Seul contre tous. Telle peut être qualifiée la situation conflictuelle opposant Monsieur Nanfo DIABY et la communauté musulmane guinéenne. En effet, la lecture des sourates en langue N’KO à l’occasion des prières constitue le nœud de discorde qui les oppose. Si la communauté musulmane estime que M. DIABY profane l’islam, lui, estime suivre sa religion et la pratiquée comme il se doit. Après une décision de la Cour suprême qui reconnait à Nanfo DIABY de diriger sa prière en langue N’KO. Les récentes déclarations du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux sur le dossier Nanfo DIABY à rallumer le débat sur la liberté de religion en République de Guinée.

La présente tribune vise d’abord, à apporter un éclaircissement sur la liberté de religion ; ce droit fondamental de l’Homme dont l’effectivité permet de mesurer le caractère démocratique d’un État laïc. Nous le ferons en le définissant et en présentant quelques-unes de ses garanties juridiques. Ensuite, elle vise à démontrer que même si la liberté de religion un droit qui ne souffre en effet d’aucune dérogation, il peut être restreint si son exercice constitue une menace à l’ordre public et à la sécurité publique. Enfin, elle s’attèle à démontrer que Monsieur Nanfo DIABY agit en violation du droit  au respect du culte d’autrui ; ce qui pourrait être considéré comme une profanation de la religion d’autrui.

En rappel, parmi les droits fondamentaux, il existe les libertés. Par liberté, il faut entendre, selon le Professeur Abdoulaye. SOMA, « des prérogatives juridiques qui garantissent la possibilité d’un comportement de l’individu dans l’État. Ce sont des facultés juridiques qui assurent la faisabilité d’une attitude… ». Quant à la religion, il est défini selon le Dictionnaire Larousse comme  « un ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l’Homme avec le sacré. C’est aussi l’ensemble des pratiques et de rites spécifiques propres à chacune des croyances ».

La Guinée est un État laïc, qui reconnait la liberté de religion. Elle a consacré cette liberté dans sa Charte de la transition de 2021(articles 23, 15, 10-2) et a ratifié les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme qui la consacre également (article 18 de la DUDH, article 18 du PIDCP, article 5-d-vii de la CEDR, article 8 de la CADHP, etc.). En acceptant ainsi le principe de la laïcité, la Guinée reconnait la liberté de religion à chaque individu vivant sur son territoire. Toute personne a droit à la liberté…, de religion. Elle implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites (voir articles 18 de la DUDH et du PIDCP). À interpréter cette idée, on pourrait dire que la PRIÈRE étant un culte, un rite et une pratique peut être faite selon le choix de l’individu.

Selon l’islam par exemple, la PRIÈRE est un rite permettant un rapprochement entre l’individu et son créateur. Elle se fait selon la SOUNNA du PROPHÈTE MOHAMED (SAW), qui récitait les versets coraniques en langue arabe. De ce fait, tous les musulmans ont connu ce même rite depuis des siècles. C’est devenu une coutume, une pratique à respecter faute de quoi la prière n’est pas valable. Ainsi, faire la prière dans une autre langue que l’arabe peut être vu comme une profanation du rite culturel musulman.

Par ailleurs, même si dans l’accomplissement des rites et la pratique de la religion ou de la conviction peut figurer l’utilisation d’une langue particulière communément parlée par un groupe (voir Ludovic HENNEBEL, Hélène TIGRODJA, Traité de droit international des droits de l’Homme, Pédone, 2016, p 1139), cela ne doit pas consister à profaner une autre langue utilisée par un culte précis.

Profaner la religion d’un groupe déterminé constitue  une atteinte à ses us et mœurs. Cela peut conduire à des frustrations pouvant aller jusqu’à des affrontements. Dans ce cas, l’ordre public est troublé, la cohésion sociale déchirée, l’harmonie et le vouloir-vivre ensemble menacés…

Monsieur Nanfo DIABY doit comprendre qu’il n’a jamais été question de l’empêcher de choisir une religion, mais plutôt de souligner que la profanation de la religion d’autrui est une insulte. Ce qui pourrait amener les adeptes de cette religion à réagir par tous les moyens possible afin de faire cesser cette situation (affrontement par exemple).

Ainsi, sur sa pratique de La PRIÈRE en langue N’KO, on peut déduire que la consécration de cette liberté lui permet de faire ses prières selon le culte de son choix. Il s’agit donc d’une garantie à la fois conventionnelle et constitutionnelle.  Mais il ne doit pas, sous prétexte de prier dans une langue autre que celle autorisée (l’arabe) adorer le même Dieu que les musulmans.

Monsieur DIABY affirme sa religion s’appelle Djerèkolobaya qui signifie la soumission en langue NKO ; que dans sa langue « Mamadi » renvoie à Mohamed ; et « Dossari » au Coran. En plus, il prétexte qu’il prie en direction de la Kaaba. En conclusion, il estime que tout ceci, montre à suffisance qu’il pratique l’islam. Cependant, il est clair que les lois de l’islam  sont catégoriques en ce qui concerne la prière. Elle est faite en une seule langue qui est l’arabe. Cela, même si l’interprétation du Coran peut être faite dans plusieurs langues afin d’en permettre une  littérale par ceux  qui ne parlent pas l’arabe.

Ainsi, il est avéré que la pratique religieuse de Monsieur DIABY heurte la sensibilité des musulmans et, peut entrainer des troubles à l’ordre public ou constituer une menace à l’ordre public. Cette pratique devrait être interdite pour cause de nécessité publique et de respect des us et mœurs d’une communauté visée. Monsieur DIABY peut créer sa propre religion mais il lui est interdit de, prendre les principes et règles de l’islam et les utiliser selon son bon vouloir. Certes, la liberté de religion est garantie, mais il existe en en Droit international des droits de l’Homme (DIDH), le droit au respect des rites et croyances d’autrui. Delà, il peut se dégager une obligation juridique verticale de ne pas porter atteinte aux pratiques rituelles d’une communauté.

Le DIDH africain impose aussi des devoirs à chaque individu vis-à-vis des autres. Ainsi, Monsieur DIABY doit exercer son droit à la liberté religieuse dans le respect du droit d’autrui à la liberté de religion, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun. Aussi, il doit entretenir avec autrui des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance. De même, dans sa liberté religieuse, il ne doit pas compromettre la sécurité de l’État guinéen dont il est un national. Il doit ainsi, tout faire pour préserver et renforcer la solidarité sociale et nationale, singulièrement lorsque celle-ci est menacée. Ayant imité les pratiques religieuses musulmanes, ces obligations juridiques s’imposent uniquement à Monsieur DIABY ici qui a imité les pratiques religieuses des musulmans et non le contraire. Donc, ces obligations juridiques s’imposent uniquement à lui.

À mon avis, en tant que juriste, ce droit à la liberté de religion devrait être appréhendé dans  l’aspect de la foi c’est-à-dire de la croyance, et non sur le terrain de la manifestation religieuse susceptible d’autres interprétations.

Il revient donc à l’État guinéen à travers sa justice, de prendre toutes les dispositions  nécessaires pour mettre fin à cette profanation de l’islam. À cet effet, la Cour suprême devrait rendre un arrêt dans ce sens en intégrant la profanation de la religion d’autrui comme une atteinte à la liberté religieuse.

Si l’État ne prend pas ce problème à bras le corps, on risque de se retrouver dans une situation de sédition qui pourra éventuellement conduire à la création de groupuscules fanatiques, qui sont des dangers potentiels à la cohésion sociale (extrémistes violentes, terrorisme…).

Monsieur DIABY peut croire sans limites aucunes à ce qu’il veut ; l’État guinéen n’a pas à lui dicter ses croyances qui relèvent des éléments fondamentaux de sa conception de la vie. En revanche, lorsque sa croyance intime est extériorisée, lorsqu’elle se manifeste pour rencontrer les croyances d’autrui dans la sphère publique (musulman), l’État guinéen recouvre la liberté de limiter les manifestations des croyances. (voir Ludovic HENNEBEL, Hélène TIGROUDJA, op.cit. p 112).

Par Dr. Sadou DIALLO, 

Docteur en droit public