Nous sommes en décembre 2015. Alpha Condé, qui venait de remporter la présidentielle de la même année décide de changer de gouvernement et donc de nommer un nouveau Premier ministre. Il jette son dévolu sur un technocrate bien connu du secteur minier guinéen: Mamady Youla. Problème: le président guinéen n’a ni consulté, ni associé les caciques de son parti, le RPG, à cette nomination. Tollé général au sein de la direction de la maison jaune. Alors qu’il reprend des forces à Moscou après une campagne éreintante suivie de l’organisation de l’investiture, Docteur Diané ne cache pas son étonnement, lui le directeur de cabinet d’Alpha Condé, de surcroît surnommé « le gardien du temple ». Un mécontentement sourd gronde au sommet du parti. Je tente une médiation. Je connais en effet le nouveau Premier ministre. Il m’avait été présenté à la fin des années 90 par Fassinè Fofana, alors ministre des Mines. Youla était un de ses conseillers. Je demande à Docteur Diané de l’appeler pour le féliciter. Je n’ai pas son numéro, me répond-il alors qu’il se rend à l’aéroport Cheremetievo pour prendre son vol retour sur Conakry. Je lui communique le numéro du nouveau Premier ministre et il l’appelle. Il me rend compte de ce premier contact. Je saisis la perche. J’écris à Alpha Condé pour connaître sa position sur la question. Ses réponses ne me rassurent pas…
J’ai une fenêtre. Docteur Diané fait une courte escale à Paris. Je prends un train de nuit à Florence en Italie, pour Paris. Mon fils m’accompagne. C’est ma deuxième carte d’identité, depuis que je suis père célibataire. Ça tombe bien, ce sont les vacances de Noël.
À Paris, Docteur Diané vient me retrouver à mon petit hôtel, non loin des Champs-Élysées. Je lui explique ma démarche pour calmer une… fronde naissante. Il adhère à l’idée mais comme souvent avec lui, il faut deviner et lire ses pensées. Ce n’est pas quelqu’un qui se livre. Décision est prise: je dois faire le déplacement de Conakry.
Je regagne l’Italie pour me préparer. Entre-temps, je maintiens le contact avec le nouveau Premier ministre et lui suggère de faire un clin d’œil au RPG dans son discours de prise de fonction. Il accepte. Je rédige un court paragraphe et le lui envoie. Il accepte de l’insérer dans son discours. Ça peut apaiser les tensions, me suis-je dit.
Quand j’arrive à Conakry, je prends rendez-vous pour rencontrer le président Alpha Condé. Il me reçoit immédiatement. C’est la première fois que je le vois en tête-à-tête depuis qu’il est président de la république. Je le sais colérique. J’appréhende donc l’issue de notre entretien. Première surprise: Alpha n’a pas changé. Ses charges à la tête de la Guinée ne l’ont pas transformé. C’est le même homme. Je suis si frappé par l’austérité des lieux que j’ose une question. C’est ton (je n’ai jamais vouvoyé Alpha Condé en privé) bureau ça? L’atmosphère se détend et la discussion s’engage. Mon fils à mes côtés. Alpha argumente, se dit surpris par tout ce tintamarre. Alors je sors mon arme: Prési, c’est toi que les Guinéens ont élu. Donc, le chef c’est toi. Mais ce serait une jurisprudence mondiale de voir le Parti vainqueur d’une élection être totalement écarté de la formation du gouvernement et de la gestion de la victoire acquise aux urnes. Il esquisse un sourire et se lève. C’est fini? Il nous laisse seuls dans son bureau et revient quelques instants après pour m’inviter à le suivre.
Autour de la table, je ne connais personne. Le repas est servi. Dans une ambiance bon enfant. Je finis par comprendre qu’il y’a à mes côtés l’homme d’affaires Saliou Sonoco (c’est la première fois que je le vois) et en face, une dame originaire de Poredaka est assise au milieu de ses deux jeunes filles. Le Président me dit que l’une d’elle est sa « conseillère ». Je suis intrigué. Elle est si jeune! Il l’a nommera effectivemt Conseillère à la Présidence, puis cheffe de cabinet de la présidence de la République et est aujourd’hui conseillère juridique au même endroit. Preuve qu’on n’a pas toujours jeté le bébé avec l’eau du bain. Mais ça, c’est une autre histoire abordée dans les chapitres suivants…
Dès que nous sortons de la salle à manger, je relance de nouveau le président sur notre entretien. J’avais pris soin d’éviter la question au cours du repas. J’ai compris, me dit-il alors que son photographe, Touraman, posté à deux pas, nous mitraille avec son appareil…
Ma « mission » est loin d’être terminée. Le nouveau gouvernement est en train d’être formé et de nombreuses têtes…