Selon le législateur guinéen :
L’immatriculation préalable de l’immeuble sur le livre foncier est obligatoire dans le cas où un immeuble doit faire l’objet d’un acte à publier. L’immatriculation est définitive.
La création du titre foncier doit précéder la passation de l’acte par les parties, sous peine de nullité (Code foncier et domanial, art.11).
Pour le nouveau Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, cette disposition semble signifier que la vente d’un immeuble bâti ou non-bâti doit être précédée par son immatriculation au livre foncier compétent (Communiqué du MUHAT du 15 Novembre 2021).
Se fondant sur cette interprétation de l’article 11 du Code Foncier et Domanial, le nouveau Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire « informe qu’à compter de la date de publication de [son] communiqué, il est formellement interdit de procéder à toute vente d’immeubles bâtis et non bâtis qui ne soient pas immatriculés au livre foncier de la Conservation foncière ».
Son interprétation de l’article 11 du CFD (I) et sa décision d’interdire certaines transactions immobilières (II) sont toutes deux mauvaises.
I. Une mauvaise interprétation de l’article 11 du CFD
1. L’immatriculation foncière est facultative. Elle n’est PAS OBLIGATOIRE.
Contrairement à ce que pense le Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, l’article 11 du CFD ne signifie pas que la vente d’un immeuble doit être précédée par son immatriculation au livre foncier. Déjà le mot « vente » ou « transaction » ne figure nulle part dans cet article. Penser ainsi ou l’affirmer carrément, c’est faire dire au législateur ce qu’il n’a pas dit. C’est déformer purement et simplement la lettre et l’esprit d’une disposition pourtant manifestement claire.
Ce que nous dit réellement le législateur au niveau de l’article 11 est le suivant :
L’immatriculation foncière n’est OBLIGATOIRE que dans une hypothèse donnée ; celle « où un immeuble doit faire l’objet d’un acte à publier ». En d’autres termes, si l’immeuble ne doit pas faire l’objet d’un acte à publier, il n’est pas obligatoire de l’immatriculer ».
Pour le comprendre, il faut savoir que si l’immatriculation foncière permet à un propriétaire d’obtenir un titre foncier qui prouve qu’il est propriétaire, il existe plusieurs autres preuves de la propriété immobilière. Ces autres titres de propriété immobilière sont listés aux articles 39 et suivants du CFD. Donc, l’immatriculation foncière est un droit pour le propriétaire immobilier et non une obligation.
2. L’acte à publier est un acte qui doit être OBLIGATOIREMENT publié au Livre Foncier.
Faute de quoi, cet acte n’est pas valide. Il est nul.
Les actes à publier au livre foncier compétent sont en nombre limité. Ce sont :

 

  • le droit de superficie ;
  • l’antichrèse ;
  • le bail emphytéotique ;
  • le bail à construction ;
  • l’hypothèque.
L’hypothèque est définie et régie par l’acte uniforme OHADA sur les suretés.
Les autres droits réels immobiliers sont définis et régis par le CFD.
La validité même de ces actes est subordonnée à l’immatriculation foncière de l’immeuble sur lequel ils portent. En termes simples, on ne peut pas donner une hypothèque sur un terrain sur lequel il n’y a pas de Titre Foncier ; et si jamais, on donnait une hypothèque sur un terrain sans titre foncier, cette hypothèque est nulle.
3. Pas de Titre Foncier, pas de droits sur la propriété immobilière d’autrui.
L’alinéa 2 de l’article 11 est d’une clarté sans équivoque :
« La création du titre foncier doit précéder la passation de l’acte par les parties, sous peine de nullité ».
Se fonder sur cette disposition pour déclarer nulles les ventes immobilières portant sur des terrains sans titre foncier constitue une regrettable erreur.
A travers cette disposition, ce que dit le législateur, en termes simples, est que, si par exemple, X et Y passaient un bail à construction sur un terrain sans titre foncier, ce bail à construction serait nul puisqu’il n’y a pas de titre foncier sur lequel on doit l’inscrire pour qu’il soit considéré comme un contrat valide.
En somme, il convient de noter ce qui suit :
  • La publicité foncière comprend 2 branches : l’immatriculation foncière Et la publication des droits réels sur la propriété d’autrui.
  • L’immatriculation foncière est facultative. Donc, elle n’est pas obligatoire. C’est un droit pour le propriétaire immobilier d’immatriculer son droit de propriété.
  • La publication des droits réels sur la propriété immobilière d’autrui est obligatoire. C’est à la fois une question de validité et d’opposabilité. Si vous prétendez détenir une hypothèque sur la parcelle de quelqu’un, assurez-vous que cette hypothèque est inscrite sur son titre foncier. A défaut, elle est nulle.
  • La date du Titre Foncier est nécessairement antérieure à celle de l’acte à publier (OBLIGATOIREMENT).
II. Une mauvaise décision
1. On n’interdit pas par un communiqué.
En Guinée, les Ministres statuent par voie d’arrêté et de décision. Un communiqué n’est pas un acte administratif. C’est un document informatif. Si le Ministre souhaite interdire quelque chose aux citoyens, en supposant qu’il y ait une base légale indiscutable, il doit statuer par voie d’arrêté. Publié au Journal officiel, l’arrêté sera opposable aux sujets de droit que sont les citoyens.
2. Ensuite, le communiqué est inutile.
Puisque le Ministre pense que l’article 11 du Code foncier et domanial interdit les transactions immobilières portant sur des terrains sans Titre Foncier, il aurait dû tirer la conclusion selon laquelle cette interdiction, qui figure dans un Code publié au Journal Officiel, est déjà connue des citoyens au nom du principe selon lequel « Nul n’est censé ignorer la loi ». Dans cette hypothèse donc, l’interdiction existe déjà ; et le Ministre n’a pas à la réitérer.
Il est aussi inutile en ce sens que le Ministre n’a aucun moyen de savoir si une vente immobilière a été conclue par X et Y si les concernés décident de ne pas accomplir de formalités auprès des services du Ministre. Ce qui est leur droit. Il n’y a rien de répréhensible à cela.
3. Le communiqué porte atteinte au droit de propriété.
Or celui-ci est un droit fondamental. Le propriétaire dispose d’un faisceau de droits sur son bien. Le plus radical de ces droits est celui de disposer à sa guise de son bien. On peut donner, prêter, vendre et même détruire…Le Ministre n’a pas le pouvoir légal d’interdire à un propriétaire immobilier de vendre son bien
Par Sékou Oumar CAMARA
SOC’S LAWYERS SARL