La deuxième semaine du mois de juillet a commencé par le discours fleuve du tout nouveau ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, le mardi 12 juillet à l’occasion de sa passation de service devant le personnel du ministère de la Justice.
En présence du Président de la Cour suprême, du Ministre secrétaire général à la présidence, du Chef de cabinet du Président de la transition, le jeune ministre tout fraîchement sorti de ses derniers réquisitoires de procureur général, a énuméré d’ambitieux et exhaustifs objectifs de son département. Il a ainsi été question d’œuvrer pour un meilleur accès à la justice pour les citoyens, l’appui à la CRIEF et la mise en place d’un logiciel permettant la fluidité de l’information autour des actes judiciaires et pénitentiaires.
La liste des chantiers à venir est tellement longue qu’on est en droit de se s’interroger sur leurs matérialisations effectives pendant une période de transition dont on ne connaît encore officiellement ni la durée ni le point de départ. La transition se ferait presque oublier tellement les choses de la transition paraissent avoir pris le tournant du développement en lieu et place du processus naturel de retour à l’ordre constitutionnel.
Retenons également du discours du nouveau Ministre de la Justice le chapelet de remerciements égrenés à l’endroit du Président de la transition et le rappel de la vision qui anime ce dernier de qualifier la justice du pays. Cela dénote si besoin en était, l’idée que se fait Alphonse Charles Wright de sa mission de chef du département de la justice, c’est-à-dire, celle d’un soldat aux ordres de son supérieur hiérarchique. Avec pour avantage cette fois-ci, d’avoir une marge de manœuvre plus large que le périmètre étroit que lui laissait sa fonction de procureur général.
Dès le lendemain de ce sacre du flamboyant ministre, une curieuse et déroutante nouvelle est parvenue à se greffer à l’actualité de la semaine, faisant presque oublier que nous étions arrivés à mi-chemin de l’ultimatum de la CEDEAO pour un chronogramme consensuel de la transition issu du dialogue inter-guinéen.
Le jeudi 14 juillet, irrité par l’état d’insalubrité avancée des artères de la capitale, le colonel Mamadi Doumbouya a brusquement suspendu le Conseil des ministres afin d’ordonner à ses ministres d’aller balayer les rues de Conakry. D’un claquement de doigts, tout le beau monde des ministères et institutions nationales se retrouvait armé de pelles et de brouettes sur les artères et carrefours des cinq communes de la capitale pour faire le « sale boulot ».
Toutefois, la publication sur les réseaux sociaux d’une note de répartition, parfaitement ciselée, des zones à nettoyer par département ministériel, pose interrogation sur la spontanéité de la colère du président en Conseil des ministres.
Aux yeux d’une partie de l’opinion, l’opération de nettoyage a été perçue comme humiliante pour des cadres dont la vocation première n’est pas de récurer les caniveaux. Mais à en croire l’enthousiasme affiché par les « infortunés », on ne peut raisonnablement conclure que l’expérience leur a été unanimement déplaisante. Entre les sourires affichés des dames des ministères et le patriotisme de salubrité publique des ministres publiés sur les réseaux, la transition a opéré une belle campagne de communication au-delà des résultats de la journée.
L’histoire ne dit pas quelles mesures concrètes de collecte et de gestion des déchets viendront suppléer à l’élan symbolique et volontariste lancé par le Président de la transition, qui lui-même, a mis la main à la pâte en ramassant des ordures. Au-delà de l’opération de communication, l’expression de la colère du colonel a le mérite de sensibiliser et d’alerter tout le pays de l’urgence de l’assainissement et du respect des règles de salubrité publique.
D’autres particularités sont venues clôturer une semaine de transition assez animée du point de vue des signaux envoyés par la présidence. Ainsi, au soir du vendredi 15 juillet, un décret lu au journal de la télévision nationale a créé la stupéfaction avec l’annonce de la nomination d’un Premier ministre par intérim en la personne de Bernard Goumou, cumulativement à la fonction de ministre du commerce de ce dernier, jusqu’au retour du Premier Ministre, Mohamed Béavogui. Il n’en fallait pas plus pour que le microcosme politique commence à bruisser de rumeurs, toutes plus insolites les unes que les autres : « Le Premier ministre, aurait-il démissionné ? » « Aurait-il été limogé ? » « Le PM ne serait pas en odeur de sainteté auprès avec CNRD », etc.
Mohamed Béavogui qui se trouve actuellement en Italie, dit être en séjour de contrôle médical, « une exigence de son statut de fonctionnaire onusien » dit-il. L’histoire ne dit pas pourquoi un simple contrôle médical nécessite l’annonce de la suppléance du Premier ministre par un décret portant nomination d’un Premier ministre par intérim.
La mesure est d’autant plus incompréhensible qu’elle trouble les esprits féconds sachant que le premier ministre, officiellement en indisponibilité, coordonnait encore tout récemment le très difficile dialogue inter-guinéen. Un dialogue d’ailleurs en panne puisque depuis le nouvel ultimatum de la CEDEAO le 3 juillet 2022, aucun acte concret n’a encore été posé par les autorités de la transition.
Le choix de Bernard Goumou, comme Premier ministre par intérim pose également question puisque protocolairement ce dernier semble loin de l’ordre de préséance. La logique voudrait que ce soit Alphonse Charles Wright, ministre de la justice, ou encore Morisanda Kouyaté, ministre des Affaires étrangères, qui supplée à l’absence du Premier ministre de la transition.
Dimanche 17 juillet, on apprenait également que Mory Condé, Ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation, devait assurer l’intérim du ministre des affaires étrangères, par un acte signé par le titulaire dudit poste, du 17 au 19 juillet 2022. Évidemment, la question qu’on est en droit de se poser est la suivante : le ministre des Affaires Etrangères ayant été nommé par le Président de la Transition, l’acte établissant une suppléance, s’affranchissant de la norme, doit-il provenir de ce dernier ou du premier ?
Une chose est sûre, si la transition CNRD avait commencé par une certaine stabilité dans l’attente légitime des Guinéens, elle semble désormais en panne de lisibilité tant sur la motivation de ses actes que sur leurs orientations. Le ministre de l’habitat et porte-parole du gouvernement, a néanmoins voulu rassurer l’opinion de ce qu’il ne s’agirait dans ces événements que de choses normales dans une gouvernance responsable.
Nous ne pouvons boucler notre chronique hebdomadaire, sans évoquer au soir du lundi 18 juillet 2022, l’annonce des résultats du baccalauréat unique. Disons-le de tout go, ils sont cataclysmiques ! Du jamais-vu dans l’histoire du pays.
Seul 9 % des candidats ayant concouru au cours de la session 2021-2022 ont été déclarés admis. L’enseignement à tirer de ce drame national est que l’avènement du CNRD a permis de connaître le niveau réel des élèves guinéens, souvent happés par une société honteusement inégalitaire où ne réussissent que ceux dont les parents peuvent les éloigner du marasme de l’enseignement public et des aléas d’une vie sans perspective.
Pour finir, le chef de la junte militaire guinéenne, le Colonel Mamadi Doumbouya a exprimé son souhait de voir se tenir le procès du massacre du 28 septembre 2009 avant le 28 septembre 2022. Cependant, peut-on espérer cette fois-ci que la réalité du terrain cédera définitivement le pas face à l’annonce surprenante du président ?
Wait and see !
Mardi 19 juillet 2022
Par Me Titi Sidibé et Mory Camara