J’ai longtemps hésité à partager mes observations sur l’arrêt rendu récemment par la Cour suprême de Guinée dans l’affaire « NANFO DIABY ».
Je crains, en effet, que certains prennent mes arguments juridiques pour ce qu’ils ne sont pas : je ne cherche pas à défendre ou à combattre une pratique religieuse. Mes maigres connaissances religieuses ne m’y autorisent pas.
Par contre, je me sens suffisamment légitime en tant que juriste pour donner mon avis sur les décisions administratives et juridictionnelles concernant une affaire qui défraie la chronique depuis plusieurs mois déjà.
J’espère que ces propos introductifs suffiront à lever tout doute sur mes motivations.
Ceci dit, voici ce que je pense de l’arrêt du 28 Octobre 2021 :
La Cour suprême semble avoir transformé un contentieux objectif en contentieux subjectif. Dans la tradition juridique française, qui est aussi la nôtre, le contentieux de l’annulation des actes administratifs ou du recours pour excès de pouvoir a un caractère objectif. En d’autres termes, le recours qui a été introduit par Nanfo DIABY porte sur un acte du Secrétariat Général aux Affaires Religieuses (SGAR). Ce n’est pas le SGAR qui est poursuivi par Nanfo DIABY mais un « acte administratif » de cette institution. C’est donc à tort que la Cour suprême présente le cas comme opposant Nanfo DIABY (demandeur) au SGAR (au défendeur).
De même, c’est à tort que l’Agent Judiciaire de l’Etat représente le SGAR dans cette affaire. L’AJE représente l’Etat en demande et en défense dans les affaires judiciaires et non dans les contentieux administratifs. Il n’était pas demandé à la Cour suprême de trancher un conflit entre des intérêts particuliers divergents mais de constater la violation ou non de l’Etat de droit et du principe de légalité. La qualité de défendeur reconnu au SGAR n’a donc pas lieu d’être dans un contentieux de l’annulation. Au surplus, le SGAR n’a pas de personnalité juridique. Il n’est qu’un secteur de l’administration de l’Etat guinéen.
Donc, même si les arguments avancés par Nanfo DIABY et le SGAR sont pertinents dans cette affaire, ceux du rapporteur et du parquet général devraient être les déterminants. Ces deux membres de la Cour, guidés par la seule nécessité de la logique juridique, sont en quelque sorte les gardiens de l’Etat de droit.
Sur le fond, la question qui était posée à la Cour suprême était celle de savoir si la décision du SGAR interdisant à Nanfo DIABY « toute pratique religieuse publique et de parler au nom de l’Islam » était fondée. Elle a répondu par l’affirmative sans se donner la peine de dissocier les deux aspects de la question, à savoir « pratiquer publiquement une religion quelconque » et « parler au nom de l’Islam ». Considérant sans doute qu’il s’agit d’un et d’un seul problème de droit, alors qu’il s’agit de deux problèmes, la Cour suprême a fait siens les arguments d’ordre religieux avancés par le SGAR pour motiver sa décision. Implicitement, elle semble faire de certaines interprétations de la Religion des règles de droit à observer. Ceci est discutable.
Par Sekou Oumar CAMARA