Les acteurs improbables de la transition

 

Courant de la semaine écoulée, notre pays a connu toute une série d’accidents de la route, de même qu’un incendie, tous tragiques ayant occasionné une trentaine de perte en vies humaines. Alors, nous ne saurons débuter notre billet sans présenter nos vives condoléances aux familles éplorées ainsi qu’à l’ensemble du peuple de Guinée.

 

La chronique n’échappe pas à la tiédeur du temps médiatique, mais elle a l’avantage de paraître en début de semaine pour porter un regard prétentieux sur ce qu’il s’est passé au pays du CNRD. Elle apprend d’ailleurs que la stabilité du pays serait mise à rude épreuve par des velléités hostiles et que des arrestations auraient eu lieu au sein de la grande muette.

 

Un communiqué du chef d’état-major général des armées est venu donner de la vigueur à la rumeur puisqu’il a annoncé l’encasernement des militaires et la menace de sanction pour les réfractaires.

 

Autre chose, le président de la transition qui était aux abonnés absents de nos petits écrans ainsi que des rassemblements publics, a opéré un saut presque périlleux en plein cœur de l’Axe, à Bambeto plus précisément, où il s’est acquitté, « gros chapelet en bandoulière », de la prière du vendredi 10 juin 2022. Comme pour dire à ses détracteurs que son histoire d’amour avec l’Axe est loin d’être terminée.

 

Pour l’occasion, la rédaction des chroniques de la transition a décidé de s’intéresser à deux acteurs de la transition, deux acteurs carrément improbables, deux personnages non des moindres, au cœur du mécanisme qui s’est enclenché le 5 septembre 2022. Le premier n’est autre que le commandant Alia Camara, agent des forces spéciales ayant participé à l’arrestation du président Alpha Condé lors du putsch qui l’a renversé.

 

Le second est Charles Alhussein Wright, procureur général de son état que nous avons surnommé « Alhussein le grand » pour les besoins de la présente chronique. Voici donc la transition à travers deux de ses personnages dont les destins, un moment entremêlé, se sont imposés comme de véritables baromètres de la santé de la transition CNRD.

 

Alya Camara est un de ces héros de l’histoire dont on dit qu’ils sont comme frappés par le sort des héros maudits ou de la race des découvreurs de la tombe de Toutankhamon. Le sort de Alya Camara s’apparente à celui de Lord Carnarvon et certains membres de son équipe d’archéologues, frappés par la « malédiction des momies ».

 

Numéro 2 du bataillon d’élite des forces spéciales de l’armée guinéenne dirigé par le colonel Mamadi Doumbouya, Alya Camara était le chef du groupe qui a pris d’assaut le palais présidentiel Sékhoutoureya, le 5 septembre 2021, pour opérer le coup d’état ayant définitivement mis fin au régime Alpha Condé au cours de la première année de son 3ème mandat .

 

Réputé être un très proche du colonel, le commandant Alya Camara fût arrêté et emprisonné dès les premières heures de la prise du pouvoir par la junte militaire. Accusé avec cinq de ses hommes d’avoir volé de l’argent et des objets de valeur dans la chambre du président Alpha Condé lors de l’assaut du 5 septembre 2021, Le sort du Commandant et de ses hommes a ému une partie de l’opinion, du fait de ce qui semble être une injustice eu égard à sa bravoure lors des évènements du 05 septembre 2021, tandis que pour d’autres, ce n’est qu’un juste retour du bâton à l’endroit de l’homme qui a défiguré la République en renversant un président démocratiquement élu.

 

Toujours est-il que le Commandant Alya Camara que d’aucuns considèrent comme un officier loyal ayant été trahi par son compagnon d’arme, puisque véritable auteur du coup d’état, n’a été libéré que le 21 avril 2022 après un véritable imbroglio judiciaire. Car rappelons qu’incarcérés depuis novembre 2021, le Cdt Alya Camara et ses camarades avaient bénéficié d’une ordonnance de mise en liberté le 08 Mars 2022 et curieusement, le procureur général Charles Alhussein Wright interjeta appel le 10 mars 2022 contre l’ordonnance de libération du commandant et de ses hommes.

 

Ceci dit, il y a tout de même lieu de s’interroger sur la démarche du procureur général face à la main invisible des autorités militaires contre une décision de justice.

Le Cdt Alya Camara et ses comparses finiront par recouvrir la liberté quelques semaines plus tard dans la plus grande discrétion, puis il sera muté loin à plus de 400 km de la capitale dans la ville de Guéckédou. Toutefois, l’histoire rattrapera le très réservé Cdt Alya Camara, puis qu’il est de nouveau arrêté et molesté le 8 Juin, reconduit manu militari et maintenu au secret à Conakry sans autre forme de procès.

Ce qui ressemble fort étrangement à un acharnement, porte un sacré coup à l’image idyllique et lyrique que le CNRD semble vouloir vendre au peuple de Guinée à travers le postulat d’une Justice indépendante, humaine et respectueuse des droits et libertés du citoyen. Comment expliquer l’attitude du jeune procureur face à une telle évidence ?

 

Charles Wright, l’autre figure de proue de la transition brille tant par sa vivacité que par un certain excentrisme qu’il affiche dans sa façon à lui d’incarner l’avocat de la société depuis sa nomination par le président de la transition, le 29 décembre 2021, comme procureur général de la Cour d’appel de Conakry.

 

Nombre de Guinéens se souviennent que le procureur général Charles Alhussein Wright fut, sous le régime Alpha Condé, un brillant magistrat d’instance qui se fit remarquer par son indépendance et, d’une certaine manière, par la liberté avec laquelle il prenait ses décisions telle que la libération du leader du FNDC Oumar Sylla, alias Foniké Mengué , ou encore la condamnation du commissaire Fabou Camara. Pareilles décisions aussi banales qu’elles furent avaient quelque chose d’inédit voir de révolutionnaire, quand on sait que la justice sous Alpha Condé obéissait aux désidératas de l’exécutif. Ce fait est d’ailleurs illustré par le mea culpa des magistrats devant le colonel Mamadi Doumbouya en marge des concertations avec les acteurs de la société guinéenne et les nouvelles autorités le 21 Septembre 2021 au palais du peuple .

 

L’autre fait d’armes du bouillant magistrat est d’avoir fait enregistrer à son insu l’ancien procureur de Dixinn, Sidy Souleymane N’Diaye, dans une affaire de corruption de magistrat. D’aucuns s’étaient fait l’écho de ce magistrat capable d’enregistrer un procureur à son insu, mais le principal intéressé expliquera que c’était sa façon à lui de conserver les preuves des pressions qu’il subissait et les tentatives de corruption auxquelles il résistait au péril de sa vie.

 

L’indépendance et l’éthique de notre virevoltant et tonitruant procureur général seront mise à rude épreuve lors de sa suspension par son ministre de tutelle suite à sa sortie médiatique très caustique et virulente contre le colonel Balla Samoura, commandant de la gendarmerie nationale et directeur de la justice militaire, pour immixtion dans les affaires judiciaires ne relevant pas de son domaine de compétence. Un passage à vide qui avait fragilisé la posture du jeune magistrat avant qu’il ne soit rétabli dans ses fonctions grâce, croyons-nous, à une série d’indignations de sa corporation et de la société civile dont le FNDC et l’ordre des avocats de Guinée.

 

Il s’ensuit que la politique pénale du procureur général pose tout de même question, quand on s’intéresse à la manière dont il tient à discipliner une société rongée par l’incivisme et un certain mépris de la loi. Quitte à passer pour un populiste, le procureur parle plus que de convenance et semble prendre un goût immodéré pour la chose médiatique. Qu’importe, tant que cela donne des résultats, la machine peut continuer à tourner.

 

Dans l’affaire de l’assassinant du jeune Thierno Mamadou Diallo lors de la manifestation du 1er juin 2022 contre l’augmentation du prix du carburant, le procureur Wright a fait la démonstration d’un volontarisme sans précédent tant dans la procédure judiciaire que médico-légale pour obtenir des résultats dont l’arrestation des présumés assassins et de la prise en compte effective de l’émotion de la famille éplorée.

 

On peut certes reprocher à Charles Alhussein Wright d’être friand des médias et des petites phrases, on peut même lui reprocher sa trop grande proximité avec les affaires dont il a la charge, mais peut-ton pour autant raisonnablement lui faire le procès de vouloir à tout prix obtenir des résultats, même au prix d’une certaine liberté par rapport aux exigences de sa fonction ?

 

Mardi, 21 juin 2022

 

Par Titi Sidibé et Mory Mohamed Camara