La Cour spéciale de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), mise en place par les nouvelles autorités pour lutter contre la corruption et lenrichissement illicite, a engagé plusieurs actions judiciaires à lencontre danciens dignitaires pour corruption, détournement de deniers publics, enrichissement illicite et blanchiment.

 

Dans le cadre de cette procédure, plusieurs dignitaires ont été mis en détention provisoire à la maison centrale de Conakry, notamment, lancien premier ministre Ibrahima Kassory FOFONA et lancien président de lAssemblée nationale, Amadou Damaro CAMARA.

 

Les poursuites engagées contre ces cadres sont décriées par une bonne partie de lopinion publique qui sinterroge sur la nécessité de les garder en prison en estimant que le procureur spécial prés la CRIEF ne disposerait pas suffisamment de preuves qui les incriminent.

 

Le régime juridique du délit denrichissement illicite 

 

En droit guinéen, le délit d’enrichissement illicite, en raison de sa spécificité, obéit à un régime dérogatoire au droit commun en matière pénale. Cette précision est de très utile car l’enrichissement illicite, bien que prévu dans le code pénal guinéen (article 776), est aussi prévu par une loi spéciale, loi/N/0041/2017 Portant prévention, détection et répression de la corruption et infractions. Larticle 2 de cette loi définit lenrichissement illicite, comme « laugmentation substantielle des biens d’un agent public ou de toute autre personne que celui-ci ne peut justifier au regard de ses revenus. ».

Cette définition reprend presque à lidentique la définition de la Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC) qui définit lenrichissement illicite comme «laugmentation substantielle du patrimoine dun agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes ». Convention signée par la Guinée le 15 juillet 2005 et ratifiée le 29 mai 2013.

 

Lalinéa 2 de larticle 776 du code pénal dispose que « le délit denrichissement illicite est constitué lorsque, sur une simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus, se trouve dans limpossibilité de justifier lorigine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession dun patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux. »

 

Linfraction denrichissement illicite se singularise particulièrement, dans la mesure où elle nassujettit pas le prononcé dune sanction judiciaire à la présentation préalable de preuves sur une activité criminelle distincte. En effet, le juge doit simplement avoir lassurance que lenrichissement illicite a bel et bien eu lieu, cest-à-dire quune personne a disposé dune forme de patrimoine que les sources légitimes de ses revenus ne justifient pas.

 

Le renversement de la charge de la preuve en matière d’enrichissement illicite

 

En principe, en droit pénal, la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante qui est le ministère public. La preuve consiste à établir l’existence d’un fait dans les formes légalement admises et son imputation à une personne. L’établissement de celle-ci est régi par trois principes :

 

Le premier principe est énoncé par l’adage actori incombit probatio, cest-à-dire que la charge de la preuve incombe au demandeur. En effet, en vertu du principe de la présomption d’innocence, le ministère public (procureur) doit établir tous les éléments constitutifs de l’infraction et l’absence de tous les éléments susceptibles de la faire disparaître.

 

Le deuxième principe est exprimé par ladage reus in excipiendo fit actor, qui signifie que si le défendeur soulève une exception, il devient pour son exception, comme un demandeur soumis à la charge de la preuve. Ainsi, lorsque le défendeur invoque un fait justificatif, de nature à effacer l’infraction, ou une cause de non-imputabilité, susceptible d’écarter sa responsabilité, c’est à lui qu’il appartient d’en faire la démonstration.

 

Le troisième principe est exprimé par l’adage in dubio pro reo. Signifiant le doute, en faveur de l’accusé. Cette règle le dispense d’établir son innocence par des preuves complètes, il suffirait qu’il crée un doute suffisant qui empêche le juge de parvenir à une certitude de culpabilité.

En matière de délit d’enrichissement illicite, le Ministère Public ne dispose pas souvent des preuves suffisantes pour établir la culpabilité de la personne mise en cause. Mais ce qui reste constant est son immense richesse et son train de vie qui sont en déphasage total avec le niveau de rémunération légale de la personne accusée.

 

En conclusion, le procureur spécial près la CRIEF doit simplement prouver que le patrimoine et le train de vie de la personne poursuivie est en déphasage avec son niveau de rémunération légale et il revient à la personne poursuivie de prouver lorigine licite de son patrimoine.

Par Mamadou BAH, Juriste & fiscaliste