Le Colonel Mamady Doumbouya n’est pas à l’abri d’un coup de force. Autrement, la Guinée n’est pas à l’abri de connaître, tout comme le Mali ou encore le Burkina Faso, un coup d’Etat dans un autre, une double « confiscation » de pouvoir par les militaires. Contrairement à ceux qui se cachent derrière la prophétie des songes pour expliquer cette réflexion, une simple analyse critique des phénomènes politiques suffit à comprendre une telle inquiétude. Après avoir suivi depuis ses débuts la transition malienne, l’expérience nous a démontré que dès lors qu’un dirigeant africain prend position pour les siens, se décide à jouir pleinement de la souveraineté de son pays, l’impérialisme et ses valets, « connus » ou dormants n’ont cesse que de trouver les moyens pour :

 

1. Faire dégager coûte que coûte ce pouvoir, soit par une révolution de palais, soit par un autre groupe totalement étranger à celui qui dirige.
2. Créer dans l’appareil même du pouvoir des dissensions de nature à le rendre paranoïaque, et par la suite le rendre méconnaissable et infréquentable.
3. Exploiter l’Opposition politique à l’interne afin de rendre ce pouvoir inopérant et par la suite lui rendre détestable auprès d’une opinion nationale voire internationale qui lui était pourtant favorable.

 

Cette trilogie est le chemin de croix de tous les dirigeants politiques, leaders politiques, leaders d’opinion, patriotes, activistes africains. De tous ceux qui, depuis les indépendances africaines – qui sont pour le moins inachevées – ont compris que la première des luttes pour l’homme noir, pour l’homme africain, consiste à disposer de lui-même, de ses richesses, de mener sa bataille culturelle, de déterminer selon ses intérêts ses alliances géopolitiques, de disposer de ses propres stratégies et de se consacrer à la défense des intérêts vitaux des siens.

Il n’y a pas quatre mille chemins, vivre, c’est tout d’abord résister. Le chemin est peut être long, mais longtemps il a été balisé, et il ne manque pas dans « l’Afrique des libertés » – en laquelle nous croyons, des exemples depuis ceux qui luttèrent contre l’esclavage, l’asservissement par la colonisation, de nos pères fondateurs et de tous ceux qui les ont suivi ou continuent de marcher dans leurs pas – des noms qui ont une résonance qui nous ravive d’espoirs, l’espoir d’une Afrique libre, débarrassée de toute forme d’hégémonie étrangère, l’espoir d’une Afrique dont les dirigeants sont exclusivement au service des peuples africains. C’est par ailleurs en ces idées qu’il peut y avoir une quatrième raison d’un coup de force soit à l’interne même du pouvoir soit par d’autres factions de l’armée plus déterminées. C’est dans l’hypothèse où l’on en viendra à constater que le pouvoir en place n’est pas suffisamment apte à créer les conditions de la rupture promise, rupture contre la néocolonisation, contre les réseaux françafricains, contre les combines politiques, contre le despotisme d’Etat, contre la corruption, la médiocratie et ses corollaires etc.

La morale de cette histoire consiste à rappeler que lorsqu’on on veut être dirigeant au sens du panafricanisme, de l’affirmation de souveraineté, d’un patriotisme qui ne souffre d’aucune réserve ; quand veut faire de la politique pour les siens et rien d’autre, il faut l’assumer jusqu’au bout. Parce que l’histoire africaine nous apprend que les peuples ne se rappellent en estime que les dirigeants qui ont pris fait et cause pour eux. Tergiverser en pareilles situations, dans un contexte mondial de tensions entre l’Est et l’Ouest, dans une sous-région en proie aux défis sécuritaires, et où les populations ou les sociétés civiles – devant la condition humaine rendue aussi misérable – sont de plus en plus en clin à bousculer les pouvoirs en place, dans une transition politique, en ce qu’elle comporte comme risques politiques, économiques et sécuritaires, c’est se livrer pour tout bon, perdre définitivement le seul fil qui vous lie au peuple, et indubitablement courir à sa perdre, en tuant par la même occasion l’espérance politique suscitée.

Ces quelques lignes sont pour nous, non pas une prédiction en soi, mais un appel des plus avenants à l’endroit du CNRD et du Colonel Président pour lesquels la contingence a voulu que nous misions dès le tout début. C’est pourquoi il ne peut nous être reproché de conseiller au Colonel de pouvoir déterminer « clairement » ses positions, géopolitiques et géostratégiques et d’en être plus vigilant, pour sa fidélité à ce projet et pour lui-même. Son gouvernement devrait de ce fait – suffisamment – communiquer dans ce sens. Il est bien de s’intéresser aux questions de dialogue politique interne, aux questions de calendrier et contenu – opérationnel – de la transition etc, mais par dessus tout, il est fondamental de clarifier dans un schéma plus grand la vision ou l’idéal politique nourri. Ce serait tout à son avantage. À défaut, il donnerait libre cours à toutes les interprétations possibles pour lesquelles il serait forcé de constater tôt ou tard des conséquences irrémédiables.

Par Ali CAMARA