Le 30 novembre 2021, la Cour d’Appel de Conakry a rendu un arrêt qui, s’il devait faire jurisprudence, ferait du ouï-dire une preuve de la propriété immobilière en lieu et place des titres de propriété consacrés par la loi. Ce qui, en termes de sécurité juridique, serait catastrophique. Le simple fait d’imaginer qu’un juge puisse écarter un Titre Foncier en bonne et due forme au profit d’une simple déclaration verbale est quelque chose qu’on ne peut accepter parce que contraire à la fois à la loi et au bon sens. Il est donc évident que cet arrêt de la Cour d’Appel de Conakry est dépourvu de base légale et qu’il doit être annulé le plus rapidement possible.

Au départ, les faits de l’affaire sont pourtant très simples. MDC et CSD sont frère et sœur d’une même mère. MDC vit à l’étranger. Elle est propriétaire de trois biens immobiliers en Guinée : un à Almamya (Commune de Mamou), un à Hamdallaye et un à Kipé (Commune de Ratoma, Ville de Conakry).

La propriété de chacun de ces biens est très bien documentée :

La propriété du bien immobilier situé à Almamya (Commune de Mamou) est justifiée par une attestation de donation en date du 5 Septembre 2007, un certificat d’usage foncier en date du 3 Décembre 2007 et un permis de construire accordé à MDC en date du 10 décembre 2007 ;
La propriété du bien immobilier situé à Hamdallaye (Commune de Ratoma) est justifiée par un Titre Foncier en date du 14 mars 2016 ;
La propriété du bien immobilier situé à Kipé (Commune de Ratoma) est justifiée par une attestation de donation en date du 15 Avril 2010.
Le frère de MDC, CSD vit en Guinée. On ignore sa situation patrimoniale.

Leur mère, ADD, décède le 27 Avril 2017. Elle laisse un héritage et des héritiers. C’est à propos de la consistance de cet héritage que la petite fratrie se dispute.

A la demande du seul CSD, le TPI de Dixinn rend un jugement d’hérédité en date du 19 Septembre 2017 aux termes duquel les biens immobiliers appartenant à MDC et situés respectivement à Mamou, Hamdallaye et Kipé sont inclus dans l’héritage de ADD.

Surprise par ce jugement, MDC saisit la Cour d’Appel de Conakry. Le 4 Septembre 2018, celle-ci infirme le jugement du 19 Septembre 2017 du TPI de Dixinn aux motifs que MDC « n’a pas signé le procès-verbal du Conseil de famille du 17 mai 2017 » qui a « servi de base à l’établissement du jugement d’hérédité du 23 mai 2017 ». En conséquence, elle décide de distraire les trois biens immobiliers appartenant à MDC de l’héritage de ADD.

Juridiquement et moralement mal conseillé, CSD se pourvoit en cassation, le 23 Octobre 2018. Il veut obtenir l’annulation de l’arrêt du 4 Septembre 2018 aux motifs, non pas que MDC aurait hypothétiquement participé au Conseil de famille du 17 mai 2017 mais que les biens en question appartenaient à sa défunte mère. A l’appui de cette déclaration, il ne produit aucun document et ne conteste même pas formellement la validité des documents dont se prévaut sa sœur, MDC, qui revendique la propriété des biens situés à Mamou, Hamdallaye et Kipé.

Curieusement, le 4 janvier 2021, la Cour Suprême rend un arrêt qui épouse en tous points les thèses surréalistes de CSD et de son avocat. Elle renvoie les parties devant la Cour d’Appel de Conakry pour un nouvel examen de l’affaire.

Le 30 novembre 2021, donc, la Cour d’Appel de Conakry, faisant fi à la fois du fait que MDC n’a pas pris part au Conseil de famille du 17 mai 2017 et de ses titres de propriété en bonne et due forme, confirme le jugement du 19 Septembre 2017 selon lequel les biens immobiliers situés à Mamou, Hamdallaye et Kipé, et dont MDC est légalement propriétaire, font partie de l’héritage de ADD.

Face à cette injustice flagrante, MDC s’est pourvue en cassation.

La question qui est à nouveau posée à la Cour suprême est simple : en matière immobilière, les titres de propriété sont-ils ou non des preuves du droit de propriété en Guinée ?

C’est vraiment de cela qu’il s’agit dans cette affaire apparemment très simple. Si pour les deux héritiers en conflit, il s’agit simplement de savoir quelle est la consistance de l’héritage de leur mère pour en tirer des conséquences patrimoniales, pour tous les propriétaires immobiliers du pays il s’agit de savoir si oui ou non les documents qu’ils détiennent et qu’ils considèrent comme étant les preuves de leur propriété sont vraiment utiles.

En effet, aux termes de l’article 39 du Code foncier et domanial :

Sont propriétaires [Immobilier] au sens du présent code :

1°) les personnes physiques ou morales titulaires d’un titre foncier,

2°) les occupants, personnes physiques ou morales, titulaires de livret foncier, permis d’habiter ou autorisation d’occuper,

3°) les occupants, personnes physiques ou morales, justifiant d’une occupation
paisible, personnelle, continue et de bonne foi d’un immeuble et à titre de
propriétaire. S’il y a lieu, la preuve de la bonne foi est apportée par tous moyens, et
notamment par le paiement des taxes foncières afférentes au dit immeuble, par
la mise en valeur de l’immeuble conformément aux usages locaux ou par une
enquête publique et contradictoire.

Ces dispositions ne s’appliquent pas aux dépendances du domaine public non
déclassées.

Dans l’affaire CSD c./ MDC, on a d’un côté, une personne qui affirme être propriétaire et qui le prouve avec des documents écrits en bonne et due forme et qui sont reconnus par la loi et, de l’autre, une personne qui déclare que sa défunte mère était propriétaire mais ne produit aucun document à l’appui de cette affirmation. En ignorant les documents produits par MDC au profit des propos tenus par CSD, la Cour d’Appel de Conakry n’a pas fait une mauvaise interprétation de la loi ; elle a refusé d’appliquer la loi.

La Cour d’Appel de Conakry a sciemment écarté une loi et a ainsi substitué sa propre volonté à celle du législateur. Il n’y a pas de doute que les magistrats qui ont rendu cette décision ont commis une faute disciplinaire. Si MDC ou son avocat devaient décider de saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature à ce propos, il y a de fortes chances que leur procédure aboutisse à la sanction de ces magistrats.

En attendant une telle éventualité, il revient désormais aux Chambres Réunies de la Cour Suprême de trancher définitivement l’affaire CSD c/ MDC et de dire très clairement que la preuve écrite du droit de propriété l’emporte sur la preuve testimoniale.

Par Sékou Oumar CAMARA

Consultant