Près de deux mois maintenant depuis sa prise du pouvoir, le CNRD procédé partiellement à la nomination du gouvernement de transition. Ce, après la publication de la charte devant conduire la transition en cours. Mais pour l’heure, aucune durée de cette transition n’est encore définie par les autorités. Mais quels sont les mérites et faiblesses de cette charte ? Répond-elle aux besoins de l’ensemble des guinéens ?

Pour répondre ces questions, notre rédaction a interrogé un juriste, également professeur d’université.

Au micro de maguineeinfos.com, Alhassane Makanéra Kaké a aussi évoqué la question de la loi des finances rectificative 2021. Dans cet entretien exclusif, notre interlocuteur fait par ailleurs une analyse sur le retard de la nomination de l’équipe entière du gouvernement de la transition. Selon lui, il est nécessaire de prendre du temps de connaître les bonnes personnes avant de les amener aux affaires. L’ancien commissaire à la CENI, a dans la même lancée touché les problèmes liés au processus électoral en Guinée.

Lire ci-dessous, l’intégralité de l’interview!

QUELQUES SEMAINES APRÈS SA PRISE DU POUVOIR, LE CNRD A PUBLIÉ LA CHARTE DE LA TRANSITION. QUELLE EST VOTRE LECTURE ?

Il faut d’abord saluer les nouvelles autorités d’avoir doté la Guinée d’une nouvelle charte. Parce qu’il faut noter que la Guinée a connu trois précédentes transitions sans charte, néanmoins aujourd’hui on a une charte. Comme vous le savez, la charte est la Constitution de la transition, mais il y a des des mérites et des insuffisances.

ALORS QUELS SONT LES MÉRITES DE CETTE CHARTE ?

Parmi les mérites, c’est d’avoir doté la Guinée d’une charte et d’avoir listé un certain nombre d’activités et d’organes qui doivent conduire la charte. Ce qu’il faut apprécier aussi, c’est que la Charte admet sa propre révision. Donc il y a beaucoup d’éléments qui peuvent faire objet de révision.

INSUFFISANCES DE CETTE CHARTE

Il faut reconnaître qu’il y a des insuffisances. Si on prend la mission par exemple, toutes les missions des organes de la transition n’ont pas été citées. Ensuite, le quota relatif aux représentants des différentes catégories socioprofessionnelles qui doivent composer le CNT qui joue le rôle de l’assemblée nationale, on ne connaît pas comment les chiffres sont choisis. Et on ne connaît pas les critères de désignation des différents agents. Cela va poser d’énormes problèmes. En Guinée, il y a plus de 300 partis politiques et on demande à tous ces partis d’envoyer seulement 15 représentants. On a pas dit qui sont les partis politiques qui doivent envoyer des représentants. Pourtant on sait qui sont les grands partis politiques en Guinée. Mais on a pas défini les critères de désignation, même au niveau interne des partis. Même pour dire que les représentants doivent savoir lire et écrire en français, rien n’est dit. Donc ça fait multiplication des problèmes. Par exemple, la charte n’a rien dit sur la situation des agents publics. Aujourd’hui on voit certains agents publics mis à la retraite, or que dans la Charte, rien ne parle de ces agents, même si ces gens veulent contester ou faire une demande, ce n’est pas prévu. Ils n’ont pas de possibilités de revendiquer, puisque le fondement juridique n’existe pas dans la Charte. Tout ce qui n’est pas dans la charte, si le CNRD prend une décision, ça devient une loi. Il était important qu’on sache c’est quoi nos pouvoirs et nos droits dans l’exécution ou déroulement de la charte.

LA NOMINATION DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT PEINE A FINIR. PEUT-ON DIRE QUE LE CNRD N’ÉTAIT PAS PRÊT AVANT DE VENIR OU BIEN C’EST STRATÉGIQUE SELON VOUS ?

En réalité, ce n’est pas facile de trouver un homme en Guinée qui est consensuel. C’est pourquoi moi je comprends le CNRD, parce qu’il ne faut pas nommer n’importe qui. En Guinée le mieux, c’est de nommer des personnes qui ne sont pas connues, parce que dès que tu es connu en Guinée, tu ne peux plus faire l’unanimité. C’est pourquoi je vois les hésitations, on sort des gens très peu connus qui ne font pas objets de beaucoup de critiques. On comprend le CNRD dans ce sens.

PARMI SES PRIORITÉS, LE CNRD PARLE DE LA RÉFONDATION DE LA CENI? SELON VOUS LA CENI CONSTITUE T-ELLE UN PROBLÈME A LA GUINÉE?

Je vous dis NON! Le véritable problème de la Guinée c’est l’élection et la CENI n’est pas l’élection. Elle est un acteur principal du processus électoral. Mais le problème réel de la Guinée, c’est l’élection. En Guinée, la loi électorale est faite de telle sorte que celui qui est au pouvoir puisse gagner. Quoi que vous fassiez, même si vous amenez une CENI composée que des « dieux », avec cette loi, celui qui est au pouvoir va remporter. Il y a un pouvoir énorme pour le Président de la CENI. C’est pourquoi une fois un journaliste m’a dit qu’il y a 17 commissaires à la CENI,
j’ai dit NON, il était surpris… Je lui ai dit que dire qu’il y a 17 commissaires c’est mal dit. Il y a plutôt 16 commissaires plus un, parce que le un là est supérieur aux 16 commissaires de la CENI. C’est expressément fait, parce qu’il est facile de manipuler un seul en lui donnant tout le pouvoir, que de manipuler seize. Donc la loi électorale est comme ça. On dit que pendant la révision à titre exceptionnel, c’est le Président la CENI qui fixe la durée de l’enrôlement et non la CENI. Après les gens vont que c’est la CENI, pourtant ce n’est pas la CENI entière.

QUE PRÉCONISEZ-VOUS ALORS À CE NIVEAU ?

Il faut démocratiser la CENI, elle n’est pas du tout démocratisée. Mais ce n’est pas seulement la CENI. Aucune institution guinéenne n’est démocratique. Donc le problème c’est que le chef de chaque organe ou institution fait ce qu’il veut. Je souhaite vraiment voir nos institutions démocratisées. La CENI n’est pas indépendante. Le pouvoir exécutif refuse que la CENI soit indépendante. Donc si on dit que c’est la CENI qui est le problème, moi je dirais que c’est le pouvoir exécutif qui est le problème. Donc ce n’est ni les commissaires, ni les assistants. Alors il faudrait que l’intervention excessive du Gouvernement dans le processus électoral, s’arrête, il faut que le Gouvernement soit neutre, il faut la Démocratie dans les institutions. En principe, c’est la CENI qui gouverne, les autres la suivent.

DANS LA LOI DES FINANCES RECTIFICATIVE 2021, LE CNRD VOIT UNE RÉPARTITION INÉQUITABLE ET QUE CERTAINS DÉPARTEMENTS ONT VU LEURS BUDGETS GONFLÉS. QU’EN DITES-VOUS?

Mais ça a toujours été comme ça en Guinée. Tous les budgets de 1998 à maintenant, ça n’a jamais été équitable. On regarde la tête du responsable d’une institution pour lui attribuer un budget. Depuis longtemps, on élabore pas de véritables budgets. C’est le Ministère des finances qui arrête des montants et on te dit VOICI TON BUDGET, tu répartis ça. Donc c’est l’allocation budgétaire et non la préparation du budget. Donc on négocie, tu me donnes beaucoup, je te retourne un peu. Ce n’est pas la loi des finances rectificative 2021 seulement, c’est tous les budgets de la Guinée. Nous on a crié depuis plus de 22 ans, on a jamais été entendus. On a jamais élaboré un budget en Guinée. Parce que pour élaborer un budget, on fait les dépenses et les recettes et on fait l’évaluation directe selon les besoins liés aux différentes missions.

CERTAINS QUALIFIENT LES RÉCENTES DECISIONS DU COLONEL DOUMBOUYA DE POPULISTE OU QU’IL S’AGIT D’UNE STRATÉGIE DE SÉDUCTION. ÊTES-VOUS DE CET AVIS?

Je ne vois rien dedans de Populiste. La Guinée est tellement compliquée. C’est pourquoi je vous ai dit que si le CNRD si précipitait, s’il sortait la tête de certains, moi même je vais crier. Dans notre pays, personne n’est au dessus du soupçon. Gérer la Guinée est très difficile. Donc il faut aller doucement, au moins la brique qu’on pose, qu’on soit sûr que cette brique ne sera pas cassée.

Nous sommes toujours partis trop vite. Et si on part trop vite, c’est les opportunistes qui gagnent. En Guinée, quand ya bouleversement, les opportunistes vont dire d’aller vite, ils sont très forts dans ça et ils vont gagner. Mais le temps joue contre les opportunistes, le temps joue contre les incompétents. Si on va vite, c’est les opportunistes qui gagnent. C’est pourquoi je veux que le CNRD ait du temps pour connaître les gens. Quand tu es opportuniste et incompétent, avec le temps, tu perds. S’ils avaient sorti un gouvernement les jours qui ont suivi la prise du pouvoir, on serait déjà dans la rue, parce que j’ai une idée des gens qui défilent avec des CV qu’ils déposent en longueur de journée. Mais il faut savoir qui est proposé et quels sont ses antécédents, avant de Le nommer.

ALORS SELON VOUS, L’ARRIVÉE DU CNRD AU POUVOIR EST UN VÉRITABLE ESPOIR ?

Honnêtement, c’est mon dernier espoir. Il me reste peut-être 13 ans à la fonction publique. Alors si le CNRD échoue, je prends ma retraite très tôt, je vais dans mon village, j’ai des champs là-bas, je vais faire l’agriculture et m’occuper de mes moutons.  Parce que c’est mon dernier espoir. Si ces gens échouent, s’il faut revenir encore, c’est pas moins de 15 ans après. Dans ce cas, j’irai dans mon village, ni eau ni électricité ni téléphone, pour vous dire tout simplement que je porte espoir sur ces gens. C’est pourquoi je n’arrête pas de prier pour qu’ils réussissent. Je me bats pour qu’ils réussissent, parce que s’ils échouent, j’ai échoué. C’est pourquoi il faut tout faire pour qu’ils puissent réussir, surtout pour nous qui avons plus de 50 ans.

Entretien réalisé par Siradio Kaalan Diallo pour maguineeinfos.com