La semaine dernière, c’est au niveau judiciaire que l’opinion a le plus intensément entendu battre le cœur de la transition. Spécialement à la CRIEF où les détenus provisoires Ibrahima Kassory Fofana, Mohamed Diane, Oyé Guilavogui, tous anciens ministres du dernier gouvernement Alpha Condé, étaient venus demander leurs libérations conditionnelles.

Parlons argent, parlons gros sous l’impulsion de l’article 247 du code de procédure pénale guinéen qui permet au juge d’ordonner la remise en liberté d’un détenu moyennant le paiement d’une caution. Il faut d’emblée préciser que le but principal de l’institution de la caution est de garantir la « représentation de l’inculpé, du prévenu ou de l’accusé à tous les actes de procédure et pour exécution du jugement ou de l’arrêt ». L’esprit de cette disposition n’est donc pas fondamentalement pécuniaire parce que la représentation peut être garantie par d’autres moyens tels que l’assignation à résidence, la confiscation de passeport ou tout autre contrôle judiciaire plus ou moins contraignant.

Ainsi donc, le jeudi 19 mai 2022, la Cour de Répression des Infractions Economique et Financiers (CRIEF) a ordonné la mise en liberté de Ibrahima Kassory Fofana et d’Oye Guilavogui sur condition de paiement de 20 milliards de francs guinéens chacun. Le docteur Mohamed Diane a, lui, bénéficié de la même mesure, mais pour un montant de 30 milliards de francs guinéens sans qu’il ne soit précisé le motif de la différence des montants requis.

L’opinion a vite été interpellée par l’importance des montants des cautions fixées pour obtenir la libération des « inculpés », d’aucuns y voit d’ailleurs un indice de culpabilité des concernés, parce qu’avoir un tel montant sur son compte et être disposé à le payer est un aveu de culpabilité. Remarquons que la loi n’impose pas de barème de montants que le juge peut réclamer aux demandeurs d’une liberté conditionnelle.

L’article 248 du code de procédure pénale prévoit la possibilité du paiement de la caution par l’inculpé, le prévenu, l’accusé et encore par un tiers honorable. Cela voudrait dire que la caution peut également être payée (en espèce) par des proches des « inculpés ou même par un élan de solidarité organisé à cet effet. On suppose d’ailleurs que l’argent de la caution ne pourrait provenir des comptes bancaires des concernés étant donné que ceux-ci font l’objet soit de saisie, soit de gel pour des raisons d’instruction. On est quand même en droit de se demander pourquoi la fixation de cautions aussi élevées pour les simples besoins de représentation de quelques « notables » représentant peu de risques de soustraction à la justice.

Toujours est-il que la joie des concernés embastillés à Coronthie depuis le 06 avril 2022 fut de courte durée, le procureur spécial ayant décidé de faire appel de leurs libérations conditionnelles. Ce curieux rebondissement qui est venu doucher l’espoir des avocats de la défense interpelle par son manque de cohérence quand on se réfère au but poursuivi par l’ordonnance de mise en liberté conditionnelle : permettre aux « inculpés » de recouvrer provisoirement leurs libertés, en attendant l’audience, avec une garantie suffisante de représentation.

L’histoire ne dit pas quelle était la motivation exacte de l’appel interjeté par le procureur spécial, Aly Touré, elle donne néanmoins une indication sur un « manque à gagner », pour le trésor public de 50 milliards de francs guinéens, soit environ 50 millions d’euros. On ignore si les « inculpés étaient disposés à payer la totalité de la caution pour obtenir leurs libérations provisoires, mais à l’heure où le pays vit une période de vache maigre, une telle caution aurait mis du beurre dans les épinards, ce même si par définition une caution est à rembourser si les conditions sont respectées.

Quel message d’administration de la justice le procureur spécial a-t-il voulu envoyer à l’opinion et aux concernés en s’opposant à une mesure qui n’entravait en rien la sereine poursuite de la procédure judiciaire ? Difficile d’y répondre tant l’appel semble incompréhensible et vexatoire. On pourrait quand même spéculer en imaginant la main invisible de l’exécutif puisque, en règle, le procureur spécial ne pourrait faire appel de la décision de libération conditionnelle sans consulter son ministre de tutelle.

Enfin par un communiqué du CNRD du 19 mai, on apprenait que l’ancien président, Alpha Condé, « se rend à l’étranger pour des rendez-vous médicaux ». Le communiqué qui paraît être une autorisation de voyager accordée au président déchu est justifié par la volonté de la junte et de son président de respecter la dignité et l’intégrité de l’homme de 84 ans. Le communiqué précise que la décision obéit aux dispositions procédurales d’ordre judiciaire.

On se souviendra néanmoins qu’Alpha Condé est sur le coup d’une information judiciaire, assortie d’une interdiction de quitter le pays, ouverte à son encontre avec plusieurs de ses anciens collaborateurs pour des faits qualifiés génériquement de « crimes de sang ».

Les événements de la semaine dernière posent un tas de questions sur l’indépendance de la justice en Guinée et sur la cohérence de la politique judiciaire sous la transition. On s’interroge en effet sur la grande sévérité de la justice à l’endroit d’importants ministres d’Alpha Condé, alors qu’il bénéficie, lui, d’un traitement plus que de faveur tant de la part de l’appareil judiciaire que du pouvoir exécutif.

De notre point de vue, comme rappelé dans nos précédents numéros, l’interdépendance entre le CNRD et la « justice de la transition » est incontestable et est de nature à altérer la confiance de l’opinion vis-à-vis des institutions de la transition.

Par Titi Sidibé Babatiti et Mory Mohamed Camara