Les pratiques nauséabondes d’intimidation des juges, qu’on croyait pourtant révolues depuis le coming-out opéré par certains juges devant le roi Mamadi Doumbouya 1er, refont de nouveau surface en Guinée. Pour une transition censée avoir pour seule boussole la justice, cela peut paraitre déroutant.
En effet, La double décision rendue le matin du 28/02/2022, par la juge des référés du Tribunal de première instance (TPI) de Dixinn qui déclare son « incompétence matérielle » pour connaitre de deux actes administratifs adressés aux deux anciens Premiers ministres, est réellement étonnante. Il faut tout d’abord rappeler que les compétences des différentes juridictions en Guinée sont définies, sauf dans les cas prévus par une loi organique spécifique, par la loi N° 2015/019/AN du 13 août 2015 portant organisation judiciaire en République de Guinée. Les dispositions de cette loi sont pourtant claires et érigent le TPI en juge de droit commun en matière administrative, c’est-à-dire le juge ordinaire et normal pour trancher les litiges mettant en cause un acte administratif (décision prise par une administration publique).
En effet, l’article 25 de la loi susmentionnée dispose que « Le tribunal de première instance statue en premier ressort en matière civile, commerciale, administrative, sociale et pénale… ». Cela veut dire qu’un citoyen qui souhaite contester une décision de l’État ou de ses démembrements, doit en premier lieu s’adresser au TPI, sous réserve des matières réservées à la Cour suprême. L’article 27 est encore plus explicite en précisant que « Le tribunal de première instance connaît de toutes les affaires civiles, administratives, commerciales, sociales et pénales pour lesquelles compétence n’est pas expressément et exclusivement attribuée à une autre juridiction…
Sous réserve des dispositions de la loi organique portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême, le tribunal de première instance est, en premier ressort, juge de droit commun du contentieux administratif.»
Dans le sens de ces deux dispositions rappelées, et contrairement à ce que la plupart des médias guinéens affirment, il apparait que la compétence de statuer sur les actes administratifs n’est pas réservée à la Cour suprême, seules quelques matières limitativement énumérées relèvent de la compétence exclusive de la Cour suprême. Il revient bel et bien au TPI de trancher en premier ressort sur le contentieux administratif et dans le cas échéant, la Cour d’appel peut être saisie lorsque la décision rendue par le TPI ne convient pas à l’une des parties avant de saisir éventuellement en cassation la Cour suprême.
S’agissant de cette Cour suprême, les attributions et les compétences de sa chambre administrative sont prévues par les dispositions des article 2 et 36 de la loi organique du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême. Plus précisément, les compétences de la Cour suprême en matière administrative sont définies dans son article 2 en ces termes : « La Cour Suprême est juge en premier et dernier ressort de la légalité des textes réglementaires et des actes des autorités exécutives, ainsi que des dispositions de forme législative à caractère réglementaire. »
Les attributions de la chambre administrative sont quant à elles déterminées par l’article 36 qui prévoit que cette chambre connait :
– « en premier et dernier ressort, des recours en annulation pour excès de pouvoir, de la légalité des actes des collectivités locales,
– « Du caractère règlementaire de certaines dispositions de forme législative ;
– « Des pourvois en cassation contre les décisions rendu en dernier ressort sur le contentieux de pleine juridiction et les arrêts de la Cour des comptes ;
– « Du recours en cassation contre les décisions rendues par les organismes administratifs à caractère juridictionnel ».

Il ressort de cette disposition que si la contestation des décrets, des ordonnances et des arrêtés ministériels est effectivement réservée à la seule Cour suprême, il n’en est rien des autres actes administratifs dès lors qu’il ne s’agit pas d’un recours pour excès de pouvoir (REP), c’est-à-dire un recours pour demander l’annulation d’une décision administrative.
Il est par conséquent évident que non seulement les recours introduits par les deux anciens Premiers ministres auprès du TPI ne sont pas des recours en annulation et de surcroit, les contestations introduites portent sur des actes administratifs – signés par le directeur général du patrimoine bâti public – qui ne relèvent pas de la compétence en premier et dernier ressort de la Cour suprême.
C’est à cette aune et eu égard à l’urgence imposée par le délai restreint imposé par la date butoir fixée dans les sommations, que les recours introduits l’ont été sous forme de référé, dans ce cas référé-suspension, c’est-à-dire une procédure ouverte « pour demander au juge d’empêcher l’exécution immédiate d’une décision administrative » qui semble illégale. C’est donc une décision provisoire qui a été demandée au TPI de Dixinn et non un recours pour excès de pouvoir, ce dernier recours étant réservé, comme évoqué plus haut, à la seule la Cour suprême. C’est en mobilisant d’ailleurs l’article 39 de la loi du 13 août 2015 portant organisation judiciaire en République de Guinée que l’on apprend qu’« en toutes matières, le président du tribunal de première instance peut statuer en référé ou sur requête. » Il suit de là que le TPI est bel et bien compétent pour décider de surseoir à l’exécution de la lettre adressée par le patrimoine bâti public aux deux anciens Premiers ministres pour quitter leurs domiciles. C’est en ce sens que cette ordonnance rendue ce 28 février parait incompréhensible.
Cette prérogative du juge des référés du TPI pour trancher un référé est confirmée par l’article 850 du code de procédure civile, économique et administrative de la République de Guinée qui dispose que « Le Président du Tribunal de première Instance ou le Juge de paix peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

À défaut d’avoir rendu public les deux décisions de la juge des référés du TPI de Dixinn sur les recours de MM. Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré, il n’est pas possible de connaitre les motivations qui sous-tendent cette décision de la juge des référés. Au regard toutefois de ces dispositions rappelées ci-dessus, il ressort que le président d’un TPI est pleinement compétent en droit guinéen pour ordonner en urgence la suspension d’un acte administratif. La seule explication plausible à ce stage, c’est que la juge a pu céder à une pression du CNRD pour ne pas dire le droit afin de lui permettre d’obtenir les images symboliques de récupération des clés des maisons de Cellou Dalein et Sydia Touré.

G.B (LeJour LaNuit)
Cercle de réflexion politique A41
Paris le 28/02/2022