Le 25 avril 2022 devait être l’échéance de l’ultimatum donné à la junte militaire au pouvoir à Conakry par la CEDEAO pour décliner la durée de la transition.
In extrémis, la Guinée avait obtenu de l’organisation sous-régionale un délai supplémentaire pour rendre son devoir.
Plut tôt qu’attendu, à l’issue d’un processus de dépôts de mémorandums (forces vives), de consultations (par le CNT), d’assises nationales décentralisées, déconcentrées et de concertations nationales, le colonel a enfin prononcé une durée « médiane » de la transition.
En gros, on ne s’est pas trop foulé la cheville pour proposer une durée de transition de 39 mois, même si on ne peut raisonnablement soutenir que c’est de son béret rouge que le colonel a sorti son calendrier consistant à « instaurer une nouvelle société guinéenne ».
On peut remercier le colonel d’avoir enfin osé le chiffre, d’avoir vaincu sa phobie de la durée. C’est une avancée notable, parce qu’elle permet d’ouvrir le débat dans une autre phase, une phase de rapports de forces, de positionnements et peut-être d’affrontements … Qui sait ?
Toutefois se pose la question cruciale du « point de départ » de la durée des 39 mois de transition. Débute-t-elle à compter du 5 septembre 2021 ou une date postérieure au 30 avril 2022, soit la date de l’annonce du délai par le colonel Mamady Doumbouya ?
En sus de cela, précisons que la durée de 39 mois de transition a été annoncée par le président comme une proposition médiane sortie des « concertations » que le CNRD et le gouvernement entendent soumettre à l’approbation du Conseil National de la Transition, organe faisant office de droit et de facto d’Assemblée Nationale de la transition.
Au-delà de toutes les critiques que l’on peut formuler contre la durée de 39 mois retenue par le CNRD, il faut reconnaitre que les Guinéens dans leur ensemble, et pour des raisons diverses et variées, ont souhaité des délais de transition allant de 15 mois à 5 ans.
Les partis politiques et certaines organisations de la société civile ont également divergé sur la question de la durée du processus devant permettre à la Guinée de renouer avec un ordre constitutionnel régulier.
Quoi qu’on dise, il faut réfuter l’argument du CNRD et de son gouvernement selon lequel la Guinée se trouverait dans une situation spécifique nécessitant que l’on prenne tout le temps nécessaire (au moins 4 ans disons-nous) pour redresser le pays. Cet argument peut être battu en brèche parce qu’aucune spécificité ne pourrait nous emmener à comparer la situation de la Guinée à celle du Mali ou du Burkina Faso, tous deux aux prises avec de graves crises de sécurité nationale.
D’ailleurs, au regard des quelques ratés observés notamment dans le domaine de la justice, avec une balance penchant plus dans le camp des civils, qu’est-ce qui rendrait les militaires si légitimes à diriger le pays pendant trois ans de plus ?
Pour rappel, malgré les nombreuses interpellations dont celle de l’ex garde des sceaux, Me Fatoumata Yarie Soumah, jamais ni les membres de la junte, ni ceux du gouvernement ne se sont pliés à l’exercice de la transparence en déclarant leurs biens.
Nombre de guinéens se souviennent encore avec effroi de cette vidéo, faite au lendemain de la présidentielle de 2020, où l’on aperçoit le Colonel Mamady Doumbouya entouré de quelques hauts gradés de l’armée et de la gendarmerie en situation de ce qui s’apparenterait à de la profanation de la dépouille « de mutins de Camp de Samoreyah ».
A entendre une partie de l’opinion, seuls les militaires seraient vertueux, or la corruption et l’enrichissement illicites ne sont pas uniquement l’apanage des civils. A travers le pays, les propriétés immobilières, les domaines agricoles, des participations dans certaines entreprises privées, rien ne semble interdit à nos Forces de Défense et de Sécurité. Tout cela laisse songeur quant à l’orthodoxie des maîtres actuels du pays.
A titre illustratif, qui se souvient encore du Général Abdulsalami Abubakar ? Ce militaire qui eut la lourde tâche de remplacer au pied levé le Général Sani Abacha à la tête du Nigéria. En dépit des difficultés structurelles à gérer un si grand pays comme le sien, il s’engagea à mener tambour battant une transition qui aboutit à un retour à l’ordre constitutionnel au bout de 11 mois (Juin 1998- Mai 1999).
Quant à la transition nigérienne de 2010, elle n’avait duré qu’un peu plus de 13 mois pour « assainir les finances publiques, réconcilier les Nigériens et restaurer la démocratie ». Pour pratiquement les mêmes objectifs, le CNRD est prêt à présider aux destinées de la Guinée pendant 39 mois.
Un des points positifs et essentiels du discours du colonel de ce 30 avril 2022, reste sa volonté affichée d’en appeler au peuple pour valider non seulement la durée des 39 mois de transition, mais également sa volonté sans cesse répétée de refaire le portrait de la Nation guinéenne. Hélas, si l’intention est louable, on peut s’interroger sur le sens du mot « peuple » pour le colonel Mamady Doumbouya, puisque jusqu’à présent, son peuple de Guinée semble être celui acquis aux désidératas du CNRD.
Evacuons la question de la légitimité du pouvoir du CNRD qui, du reste, est un débat inutile en pareilles circonstances, mais illustrons l’unilatéralisme méthodologique du CNRD comme étant la maladie devenue chronique de la transition :
* La charte de la transition est l’œuvre du colonel sans aucune concertation, la composition du CNT s’est faite avec la coloration accentuée du CNRD, le choix du président du CNT a été imposé aux forces vives de la nation malgré les désapprobations d’un bon nombre de Guinéens et de partis politiques. Enfin les assises et la concertation nationale ayant abouti à l’annonce de la durée probable de la transition par le Colonel semblent manquer de l’apport et du soutien des principaux partis politiques et de la société civile dont le FNDC.
On peut difficilement se tromper en soutenant que les partis politiques ayant été associés au processus de définition temporaire de la durée de la transition n’atteignent pas 20% de l’électorat des dernières élections régulières organisées dans le pays.
De notre point de vue, la fixation de la durée du mandat appartient aux Guinéens et à tous les Guinées, comme l’a annoncé le colonel Mamady Doumbouya. Mais il appartient à ce peuple et à lui seul de l’approuver ou non et, le cas échéant, d’en définir et le calendrier des chantiers et les priorités.
Force est de constater que le colonel semble vouloir redresser le pays par la seule prérogative de ses décrets et par sa seule volonté dont il prend un malin soin de déguiser en inspiration populaire par l’entremise de ceux d’entre les Guinéens disposés à tout soutenir ou à tout accepter au mépris de l’intérêt général tant que les actes posés répondent à leurs préoccupations individualistes.
L’heure nous paraît donc au vrai dialogue et à l’inclusion de tous les Guinéens pour aborder sereinement le sujet difficile de la durée de la transition en privilégiant sincèrement l’intérêt général au-delà du discours du colonel quelque peu déconnecté de la réalité tant de l’opinion que de l’état du pays.
L’heure est aussi au CNRD de sortir de l’unilatéralisme et des manœuvres tendant à fracturer l’opinion pour détaler son calendrier et sa volonté.
La transition peut être juste, inclusive et dans l’intérêt de tous les Guinéens, si le colonel et le CNRD acceptaient de changer de fusils d’épaule et de composer avec le vrai peuple, celui de tous les Guinéens. Des discussions sincères et un gouvernement d’union nationale seraient peut-être bienvenus dans cette optique.
Lundi 2 mai 2022
Par Titi Sidibé et Mory Mohamed Camara