréductibles et même irréconciliables entre les différents acteurs. Il y a eu tellement de confusions de termes dans la manière de porter la gouvernance. Et la politique est venue en quelques sortes, prendre en otage tout le pays, y compris ses élites, qui elles, devraient normalement permettre aux Guinéens de procéder à une meilleure lecture. Cela est dû à la mauvaise pratique d’avoir une perception très réductrice du contenu en réalité pour l’avenir de notre pays. Donc je dirai que du 05 septembre 2021 à maintenant, nous assistons à la chute du régime d’Alpha Condé, à l’avènement du CNRD, nous assistons à la nomination d’un Premier ministre. Maintenant nous attendons la mise en place d’un gouvernement qui sera chargé de la transition.
Parlant de ce nouveau premier ministre, pensez-vous que ses années d’expériences surtout à l’échelle internationale, seront un atout sachant que le Guinéen est habitué à un laisser-aller ? Est-il un espoir ?
Tous les événements qui viennent de passer sont des sources d’espoir pour la Guinée. Il faut dire que nous sommes partagés aujourd’hui entre des éléments de certitude et d’incertitude. A l’optimisme nous avons ce que nous appelons le réalisme. Donc on peut dire qu’il est un espoir parce que la somme de ses connaissances, de ses expériences qu’il a accumulées à travers de très grandes instances ou institutions internationales, peuvent être capitalisées dans la gestion de la transition. Mais qu’à cela ne tienne, tous les Guinéens, toutes les élites ont une perception très réductrice du contenu de la réflexion qui est porté sur l’avenir de notre. Nous avons ramené la politique rien qu’aux échéances électorales. On a complètement vidé la politique de son contenu réel, de ce qu’elle devrait être comme boussole pour conduire les acteurs politiques à des fondamentaux, donc les agrégats qui devraient permettre à notre pays, de se doter de véritables leviers de développement économique, social, culturel, industriel, d’innovation, d’anticipation…, pour participer à la course de demain.
Vous êtes favorable donc à la nomination de Mohamed Béavogui à la tête de la Primature ?
Je suis réconforté d’avoir un technocrate avéré, averti à la tête de la Primature pour diriger cette instance gouvernementale qu’il mettra en place lui même, pour la mise en oeuvre de la vision du CNRD. Mais moi en tant que cabinet, j’apporte de la plus-value, donc la manière en réalité dont le premier ministre pourrait poser les problèmes dans un agenda des acteurs dans un timing raisonnable. Donc nous sommes en train de travailler sur des propositions qui tiennent compte des réalités nationales. Par rapport à sa nomination, je suis à la fois optimiste, mais je reste aussi sur ma faim jusqu’à ce que je voie réellement la démarche, les approches, les acteurs qui seront choisis dans le cadre de ce programme de refondation de l’Etat.
À la prise du pouvoir par l’armée guinéenne, nous avons assisté à des séries de consultations entre le CNRD et les acteurs socio-économiques du pays. Pensez-vous que c’était le bon moment ? Et à quoi serviront ces consultations ?
En réalité, il ne faut pas se leurrer. Ces consultations sont une démarche classique. Élargir la consultation afin que chacun se sente concerné. Mais il ne peut pas résoudre les problèmes individuellement. C’est un problème national. Quant on parle de réfondation par exemple, on ne peut parler que de ce qui touche la vie de la nation, tout ce qui peut ébranler les équilibres, comme la justice et la sécurité. Ce sont des questions aussi centrales, tout comme les questions sur les instruments électoraux. Donc en aucune manière, cette consultation ne peut occuper une place prépondérante aujourd’hui. Mais c’est une étape très importante afin d’attester que tout le monde est concerné. C’est une bonne démarche, mais la suite ne peut être donné qu’à travers les réponses que nous allons donner aux mécanismes de la réfondation de la nation. La meilleure façon de réussir dans de telles situations, c’est de faire de grands choix, des chois décisifs, des décisions qui ne peuvent pas plaire forcément à la majorité.
Certains acteurs comme l’ANAD dirigée par Cellou Dalein Diallo propose une durée de 15 mois pour la transition. Pensez-vous que ce délai est raisonnable pour une véritable réfondation de la Guinée ?
Sincèrement je suis très déçu, pas de l’ANAD, pas de Cellou Dalein Diallo dont je reconnais la compétence. Mais on nous a habitué à cela dans notre pays. Pour proposer 15 mois, il faut assortir un agenda d’actions, des résultats attendus de chaque activité inscrite dans le plan d’actions. Le Président a parlé de réécrire une nouvelle constitution, mais les gens qui feront ce travail ne sont pas encore choisis. Donc je me demande comment cela peut se faire dans 15 mois. D’autres parlent de 2 ans, mais nous sommes des intellectuels, il faut qu’on trouve un cadre de réflexion, un cadre d’intelligence, où chacun peut poser sur table des propositions concrètes sur la durée. Mais si nous perdons cette chance, qui est l’ultime opportunité de redresser ce pays, de remettre ce pays sur les rails, ce serait dommage.
Chacun dit qu’il faut un changement de mentalité, mais personne ne dit comment il faut le faire. C’est cela le problème de la Guinée. Mais dire 2 ans, 10 mois ou 3 ans de transition, ce n’est pas la solution. Il faut qu’on aille avec beaucoup de discernement.
Vous avez sans doute pensé à mettre quelque chose en place comme ligne de conduite pour les nouvelles autorités. Alors que proposez-vous concrètement aux membres du CNRD et au futur gouvernement pour une meilleure réfondation de nos institutions et une relance économique de la Guinée ?
Il y a beaucoup d’éléments sur lesquels il faut aller pour réussir. Il faut dire que la première mission est de faire en sorte que la société de notre pays soit une société démocratique, donc que cela ne soit plus une utopie. Il faut que nous ayons une démarche cohérente par rapport à la vision. Il faut se fixer une vision avec des stratégies appropriées, mais en se conformant à l’évolution du monde. De nos jours, nous sommes en train d’écrire des propositions qui seront avantageuses aux autorités.
Il faut travailler municieusement. Aujourd’hui l’administration est politisée. C’est un problème qu’on ne peut pas résoudre rapidement. Pour pouvoir voir clair dans l’administration, il faut 10 ans au minimum. Quant au nouveau Premier ministre, il doit mettre en place une nouvelle architecture. Il faut que ça soit des hommes intégres. Il faut donc porter une vision avec une complémentarité d’idées. Il faut banir les divergences afin de trouver un point de convergence. Aujourd’hui les Guinéens pensent que Mamadi Doumbouya va transformer ce pays en deux ans, certains diront non, qu’il n’est pas là pour le développement. Mais ils disent encore que si ce n’est pas Mamadi Doumbouya ou l’armée, on ne peut pas changer la pourriture qui est là. Donc il faut porter la réflexion de façon claire. Par exemple, est-ce qu’on pourra continuer sur le développement infrastructurel dans lequel Alpha Condé s’est lancé ? Parce que je refuse d’avoir cet aveuglement intellectuel. Ce qui est fait est fait, il y a quelques avancées. Aujourd’hui il y a une amélioration qu’on le veille ou pas, sur la desserte en électricité. Qu’est-ce qu’il faut apporter à cela ? Mais c’est le capital humain.
Donc les nouvelles autorités doivent penser aux ressources humaines, valoriser l’expertise locale. Il y a des jeunes diplômés qui ont de la compétence, mais qui sont en train de mourir dans la mediteranée. C’est un aspect qu’il ne faut pas ignorer. Il faut penser au bien vivre du guinéen. Il faut que le Guinéen puisse se nourrir, s’habiller, se loger, c’est le minimum que les Guinéens réclament aujourd’hui. Mais je demande également aux autorités de faire en sorte que les ressources naturelles puissent servir les guinéens. Qu’une petite partie de cette population prenne tout un peuple en otage est inadmissible. C’est ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. Ainsi, notre pays est loin d’être une République. Alors que c’est le peuple qui a le droit de prendre les ressources.
Il y a un autre problème dont je ne crois pas que monsieur Mohamed Béavogui fait la même lecture que moi. C’est le multipartisme « sauvage » dans notre pays. Il y a des centaines de partis politiques. Ça devient extrêmement difficile. Donc pour arriver à une conclusion, il faut aussi de la rigueur.
Certains observateurs estiment qu’il faut un changement générationnel dans les instances politiques et administratives. Pensez-vous que le problème de la Guinée est générationnel ?
Cela dépend de ce les gens donnent comme contenu de problème générationnel. Nous sommes dans un monde aujourd’hui où tout change, tout se bouleverse, où il n’y a plus d’ordre, ni d’hierarchie. Donc ça dépend du contexte générationnel. Joe Biden a 77ans et la population jeune des États-Unis représente un potentiel énorme. Donc lorsque l’esprit est saint dans un corps saint, dans un pays, c’est ce qui est important. C’est pourquoi on dit que le civisme est l’armure d’un État, s’il n’ya pas de civisme, c’est que l’Etat n’existe pas. C’est ce qui provoque des dérèglements institutionnels. A mon avis cela dépend de ce qu’on appelle JEUNE. Quant il y a la guerre dans un pays, vous pensez qu’on regarde l’âge ? On regarde les personnes valides, donc de tous les âges. Même si vous avez 50 ans mais vous pouvez aller à la guerre, vous irez. Vous n’êtes pas exclu malgré vous n’êtes pas jeune. Il faut relativiser le sujet pour définir ce qu’on appelle jeune. Ce que nous utilisons aujourd’hui comme solution, ce ne sont pas forcément des jeunes qui ont élaboré cela. Ça dépend de la manière dont les gens comprennent.
Un regard sur les partis politiques ?
Il est nécessaire de se poser la question, comment les partis politiques sont constitués en République de Guinée? Tous les partis sont constitués sur des bases identitaires, régionalistes, communautaristes, c’est ça la réalité.
Donc c’est le moment de penser à des critères sélectifs, rigoureux pour que nous ayons un nombre de partis bien défini, des critères bien définis et des modes de fonctionnement clairs. A partir de ce moment, les choses deviennent simples. Si on demande aujourd’hui à tous les partis politiques de ne plus aller au delà de 30% de ta communauté et que les autres 70% devraient être représentés par les autres composants de la nation sans lesquels tu ne peux pas être agréé, on aura éviter beaucoup de divergences. C’est une source de rassemblement vers une paix sociale. A partir de là, on peut parler d’équilibre. Mais le problème de génération n’est pas le seul problème, ça peut être un facteur, mais pas la solution. C’est comme ça que le Président Lansana Conté a envoyé en 1986, des compétences guinéennes de la Diaspora qui étaient incontestablement valeureuses là où elles vivaient à l’étranger. Mais quand ces compétences sont venues, elles n’ont pas pu. Après, il a pris à la fois, des compétences locales et étrangères pour les mettre ensemble en 1996, avec même des expertises techniques, mais ça n’a pas marché. Donc il y a un problème réel. Alors il faut qu’on prenne du temps pour approfondir nos analyses. Il faut qu’on cesse de commenter dans ce pays. Il faut qu’on aille loin dans la manière de réfléchir.
Un mot de la fin ?
Je dis aux guinéens que le moment est venu pour le rassemblement, de mettre fin à nos discordes, de ne plus considérer nos communautés ou nos ethnies comme étant supérieures aux autres communautés ou aux autres ethnies. Il y a lieu de se constituer en une seule et unique force qui est la nation, qui est la richesse première de notre pays. La Guinée a aujourd’hui besoin de promouvoir la paix sociale, mais aussi de donner la chance aux enfants qui vont venir après nous. Il faut mettre en synergie toutes les ressources du pays pour rendre les Guinéens compétitifs et crédibles au niveau international.
Interview réalisée par Siradio Kaalan Diallo