La semaine dernière, comme s’il avait fini par se sentir un peu à l’étroit dans la capitale Conakry, le gouvernement guinéen s’est offert une tournée générale aux fins fond du pays dont l’étape première fut Nzérékoré, chef-lieu de la Guinée forestière où le beau monde conduit par le premier ministre, Mohamed Béavogui, a joint l’utile à l’agréable.
L’histoire ne précise pas pourquoi « l’immersion » du gouvernement à l’intérieur du pays a débuté par Nzérékoré. D’ailleurs, quelle pourrait être la pertinence d’une telle question puisque des quatre régions du pays, il fallait bien commencer quelque part et, peu importe la région par laquelle devait débuter la tournée, l’opinion se livrerait à des interprétations plus ou moins rationnelles.
Néanmoins, souvenons-nous qu’il y a un peu plus de deux semaines, les parterres de Nzérékoré était le théâtre d’opérations de déguerpissement et de récupération des biens dits de l’Etat dans le cadre de l’ambitieux projet de « refondation du pays » cher au président de la transition. Les coups de pelleteuses ont complètement défiguré une partie de la ville de Nzérékoré, de sorte que la tension suscitée a fini par être remontée à l’autorité centrale. Précisons qu’à ce jour, seuls le Fouta et la Haute Guinée semblent avoir bénéficié du moratoire général sur les opérations de récupération et de déguerpissement décidé par le gouvernement jusqu’à la fin de la saison pluvieuse.
L’histoire ne dit pas non plus quel est le coût financier du déplacement de l’ensemble des ministres, secrétaires généraux, directeurs de régies financières et autres administrations connexes à l’intérieur du pays pour une durée annoncée d’un mois au cours duquel, suivront les étapes de Kankan, en Haute Guinée, et de Labé, en Moyenne Guinée.
Revenons à la tournée, plus précisément à celle de Nzérékoré ; Les images de pratiquement tout le gouvernement habillé en tenues locales font penser à une tourne aux visées moins improvisées qu’elles n’y paraissent. Les rumeurs d’un remaniement au sein du gouvernement consécutif aux résultats quelque peu mitigé de l’évaluation récente des ministres font peser une drôle d’atmosphère au sein d’une équipe gouvernementale jeune et peu expérimentée. Il fallait donc se montrer au grand jour avec un zèle quelque peu dissimulé pour la cause du colonel-président.
Les raisons profondes de la tournée du gouvernement à l’intérieur du pays ne tombent pas sous le sens, même si le ministre Ousmane Gaoual Diallo, déclarait à la presse, que celle-ci a pour objectif « de toucher du doigt les réalités du pays profond, mais aussi de s’assurer que les travailleurs des structures déconcentrées sont dans les conditions de produire les résultats ». On ne peut s’empêcher d’entrevoir un air de pré-campagne pour ancrer davantage ce que l’on peut appeler « la vision du colonel », à défaut de parler d’une véritable idéologie dans le logiciel du régime de la transition.
A titre illustratif, lors d’une rencontre avec la jeunesse de Nzérékoré, le premier ministre, Mohamed Béavogui a exhorté les jeunes à refuser de mourir pour autrui avant de les encourager à accompagner le colonel Mamadi Doumbouya : « le colonel est là pour vous ».
Ce discours a été froidement apprécié par endroit, notamment dans les rangs de l’opposition. Les réactions suscitées auraient valu au premier ministre un recadrage du président de la transition. Précisons toutefois que le premier ministre a assumé l’invite faite aux jeunes de se tourner vers les visées du colonel, tout en regrettant les interprétations tendancieuses de ses propos sur les manifestations.
S’agissant des objectifs assignés à la tournée gouvernementale tels que annoncés par le ministre porte-parole du gouvernement, on peut se demander, en partie, à quoi ont servi les prises de contact des membres du CNT avec les populations de l’intérieur et les comptes-rendus des « assises nationales » compilés à l’attention du président. Il reste que l’on ne sait toujours pas quand démarrera le chronogramme de la transition telle que « revu par le CNT et accepté par le CNRD et le gouvernement.
Dans l’attente d’une réaction officielle de la CEDEAO, à propos du chronogramme de 36 mois et dans l’expectative des manifestations brandies par les opposants au chronogramme annoncé, les autorités de la transition paraissent vouloir meubler le temps par une campagne de séduction subliminale.
Consciente d’un certain affaissement de sa côte de popularité au sein de l’opinion, l’ambition de reconquête de celle-ci à coups d’annonces de projets routiers et d’inaugurations clinquantes, la junte militaire a entamé un processus de « normalisation » de la transition pour, semble-t-il, s’installer dans les esprits durant tout le temps d’une transition dont le décompte n’a toujours pas commencé.
Curieusement, alors que le colonel Mamadi Doumbouya, président de la transition, était annoncé à Nzérékoré, notamment pour présider le conseil des ministres du jeudi 26 mais 2022, celui-ci a brillé par son absence. Les commentaires allèrent bon train et dans tous les sens pour interpréter ce contre-temps. Toutefois, des préoccupations d’ordre sécuritaire pourrait en être la cause, surtout quand on sait que l’ex commandant des forces spéciales ne s’est toujours pas aventuré au-delà des frontières de la capitale depuis son coup d’état du 05 septembre 2021.
L’autre évènement marquant de la semaine écoulée a été la convocation de Monsieur Cellou Dalein Diallo, président du parti UFDG, par la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières). Une convocation à se présenter à la Cour le 13 juin prochain, mais qui ne précise pas les chefs d’accusation à son encontre, et dans laquelle il est globalement question de griefs pour détournement de fonds et de corruption par agent du service public. La question qui a dominé les débats dans les médias et sur les réseaux sociaux, est de savoir si Cellou Dalein Diallo, actuellement à l’étranger, se présentera ou non devant ses juges.
De notre point de vue, le processus de transition traverse une zone de plus en plus affranchie des contingences de sa durée, comme pour dire que ce que peut un mandat peut une transition. Il reste à savoir quand le réveil de la transition sonnera pour tous afin de remettre chaque acteur en ordre de décollage du vrai processus de retour à l’ordre constitutionnel tant souhaité.
Mardi 31 mai 2022
Par Titi Sidibe et Mory Mohamed Camara