L’amour est la grande question de ce pays. Les Guinéens ne s’aiment pas : dans les villes, dans les villages, dans les tribus, dans les cultes, dans les familles et dans les couples. Déjà, le Guinéen lui- même ne s’aime pas. Normal, un enfant qui n’a jamais été aimé ne peut pas s’aimer lui- même. Une femme qui n’a jamais été aimée finit par se détester elle-même. L’amour est une fleur fragile. Elle ne pousse pas sur le terreau de la stupidité et de la haine. Et c’est là tout notre problème : 61 ans d’Indépendance, 61 ans de stupidité et de haine ! Des dirigeants sans foi, sans loi, sans cœur, sans âme, sans projet, sans vision. Cela donne ce pays de merde où seuls, les rats se sentent chez eux.

Je parlais d’amour, je devrais aussi parler d’amitié. Ni amour ni amitié ni respect ni honneur : c’est cela le pays de Sékou Touré, de Lansana Conté, de Dadis Camara, de Sékouba Konaté et d’Alpha Condé. Rien que combines et coups tordus, paroles de griot et stratégie de survie ! Les monstres qui nous gouvernent nous ont proprement déshumanisés. Il ne reste plus rien de nous à part les haillons et la gale.

Les Guinéens ne s’aiment pas, surtout ils n’aiment pas la Guinée.  Cela serait vu. Comment se fait-il qu’un pays qui détient les 2/3 de la bauxite du monde, le fer le plus riche en teneur, qui offre chaque année 3 mille milliards de mètres-cubes d’eau aux pays voisins crève de faim, d’Ebola et de malaria ? Ce pays, c’est l’Absurdistan, disait quelqu’un : de l’eau partout sauf dans les robinets, des fruits partout et pas une confiture, des belles femmes partout et pas un mannequin. Résultat : nos enfants fuient le paradis que le bon dieu leur a offert pour vivre l’enfer des autres. Non, ce n’est pas une malédiction. La malédiction en Guinée, comme dans le reste de l’Afrique, ce sont nos dirigeants, les dirigeants les plus cons, les plus corrompus, les plus vassaux, les plus serviles, les plus incompétents, les indignes, les moins patriotes, les plus nuisibles de la planète. Ils ne défendent pas nos intérêts, ils défendent des intérêts antagonistes à ceux de l’Afrique. D’ailleurs, c’est pour cela qu’ils ont été élus, je veux dire imposés de force à nos peuples. Avant, les coups d’Etat s’opéraient par les canons ; depuis la « démoncratisation », par les urnes. Nous ne sommes pas dupes pour autant. Le dernier mot revient toujours au peuple. Et ce peuple est toujours là ; certes, mal en point, assommé de de coups de trique et de poignard, surchargé d’angoisses et de remords. Remords d’avoir, cru en cette horde de voyous et de criminels qui saignent leurs frères nègres au compte de leurs maîtres français, américains, chinois et russes.

Mais comme dit le proverbe, la longueur de la nuit n’empêche pas le jour de poindre. La Guinée se sent mal, très mal mais elle n’est pas morte. Nous devons penser dès maintenant à une société fondée sur le droit et non plus sur le rapport de force, sur les principes et les causes et non plus sur les individus. Malgré la gestion calamiteuse et les discours haineux, le lien qui nous unit depuis des siècles n’est pas brisé. Ce pays est parfaitement possible à condition qu’on le nourrisse d’idées saines et neuves, qu’on lui propose autre chose que le mercantilisme politique qui lui pourrit la vie depuis 1958.

Réapprenons le sérieux, réapprenons la profondeur !Faisons l’effort de concilier notre très riche mémoire collective avec les exigences de l’époque ! C’est à ce prix que survivra notre nation. Il faudra du temps. En attendant, aimons-nous, aimons la Guinée ! Personne ne le fera à notre place.

Thierno Monenembo