J’ai plusieurs fois été interpellé sur ce sujet brûlant de l’actualité politique guinéenne. Et tout comme le sujet des audits, l’on voudrait procéder à la récupération des biens qui sembleraient appartenir à l’Etat. Au fond, cette récupération, à défaut de respecter certaines règles me paraît tout à fait dangereuse. Nous n’allons pas refaire le cours de droit administratif des biens ici. Cela nous prendrait assez de temps, sans jamais répondre aux enjeux que nous voulons mettre en exergue, car voyez-vous, la beauté du droit se trouve justement dans la complexité qui l’entoure.

1. L’importance de rappeler les principes clés devant la confusion qui prend forme.

Avant tout, il est nécessaire de rappeler deux choses sans vraiment s’y attarder. La première est de dire qu’« un bien d’une personne publique qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement.» C’est dire qu’un bien du domaine public n’est pas intangible en ce sens que, par l’intervention d’un acte de déclassement, il peut intégrer le domaine privé de la personne publique propriétaire ( de l’autorité qui gère la dépendance domaniale ). Cela peut être un Ministère ou une mairie par exemple.

Pour qu’un bien public soit déclassé, encore faut-il en principe qu’il ait été tout d’abord désaffecté. La désaffectation consiste de fait à cesser d’utiliser le bien pour une finalité d’intérêt général ( service public ; usage direct du public ). En conséquence et comme nous l’avons soutenu au demeurant, il n’est donc pas exclu qu’elle perdure. L’exemple le plus illustratif est le cas d’une école primaire en zone rurale qui n’accueille plus d’élèves.
Il en découle que tant qu’un bien public n’est pas désaffecté et déclassé, il n’en reste pas moins insaisissable, inaliénable et imprescriptible.

2. Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo ou la sempiternelle question de leurs domiciles ?

« Un domaine de l’Etat peut-être vendu. C’est du droit et c’est élémentaire. » Voilà ce que martela un ami pour qui j’ai une admiration particulière. Cela est vrai en effet. Cependant, dans le cadre de la récupération des domaines de l’Etat, il est en prélude question de déterminer si les procédures ont été effectivement respectées, ou pour être plus clair, si la loi dans toute sa plénitude a été observée. En l’espèce, il y a dans cette vaste opération de récupération des biens plusieurs familles qui sont concernées. Or seule la situation « particulière » de quelques personnes a retenue l’attention des guinéens. Il s’agit sans doute de deux anciens premiers ministres et aujourd’hui hommes politiques qui aspirent tous à diriger notre pays. Faut-il plus pour attirer l’attention dans de telle situation ? Dans un pays où la tension politique et même ethnique est si vive, il n’en fallait pas plus pour amplifier le contraste et susciter un clivage politique entre des camps antagoniques qui s’accusent mutuellement.

3. Les moyens de leurs prétentions et la possibilité de revoir le délai d’exécution de l’injonction faite de quitter les lieux.

Dans les réponses adressées à la Direction du patrimoine bâti public, les sieurs Touré et Diallo contestent l’intimation faite de quitter les « lieux » , en soulevant comme moyens de défense, les justificatifs de propriété. Dès lors que ces lettres-réponses ont été accompagnées de documents qui attestent de cette prétention, il convient – et cela serait à tout le moins juste – à l’administration en charge de ces dossiers de tempérer sur le délai de mise en demeure et de se pencher sur leur réalité. Il est donc important de surseoir à l’exécution de ces sommations et tout d’abord voir de plus près les pièces que les concernés ont pu fournir pour « prétendre » d’un droit de propriété. C’est tout de même une décision grave tant sur les personnes et leurs familles qui vivent depuis des décennies en ces lieux et sur la « réputation d’hommes politiques » pour ce qui concerne nos deux hommes. Même si ce dernier élément reste moins préoccupant pour les autorités de Conakry, il est tout à l’honneur de notre pays d’accorder de telle attention, ne serait-ce que pour ce qu’ils représentent aujourd’hui, à défaut d’être d’accord sur ce que fut leur gestion des affaires publiques. J’imagine qu’à défaut de cette compréhension de l’administration en charge des dossiers, les concernés ont tout le loisir de déclencher une procédure en référé – procédure certes provisoire mais bien accélérée – permettant au juge de prendre en urgence des mesures en vue de préserver les droits auxquels ils prétendent.

Aussi, dans une autre mesure et comme tous ces autres anonymes qui sont dans la même situation, il importe à l’Etat de veiller à ce que ces nombreuses familles ne se retrouvent pas à la belle étoile, dans un contexte sanitaire toujours inquiétant et dans des réalités économiques de plus en plus difficiles. Il est du rôle de l’Etat de ne pas faire de ses nationaux des sans-abris et de ne pas potentiellement les mettre en danger. C’est ainsi qu’il est bien d’entendre le Ministre en charge de l’Urbanisme et de l’Habitat, Ousmane Gaoul Diallo clarifier que les dossiers seront traités au cas par cas. Sur le plateau de la chaîne nationale RTG, radio télévision guinéenne, avec ce qui s’apparentait à un rendez-vous à la fois de désintoxication de l’information et de séduction des franges des indécis sur le sujet, notre Ministre en compagnie de son homologue du Secretariat général de la présidence, le Colonel Amara Camara, tous deux n’ont pas manqué de donner des précisions utiles : rappeler à juste titre la nécessité de quitter les débats de personne, poser le principe de façon générale et impersonnelle, réitérer la volonté du gouvernement de suivre la loi et les bonnes manières ( le jugement moral ou éthique ).

4. La nécessité de mener avec tact les opérations de récupération des domaines de l’Etat

J’ai envie de dire que même si l’on pourrait trouver choquant, à la rigueur indécent pour des anciens dignitaires du pays de construire sur un bien immobilier de l’Etat qu’ils ont « soi-disant » acheté, je n’apprécie pas pour autant la démarche de la force. Elle est inutile et disproportionnée. Cela vaut pour nous tous, c’est une garantie contre l’arbitraire et un moyen de réaffirmer à la fois le règne de la loi, mais aussi celui des libertés consacrées. Après tout, ce qui est à l’Etat doit lui revenir au bout du compte. Cela est non négociable ! Mais pour l’heure, il est nécessaire voir de plus près l’authenticité de ces documents invoqués, les conditions de leur obtention, et in fine analyser si oui ou non ils sont conformes à la loi qui étaient vigueur au moment des faits. Voilà en réalité la démarche administrative à observer.

C’est en conséquence de cela qu’on pourrait décider s’il y’a lieu d’intenter un procès ou pas. Parce que la récupération des domaines de l’Etat est si important aujourd’hui qu’il serait inadmissible de donner des prétextes à toute personne qui voudrait saboter cette opération si importante. Cela vaut d’ailleurs pour tous les biens de l’Etat. Il est normal de voir s’il y a eu collusion ou tout simplement usage abusif de de pouvoir, au-delà même du respect stricto sensu des procédures. C’est une occasion aussi de leur permettre de défendre leur honneur, comme on le dit chez nous. Tout le monde sera ainsi situé. Il s’agit quand même de personnes hautement placées dans notre société politique. Et c’est précisément une chose sur laquelle je suis entièrement d’accord. Éviter donc l’expulsion préalable quand il y a un titre de propriété qu’on n’a pas encore contesté légalement me paraît judicieux. Cela permettrait ainsi de rassurer davantage sur la volonté du CNRD, Conseil National de Redressement pour le Développement de faire respecter la loi, respecter le « statut » de ces hommes qui restent – il faut insister – parmi les principaux acteurs de notre vie politique depuis bien longtemps, en finir surtout avec l’argument de « l’acharnement ».

5. La récupération politique à l’œuvre, l’argument qui n’en est pas un

Justement, sur l’acharnement dont on parlait tantôt, les hommes politiques ont toujours brillé par la politisation de tout ce qui leur arrive, même quand ils doivent répondre devant la loi de leurs agissements. C’est aussi vrai que si certaines choses leur arrivent, c’est à cause de qu’ils représentent politiquement. Ainsi, ce qui se trame au fond de cet argument, c’est bien la question du renouvellement générationnel dans le contexte guinéen où ceux qui sont les principaux acteurs dans le paysage politique sont ceux qui se sentent pointés du doigt. Il y a une volonté tacite mais ferme des nouvelles autorités d’écarter ce que j’appelle la vieille garde politique, semble-t-il. La curiosité du lien entre les deux sujets est-elle justifiée? À vous d’en juger. Mais de toute évidence, il ne s’agit encore une fois que de rumeurs et polémiques inopportunes, du moins pour les nouvelles autorités. Tout de même, ce serait un mensonge de ne pas considérer, en dépit de la question d’âge dont on pourrait discuter à quelques égards, que nombreux de ces hommes politiques sont décriés pour leur passage dans la gestion des affaires publiques. Il y a bien sûr le coup des rumeurs, des mensonges, mais aussi de la réalité des faits qui existe quelque part. Il faudrait bien que les guinéens soient situés.

6. Les hommes politiques et les enjeux éthiques, un mariage difficile mais pas impossible

Au moment où notre pays s’apprête à repartir sur de nouvelles bases plus rassurantes, il est utile – quand il est encore temps – de rappeler à nos hommes politiques qu’éviter de s’approprier un bien public, notamment un domaine public serait le mieux pour leur situation, surtout quand ils aspirent encore à la confiance de leurs compatriotes. Si chaque haut dignitaire, chaque fonctionnaire d’Etat peut acheter un domaine public, quel héritage léguerions-nous aux futures générations ? N’est-ce pas aussi vrai de dire que ceux qui veulent porter notre destin commun devraient être de bons exemples ? À la place de Sidya Touré et de Cellou Dalein Diallo, ils sont nombreux ces guinéens qui estiment aujourd’hui qu’ils auraient quitté les lieux depuis belles lurettes, d’autant plus qu’il ne s’agit pas de manque de moyens pour se rétablir dans d’autres endroits autres que ces domaines qui ont toujours été pointés du doigt. Aujourd’hui encore, les hommes d’Etat ne devraient-ils pas davantage éviter de se retrouver dans des situations confuses ?

Même si personnellement je ne reste pas opposé à l’idée que des agents publics puissent acheter un bien relevant du domaine privé d’une personne publique, mais tout autant je demeure convaincu que la cession de ce bien doit obéir au principe de transparence. Cela implique le respect de certaines exigences préalables notamment, la publicité et la mise en concurrence avant la cession soit à l’amiable soit au moyen d’une adjudication publique. Pourrait être également ajouté à ces exigences un principe somme toute fondamental : l’interdiction de brader un bien du domaine privé d’une personne publique à un prix inférieur à sa valeur. La transition politique en cours qui fait de la refondation de l’Etat guinéen une préoccupation majeure a tout intérêt de relever le niveau du débat. La refondation est une belle ambition, mais aussi certainement un processus à l’infini. Les chantiers sont nombreux et gigantesques. Il revient à chaque guinéen(ne) le devoir de faire sa partition, dans le respect des lois qui régissent la république.

Par Ali CAMARA