La question sur la limitation d’âge aux différentes élections, notamment présidentielles n’est pas un nouveau débat. Elle a fait certes l’objet de retournement en fonction des régimes et des intérêts des uns ou des autres, de sorte que ceux qui l’ont défendue hier soient ceux-là qui la pourfendent aujourd’hui, et vise versa. C’est de bonne guerre. Mais il y a des préoccupations de fond.
Dans un premier temps, l’argument contre est celui de la discrimination, de l’âgisme dit-on. C’est-à-dire toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge. Si l’on veut une limitation d’âge pour les élections aujourd’hui, il se pourrait qu’on en impose demain pour le vote, pour le permis de conduire et bien de choses. Pourquoi pas ? C’est un véritable danger donc, cette façon de présenter les choses. Aussi, il y a l’argument de l’impossibilité systématique de cause à effet, entre un âge avancé et l’inefficacité des élus très âgés. On ne parle pas de ceux dont la maladie ou la vieille poussée empêchent valablement d’exercer leurs fonctions. Ce serait dans ce cas autre chose. Mais le risque n’est pas loin. Même s’il n’est pas exclu d’être jeune et très malade. C’est ainsi qu’on peut démontrer à travers le monde des Présidents très âgés dont l’âge n’a pas affecté l’effectivité de la prise et l’exercice normal de leurs fonctions. C’est d’ailleurs ce deuxième argument qui prévaut pour ceux qui sont contre cette limitation d’âge, sans oublier pour certains d’insister que ce genre d’initiative – pour ce qui est précisément de la Guinée – serait expressément une tentative d’exclure de facto tous les ténors de la vie politique aujourd’hui qui ont pour les plus en vue soit près, soit plus de 70 ans. Si ce dernier argument sonne comme une mise en garde, il se heurte cependant au caractère impersonnel des Lois et par extension des dispositions constitutionnelles.
En même temps, et avec le recul nécessaire, il est tout à fait normal de considérer les efforts de ces leaders politiques, notamment ceux de l’opposition politique sous le régime Alpha Condé. Si l’armée a pu prendre le pouvoir sans grande difficulté et avec la liesse populaire, c’est parce qu’avant les luttes démocratiques avaient réussi – quoiqu’on dise – à baliser le chemin. La mauvaise gouvernance n’a pas aussi aidé, c’est vrai. Mais la magistrature suprême est-elle le seul moyen de satisfaire cette classe politique ? Peut-être bien. Et peut-être le seul moyen aujourd’hui de régler cette polarisation politique définitivement. Chez nous , on dit qu’à trop insister sur la sortie des masques sacrés, mieux vaut qu’ils sortent au vu et au su de tous enfin, et tout le monde sera en paix.
Mais pour s’intéresser à ceux qui pensent que l’âge limite est un faux débat et sont tentés de faire la comparaison avec les Etats-unis généralement, tenez-vous bien :
1. Avant tout, Joe Biden est le plus vieux Président américain jamais élu aux États-Unis. Il est une exception. Pendant ces dernières campagnes présidentielles, l’âge limite – même si la Constitution américaine ne le prévoit pas – a été un sujet largement débattu, considérant l’âge des deux candidats, Donald Trump 74 ans et Joe Biden 78 ans. Ce dernier qui a battu le record de Trump en 2016 ( 70 ans à l’époque ), en prêtant serment dans un contexte de débat houleux sur son âge et sa capacité à assurer véritablement les responsabilités d’un Président de la République, surtout d’une superpuissance. Dans le même registre, les plus vieux présidents français en exercice furent Adolphe Thiers ( 31 août 1871-21 mai 1873, soit 1an, 8 mois et 23 jours ) et Paul Doumer ( 13 juin 1931 – 07 Mai 1932, soit 10 mois 24 jours ), tous à l’âge de 71 ans à leur prise de fonction. Même le Général De Gaulle qui aura été l’acteur principal de la vie politique française près de 30 ans ( de 1940-1969 ) est désavoué et contraint à la nécessité de la démission en 1969, à 69 ans,
2. L’espérance de vie aux États-Unis varie entre 78 – 81 ans. En Guinée, c’est entre 49 – 51 ans. Au même moment, 2/1 de la population à moins de 30 ans et seulement 6 à 8 % dépassent les 54 ans. Tandis que l’âge médian est de 19 ans en Guinée, il est de 38 aux États-Unis. La Guinée aujourd’hui, à l’instar de l’écrasante majorité des pays africains, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne a une population très jeune. Il est tout à fait normal que sa classe politique lui ressemble pour peu, pour éviter la déconnexion entre l’élite politique et l’élite jeune. Cette déconnexion peut être un véritable handicap pour les questions de développement et de prise en compte des préoccupations et initiatives jeunes. Cela a d’ailleurs été par le passé le noeud du problème, le pont des incompréhensions entre une administration publique vieillissante et des jeunes de plus en plus formés et vus comme des « menaces à écarter ».
3. En analysant aussi de près la vie politique des deux pays, il y a plus de vieux politiques aux Etats-unis ( en nombre et en pourcentage par rapport à la Guinée ). L’âge de la retraite est de 67 ans aux États-Unis ( au maximum ); tandis qu’il varie entre 55 ans ( hiérarchies B et C ) à 60 ans ( hiérarchie A ). La population guinéenne est très jeune pour rester trop longtemps avec des dirigeants d’un âge très avancé. C’est un contraste qui dérange, d’autant plus qu’assurément cela a toujours été un facteur d’exclusion des plus jeunes de la vie politique, pourtant les plus nombreux et qui devraient plutôt bénéficier de soutiens et d’encadrements nécessaires à leur épanouissement et leur participation effective à la vie de la nation.
4. Il y a également le risque de voir de très vieux présidents au pouvoir qui auront la peine de contrôler celui-ci. Un président élu par exemple à 79 pour son premier mandant de 5 ans, pourrait bien s’il le souhaite être candidat à sa propre succession pour un autre mandant jusqu’à 88 ans. C’est le risque que les américains encourent avec le choix de Joe Biden de se présenter à nouveau en 2024 pour sa réélection. Dans le contexte guinéen, un Président de cet âge serait tout simplement inopérant. Notre expérience politique nous en a donné des preuves irréfragables.
De tout ce précède, dire sans réserve que la limitation d’âge pour les présidentielles est un recul de la démocratie dans le contexte guinéen, c’est faire fi de la nécessité aujourd’hui de rapprocher les politiques de cette population si jeune. Il y a au-delà de la question d’âge, la question d’image et de représentation psychologique, de dynamisme politique dans un contexte où tout est à revoir. La jeunesse est l’âge de la promesse et de toutes les possibilités. De par l’histoire universelle la plus vivante, les plus grandes gloires et les plus grands changements sont pour la plupart l’œuvre de grands hommes et de grandes femmes à la fleur de l’âge. La vieillesse, même si elle implique expériences et, quelques fois sagesse aujourd’hui, elle implique aussi quelques faiblesses, handicaps dûs aux exigences de l’état. Nous avons donc la responsabilité de choisir.
Mais si l’âge limite pour être candidat aux élections en Guinée – en l’occurrence les présidentielles – n’intéresse pas la majorité des guinéens, il serait ainsi utile d’en finir définitivement avec cette question. Mais aujourd’hui, il est nécessaire d’éviter de faire une Constitution taillée sur mesure des politiques actuels. Cela donnerait de mauvaises garanties pour sa stabilité. Une Constitution doit voir au-delà des personnes en présence pour réfléchir davantage sur l’avenir, avec plus de sérénité et de confiance. La question de l’âge limite est une question parmi bien d’autres, mais il faut choisir de les répondre objectivement. Pour le reste, nul doute que les élections restent le moyen démocratique le plus sûr de faire des choix et provoquer la majorité ou la minorité face à ces choix.
Autrement, si la nouvelle Constitution ne règle pas le problème, rendez-vous aux différentes élections. Chaque électeur sera libre de faire son choix et le choix de la majorité devra s’imposer à tous. C’est cette vérité des urnes que nous attendons à la suite de cette transition politique.
Par Ali CAMARA