Un beau jour, nous avons vu apparaitre sous nos fenêtres un Napoléon local sorti de nulle part, s’emparer du cœur du pouvoir et traîner dans nos rues, sous nos yeux, celui qu’une moitié d’entre nous avait appris à aimer contre l’autre moitié qui le détestait sans aucun doute.
Il paraît que le colonel dont nous ne connaissons encore à ce jour aucun fait d’armes et ses hommes ont dû casser des œufs pour parvenir à mettre fin au troisième mandat d’un homme dont le seul génie avait été sa connaissance de la nature du Guinéen. Nous n’avons même pas demandé le nombre d’œufs que le triomphe du colosse nous a coûté, tant que Alpha Condé était déchu pourquoi chercher à connaître le nombre de victimes ?
Alors que nous pensions que le troisième mandat était la goutte d’eau qui avait fait déborder la caserne des forces spéciales, le colonel a immédiatement précisé que l’instrumentalisation de la justice et la politisation de l’administration étaient les raisons principales du renversement de celui à qui il doit tout de sa fulgurante carrière de légionnaire dans son propre pays.
Très vite, le colonel annonça les couleurs en embrasant d’abord nos cœurs par les flammes d’un discours patriotique des plus romantiques, d’une articulation hésitante mais d’une volonté spontanée que nous croyions sincère. La main sur le Coran, il nous a juré que la justice sera la boussole qui guidera la transition du CNRD. Nous en étions tellement convaincus que nous avons dansé des jours entiers et partout dans le pays.
Croyant que nous étions au début d’une vraie révolution des mentalités, que nous allions tout mettre sur la table pour diagnostiquer ensemble les pathologies de notre société et composer les remèdes du « plus jamais ça », le colonel nous a dit savoir tout de ce qui nous avait conduit à dix ans d’affrontements et à un cimetière entier de martyrs. Du bout des lèvres, il nous a invité à lui dire ce que nous pensons de tout ça, en réalité il nous a pris en vrac et à aucun moment il n’a semblé avoir pris en compte les idées différentes de son programme.
Alors que nous nous attendions à rebâtir de nos mains jointes la nouvelle nation guinéenne, sans exclusion aucune, nous avons dû déchanter face au plat préparé qu’il avait mijoté pour nous. Si Alpha Condé nous avait divisés des années durant, Doumbouya nous a invités à faire l’amour à la Guinée sans oser la regarder dans les yeux et à tuer l’ethnie au profit d’une société égalitaire qui s’est avérée un régiment d’obligés du CNRD.
Le colonel nous a montré les couleurs de ce qu’allait désormais être le visage de la Guinée : l’unilatéralisme comme mode de gouvernance : Il s’est presque fait couronner en jurant sur une charte qu’il s’est confectionnée tout seul, s’est attribué des titres à peine croyables, a rebaptisé l’aéroport sans consulter quiconque, a saisi des biens sans procédure, en a restitué d’autres sans réquisition, a conduit toute une administration à la retraite sans discernement et, cerise sur le gâteau, a nommé comme président du conseil national de la transition un homme décrié par l’essentiel des forces vives.
Nous apprenions cet élan que le souverain c’est lui, que le peuple n’est formé que par ceux d’entre nous qui lui ont juré fidélité quoiqu’il arrive, que c’est de sa volonté que dépendra désormais le sort de chacun d’entre nous, qu’en aucune manière son ambition ne s’infusera de nos attentes légitimes.
Plutôt que d’être la transition d’un peuple, la transition CNRD est, dès les premiers jours, une transition déjà pesée et emballée. L’idéologie est révolutionnaire par endroit, mais pas trop même si des entreprises privées sont réquisitionnées, elle est nébuleuse puisque ni les décisions ni leurs véritables motivations ne sont connues. Le CNRD est l’ensemble des militaires dit-on, mais en réalité le CNRD ce n’est personne si ce n’est une ambition camouflée et obstinée à faire place nette là où il se sent à l’étroit, déployant ses tentacules dans les moindres sinus de l’administration et croyant faire de la transition un mandat ad vitam aeternam.
La transition CNRD c’est aussi sur le plan de la justice, une drôle de justice dont l’orientation et les priorités semblent obéir à une dynamique populiste qui s’affranchit de toute rationalité juridictionnelle. Le populisme judiciaire est ainsi né pour assouvir les fantasmes qui ne s’exprimaient jadis qu’au bistrot et qui ne prend dans ses filets que ceux qui sont susceptibles de faire de l’ombre à l’expression de sa propagande. Jamais l’intérêt de la justice n’est une préoccupation prioritaire de la politique pénale.
Comme un mandat, la transition CNRD s’installe et se projette dans des relents « long termistes », oubliant les choses de la transition au profit des choses du mandat, sans tolérer aucune contradiction si ce n’est celle qu’elle contrôle en son sein. C’est l’exemple des assises dites nationales ou encore des concertations prétendument inclusives, alors qu’en réalité la nébuleuse paraît dicter sa volonté à des âmes fertiles à la corruption qu’il a domptées soit par des décrets soit par la promesse tacite d’une tranquillité qu’aucun juge ne saurait perturber.
La constitution dissoute, le CNRD impose des serments religieux à « ses fidèles » dans un « Etat laïc » pour brouiller les pistes d’une gestion patrimoniale du pouvoir public avec la particularité que l’Etat ce n’est ni plus ni moins que le CNRD incarné par le Napoléon local.
L’espoir d’une transition bâtie pierre par pierre par la volonté populaire exprimée dans un esprit d’inclusion a cédé la place à une forme de dictature latente et tentaculaire qui fait peser sur le pays les risques de lendemains dangereusement imprévisibles.
Par Titi Sidibé