L’Article 77 de la Charte dispose : « La durée de la transition sera fixée de commun accord entre les forces vives de la Nation et le CNRD »

Le 15 novembre 2021, le Président de la transition, le Colonel Mamadi DOUMBOUYA, lors d’une interview sur RFI/France24, face à Alain FOKA, dit « La durée de la transition sera fixée par le CNT »

L’exercice ici consistera pour moi, à démontrer l’inconstitutionnalité de la fixation de la durée de la transition par le CNT comme envisagée par le Président de la Transition, le Colonel Mamadi DOUMBOUYA

Dans un texte constitutionnel, ou simplement légal, ou tout texte régissant une institution, on peut avoir différentes sortes de compétences :

1-Des compétences exclusives : un seul organe(ou une seule personne) a compétence pour prendre des actes dans le domaine concerné

2-Des compétences partagées : l’un ou l’autre organe peut prendre des actes dans le domaine concerné, mais si l’un a déjà pris l’acte, l’autre n’intervient plus. Exemple : entre la CEDEAO et les États membres dans certains domaines.

3-Des compétences concurrentes : l’un ou l’autre peut prendre des actes dans le domaine concerné sans que l’intervention de l’un empêche celle de l’autre comme dans le cadre des compétences partagées, mais le plus souvent l’intervention de l’un est complétée par celle de l’autre. Il en est ainsi par exemple de l’initiative de la loi : les députés peuvent proposer des lois, le gouvernement aussi peut soumettre des projets de loi, mais ce sont les députés qui examinent et adoptent les projets du gouvernement. Ici ce sont des compétences qui se complètent.

4-Des compétences conjointes : la prise d’actes nécessite l’intervention des deux ou plusieurs organes(ou personnes) nommément désignés, l’acte ne peut être pris qu’avec la participation de tous les organes mentionnés, sauf si un mécanisme antiblocage est prévu. Exemple : En droit de la famille, dans le cadre de l’autorité parentale, il y a des actes qui nécessitent l’intervention obligatoire du père et de la mère, parce qu’il s’agit de compétences conjointes, alors que pour d’autres actes, un seul des parents suffit.

Ainsi, l’article 77 de la Charte pose des compétences conjointes. Ceci pour deux raisons :

La première, l’article 77 indique clairement que c’est « en commun accord »

La seconde, c’est l’emploi de la conjonction de coordination « ET »
En effet, l’article 77 dispose « les forces vives ET le CNRD ».
La disposition n’indique pas « les forces vives ou le CNRD », elle ne dit pas non plus « les forces vives et ou le CNRD », mais « ET »

Or, en Droit, cette conjonction de coordination « ET » peut changer tout le sens d’un texte juridique. Cette conjonction de coordination « ET », insignifiant en apparence, pèse en terme terme juridique plus lourd qu’un navire et sa cargaison (chargement).

Pour montrer l’importance de ce petit « ET », je vais rafraichir la mémoire de mes compatriotes par le fait suivant et connu de tous :

En 2015, lors de sa prestation de serment, Alpha Condé avait oublié de réciter ou de lire une partie du serment consacré par l’article 35 de la Constitution de 2010.

En effet, il avait dit «…je jure devant le peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution des lois et des décisions de justice…»

Or, l’article 35 dispose « …de respecter et de faire respecter ».
A cause de ce petit « ET », une cérémonie de prestation de serment qui s’était déroulée devant plus d’une douzaine de chefs d’États étrangers a été jugée imparfaite, et Alpha Condé avait repris la prestation de serment quelques jours plus tard pour prononcer le « ET faire respecter ».

En 2015, aucun juriste n’a osé dire que le « Et faire respecter » est contenu déjà dans le « Faire respecter » pour conclure que la reprise de la prestation de serment n’est pas nécessaire.

En outre, ceux qui disent que le CNRD est dans « les Forces vives », cela ne tient pas pour deux raisons :

1-Dans la définition même de l’expression « Forces vives », l’armée, la police et la gendarmerie n’ont jamais été prises en compte, et dans aucun pays. Cette expression s’applique à des institutions, associations de la société civile, à des partis politiques, personnalités du milieu culturel, artistique, des ONG, syndicats, bref, à tous ceux qui s’activent pour le bien être de la société en terme de droits, libertés, démocratie, bonne gouvernance, etc.

2-Si le CNRD était considéré comme un élément des forces vives, alors pourquoi l’article 77 dispose distinctement « les forces vives ET le CNRD » ? On aurait écrit simplement que « La durée de la transition sera fixée par les forces vives », le « ET » ne serait pas là, et le « en commun accord » ne serait pas là.

Par conséquent, l’article 77 distingue clairement les forces vives du CNRD
Le CNRD doit assumer ses compétences, toutes ses compétences, et ne doit pas se défausser sur le CNT.

Si la Cour suprême est saisie, elle constatera très facilement l’inconstitutionnalité de la mesure envisagée par le Colonel DOUMBOUYA.

Par Sow Rousseau JJR(un Mamadilogue conscient)